109e RI (47e D.I.)- Crapeaumesnil

Combat de Crapeaumesnil

109e RI

 

RI 109

Après une installation que la situation rend progressive et laborieuse, le combat de Crapeaumesnil se déroule sur grand front, sans obstacle devant la ligne principale, contre une infanterie mordante, appuyée par une artillerie et une avia­tion puissantes et accompagnée d’engins blindés. Il se termine par une rupture du contact ordonnée par le commandement.
L’action est caractérisée par un succès de l’en­nemi au centre du dispositif et par l’échec des violentes poussées qu’il exerce en vue d’élargir cette brèche créée dans un dispositif peu dense. Le courage des défenseurs lui en impose. Malgré la supériorité incontestable des moyens mis en œuvre par les Allemands, le régiment tient, puis il réussit son décrochage, quoique les conditions n’en soient pas favorables.

 

l’installation (5-6 juin)

 

1° /  Journée du 5

Le 5, à 6 h. 30, un officier de l’État-major de la 47e division apporte au colonel l’ordre verbal d’installer son régiment sur la ligne Beuvraignes — bois de Crapeaumesnil, de s’y installer et d’y résister sans esprit de recul. Le front à tenir est limité à l’ouest par le carrefour central de Beuvraignes; à l’est, la liaison doit être recherchée avec la 7e D.I.C. dans le bois d’Avricourt. L’ordre est immédiatement donné aux éléments du régiment de se rassembler :

  • le Ier bataillon à Beuvraignes ;
  • le 2e bataillon à Crapeaumesnil — bois des Loges ;
  • le 3e bataillon dans le bois de Crapeaumesnil ;
  • la C.D.C. et la C.R.E. à Fresnières où sera le P.C.R.I.;
  • les T.C.2 et les T.R. à Canny-sur-Matz.

A 7 heures, le commandement prescrit d’en­voyer à Cuvilly, en bouchon antichars, une com­pagnie de F. V. et un canon de 25. Le Ier bataillon désignera cette compagnie, le canon de 25 sera prélevé sur la C.R.E.

Jusqu’alors, aucun renseignement sur la situa­tion générale. Une action importante se déroule cependant entre la Somme et l’Avre car, au nord de Roye, les avions ennemis, totalement maîtres de l’air, bombardent en piqué la région qui avait fait l’objet de la reconnaissance de la veille. A Laucourt, le fracas sourd des explosions de bombes fait trembler les habitations et le sol lui-même.

Pendant que des motocyclistes porteurs de l’ordre filent vers les P.C. des bataillons déjà alertés par téléphone, la reconnaissance du terrain est entreprise. Sur le front de 7.500 mètres que le régiment doit défendre sans esprit de recul, elle permet de discerner trois zones d’importance tactique différente.

La plus importante englobe Crapeaumesnil, la cote 101, le bois des Loges et le bois rectangulaire situé à 500 mètres au nord de Fresnières. Là passent les deux principales pénétrantes du sous-secteur : la route Roye — Lassigny et le chemin qui, de Roiglise, rejoint la précédente à Fresnières par Verpillières et Amy.

Contre l’infanterie, le bois des Loges et le bois rectangulaire constituent une défense sérieuse de la route de Lassigny. La cote 101 est un bon observatoire; elle donne des vues jusqu’au delà de l’Avre, sur presque toute la largeur du sous-secteur. Plus limitées en largeur par 101, celles qu’offre la moitié est du bois rectangulaire sont également profondes. Ce bois et le bois de Cra­peaumesnil commandent le chemin Amy — Fres­nières qui est lui-même bordé de boqueteaux; la partie nord-ouest du bois de Crapeaumesnil pré­sente des vues analogues à celles du bois rectan­gulaire. Malheureusement, les blés sont déjà hauts de 60 à 70 centimètres; ils gêneront considérable­ment le placement ‘des armes à trajectoire tendue sur toute l’étendue de la ligne principale.

Cette zone, dont la conservation est essentielle, est vulnérable aux engins blindés, parce que l’occupation de Crapeaumesnil s’impose afin de couvrir l’observatoire de loi et de relier le centre du sous-secteur à Beuvraignes où s’effectue la liaison avec le 44e R.I. Il existe un terrain sans obstacle sérieux entre Beuvraignes et les boque­teaux est de 101; Crapeaumesnil s’étend amenuisé, perpendiculairement au front et ses maisons sont séparées par des jardins aux faibles enclos de briques. De ce front partent deux couloirs d’in­filtration. Le plus important s’insère, large de 500 mètres, dans la trouée du Buvier, entre le bois des Loges et le bois rectangulaire; l’autre, plus excentrique, contourne le bois des Loges par le hameau du même nom et mène à Canny-sur-Matz. Plus aisément défendable est le couloir qui s’étend entre le bois rectangulaire et le bois de Crapeaumesnil en raison des nombreux boqueteaux qui l’accidentent.

De part et d’autre de la partie centrale s’éten­dent des zones qui la flanquent efficacement. A l’ouest, Beuvraignes est une agglomération aux maisons serrées et disposée dans le sens du front; avec le cimetière national et la cote 97, elle com­mande le couloir des Loges à son extrémité nord et offre de beaux champs de tir vers le nord de Crapeaumesnil. A l’est, le bois de Crapeaumesnil constitue un obstacle aux chars sur toute son étendue et, de sa corne nord-ouest, il est possible de flanquer les boqueteaux qui s’élèvent sur les pentes est de la cote 101.

L’idée s’impose donc de centrer la défense entre les deux pénétrantes incluses indiquées plus haut et de la flanquer par l’occupation de Beuvraignes, le cimetière national et 97 d’une part, la partie nord-ouest du bois de Crapeaumesnil d’autre part. Le tracé de la ligne principale sera jalonné par les obstacles antichars : Beuvraignes, le cimetière national, les boqueteaux est de 101, le bois de Crapeaumesnil ; le village de Crapeaumesnil sera occupé pour les motifs précédemment indiqués. La limite arrière de la position passera par 97, les lisières nord du bois des Loges et du bois rectan­gulaire aux taillis épais, rejetons des arbres abattus au cours des combats livrés sur ce même terrain pendant la guerre 1914-1918, la ferme Haussu ; elle sera occupée surtout par des armes lourdes aux endroits qui offrent des vues étendues.

L’installation dans les couverts assurera la D.C.A. passive, la seule efficace en raison de l’ab­sence de moyens actifs spécialisés.

Cette reconnaissance a été faite sans incident, quoique l’action de l’aviation ennemie déborde l’Avre depuis huit heures et inquiète les unités du régiment qui sont en marche vers leurs premières destinations respectives.

Le Ier bataillon et la C.R. E. sont survolés par des avions de reconnaissance allemands qui les contraignent fréquemment à utiliser les camoufla­ges naturels de l’itinéraire et à mettre les F.M. en action. Ils arrivent sans pertes à Beuvraignes d’où la 1re compagnie et une pièce de 25 de la C.R.E. continuent leur marche en direction de Cuvilly, conformément à l’ordre reçu à 7 heures.

Le 3e bataillon quitte Roye à 9 heures, sous un violent bombardement d’avions agissant en piqué. Il doit traverser le terrain dénudé qui s’étend au sud-est de Roye ; il utilise donc trois des chemins de terre qui conduisent vers le bois de Crapeaumesnil, survolé par l’aviation adverse qui le bom­barde à plusieurs reprises sans lui occasionner de pertes.

Au 2e bataillon dont les cantonnements sont alertés dès 3 heures par le bombardement de Roye, les troupes de Saint-Mard partent à 7 h. 30, celles de Villers (5e et 7e) à 8 h. 30. Ces dernières doivent passer par Roye et la route nationale, car les chemins menant à Saint-Mard sont barrés par des obstacles antichars. Elles subissent de ce fait un sérieux retard qu’accentuent encore les attaques d’aviation obligeant la colonne à s’arrê­ter fréquemment dans les fossés de la route et à tirer de toutes ses armes automatiques.

Le détachement de Laucourt part à 7 h. 30. Ses lourdes voitures empruntent la route nationale et atteindront Canny sans pertes, la chasse amie ayant momentanément dégagé le ciel entre Laucourt et Tilloloy. Elles sont suivies des unités et du T.C. du 2e bataillon qui cantonnaient à Saint-Mard.

Moins heureuse est la colonne du groupe d’ar­tillerie désigné comme appui du régiment. Entre Popincourt et Dancourt, puis entre Beuvraignes et le Buvier, elle est durement éprouvée par un bombardement aérien qui lui tue des hommes et des chevaux et lui démolit plusieurs caissons.

A Fresnières où le commandant Barthe installe le P.C. du régiment on est, au moment où se termine la reconnaissance, sans renseignements sur la situation. Elle exige certainement une ins­tallation rapide. Des ordres sont donc préparés, qui tendent à réaliser le dispositif suivant :

—  II/109, renforcé du groupe de 81 de la C.R.E. entre le chemin des Loges exclus et le chemin
Amy — Fresnières inclus. Tiendra essentiellement la partie nord de Crapeaumesnil, les boqueteaux nord et est de loi et les parties nord-est des bois rectangulaire et des Loges. Flanquera 101 du bois des Loges. Se reliera au III/109 avec une section F.V. installée au coude 51-68, P.C. Fresnières;

  • I/109 (moins Ire compagnie) entre le car­refour  central  de  Beuvraignes   (liaison  avec  le 44eI.) et le cimetière national inclus. Tenir essentiellement Beuvraignes et le cimetière. Flanquer le II/109 nord de Crapeaumesnil. P.C. Beuvraignes.
  • III/I09. Tenir essentiellement   le   saillant nord-ouest du bois de Crapeaumesnil et la ferme
    Rechercher la liaison avec la 7e D.I.C. jusqu’à la ferme Capron. Flanquement en direction de la tête du ravin est de Crapeaumesnil. P.C. ferme Haussu.
  • C. B. (coordonnée par le commandant de la C.R.E.). Réaliser un barrage continu sur la
    ligne briqueterie  nord  de Beuvraignes,  chemin Beuvraignes — Amy, carrefour 53-73, saillant ouest du bois d’Avricourt et plus particulièrement dense sur   les   axes   Roye — Crapeaumesnil   et   Amy — Fresnières. Deuxième barrage au nord du Buvier et de Fresnières.
  • Observation : Observatoire R.I. à la cote 101. Signaler densité et composition des troupes ennemies sur les axes Roye — Crapeaumesnil et Verpillères — Fresnières.

Le commandant du régiment et le commandant Barthe se préparaient à aller donner verbalement ces ordres lorsque, à 10 h. 30, le commandant de l’I.D. arriva à Fresnières, informant le comman­dant du régiment d’une attaque allemande déclenchée à l’aube dans la poche de Péronne, appuyée par 800 chars. A 9 heures, les blindés ennemis avaient atteint les positions d’artillerie des divi­sions en secteur.

Ces renseignements sont troublants Quelle est la situation sur l’Avre et en particulier aux pas­sages de Roye et de Roiglise, qui donnent accès dans le sous-secteur confié au 109e R.I ? Les bataillons et surtout la C.R.E. sont encore en route et le danger de voir surgir des engins moto­risés est peut-être imminent. Un seul moyen immé­diat de D.C.B. : l’artillerie, dont les batteries sont arrivées depuis trente minutes.

L’ordre est aussitôt donné au commandant du groupe d’assurer des barrages antichars dans la trouée entre le bois des Loges et le bois rectangulaire et entre ce bois et le bois de Crapeaumesnil. Il n’est pas possible de pousser le barrage plus au nord en raison du désarroi que les avions ennemis ont jeté dans la colonne d’artillerie. Une pièce de 75 est cependant portée à .la lisière nord du bois de Crapeaumesnil, à la disposition du commandant Jacquot, avec mission de battre le chemin d’Amy et ses abords, la région au nord d’Amy étant à ce moment bombardée par l’aviation adverse.

A toute allure, le colonel et le commandant Barthe vont mettre les chefs de bataillon au courant de leur mission. Le premier arrive à Beuvraignes vers 11 heures, au moment où le Ier ba­taillon pénètre dans la localité; les reconnaissances sont immédiatement entreprises.

A Crapeaumesnil, le commandant Boix est avec sa 6e compagnie; il attend impatiemment ses 5e et 7e qu’il a vues, il y a un instant, à hauteur de Laucourt et dont il n’espère pas l’arrivée avant midi. Il va installer immédiatement sa 6e en « bou­chon » à Crapeaumesnil et préparer l’occupation de la cote 101.

Le commandant Barthe trouve le 3e bataillon se regroupant dans le bois de Crapeaumesnil. Avec la pièce de 75, une section d’infanterie s’installe à la bifurcation du chemin de Crapeaumesnil, gardant la direction d’Amy en attendant que le 2e bataillon prenne cette mission à son compte.

Mais de nouveaux renseignements parviennent vers midi au P.C.R.I. qui provoquent une nou­velle modification aux ordres déjà donnés au 2e bataillon. Des patrouilles envoyées par le 3e bataillon à la ferme Capron n’ont pas aperçu d’éléments de la 7e D.I.C. et elles signalent une violente fusillade en direction d’Avricourt. Afin d’éclaircir la situation de ce côté, la section d’éclaireurs motocyclistes file rechercher la liaison avec les voisins par Lassigny et Candor. Elle s’installera sur le chemin Avricourt — Balny, à la lisière nord du bois d’Avricourt, jusqu’à l’arrivée des éléments amis; si l’ennemi s’y présente, elle se repliera par le chemin de la ferme Haussu en renseignant sur son avance. Le 3e bataillon pousse à la ferme Capron une section F.V. qui gardera la coulée située en bordure de la ferme et aboutissant à Balny.

A 12 h. 30, la direction qui apparaît la plus dangereuse est celle de l’Est. Les bruits du combat en direction d’Avricourt sont perçus de Fresnières et la section d’éclaireurs annonce qu’elle a vu des groupes de la 7e D.I.C. à Lassigny, mais qu’il s’agit là d’éléments avancés. Fort heureusement, les renseignements sont plus rassurants au nord où la 29e D.I. se bat encore sur la rive droite de l’Avre et tient Roye. L’ordre est donc donné au commandant Boix :

  • de réaliser, du bois des Loges, non seulement la défense de la trouée du Buvier, mais encore une protection par le feu en direction de l’arbre de Canny;
  • d’envoyer une compagnie en réserve de régi­ment dans le bois à 500 mètres sud-est de Fresnières. Cette unité sera prête à s’opposer à des infiltrations en provenance de la Potière et de Balny ou à renforcer son bataillon.

La 7e compagnie assure la défense du bois des Loges et c’est la 5e qui est placée en réserve de régiment.

Enfin, Fresnières est mis en état de défense par la compagnie de commandement sous les ordres du capitaine Chaussy. Le commandant Jacquot agit de même à la ferme Haussu avec sa section de commandement; le gros de son bataillon reste orienté face au nord.

A 13 h. 30 l’observatoire de 101 signale l’ab­sence de tout mouvement au sud de l’Avre et l’amoindrissement du nombre des avions opérant au nord du cours d’eau. De son côté, la section d’éclaireurs rend compte qu’elle est entrée en liaison avec d’autres groupes de la 7e D.I.C. à Lagny, mais que ce sont encore des éléments avancés. Le lieutenant Facq part alors en liaison auprès du commandant du régiment le plus proche; il revient à 14 heures en annonçant le prochain mouvement de nos voisins vers le nord. Mais aucun renseignement n’a pu être obtenu sur la situation au nord du bois d’Avricourt d’où des bruits de combat parviennent toujours.

Un ordre reçu à 14 h. 30 démontre que la situa­tion est en pleine évolution au nord et non dans un sens favorable. En effet le 109e doit porter de toute urgence un détachement composé d’une demi-compagnie, une section de mitrailleuses et un canon de 25 à Roiglise où il formera « bouchon » ; aucun éclaircissement n’est donné… Ces effectifs ne peuvent être prélevés que sur le 3e bataillon, malgré la menace qui plane sur le flanc droit du régiment.

Grâce à l’esprit de camaraderie dont font preuve les officiers du P.A.D. 29 qui stationne aux envi­rons de la ferme Haussu, trois camions de cette unité transportent le groupement en deux voyages qui coïncident avec une accalmie dans l’activité de l’aviation allemande.

L’installation est terminée à 19 heures et le lieutenant Guépin, commandant la 9e compagnie et chargé de la défense de Roiglise, rend compte que l’on se bat à une dizaine de kilomètres au nord de l’Avre où de sérieuses infiltrations ennemies se seraient produites entre des points d’appui qui tiennent encore. En outre, une lutte violente semble se livrer vers le sud-est…

Ces divers renseignements sont confirmés vers 20 heures. Quelques chars amis arrivent à Fresnières ; leurs équipages sont chargés de préparer l’entrée en action d’une division blindée en vue de dégager les points d’appui encerclés entre Somme et Avre. A la même heure, le sergent-chef Paris, commandant la section d’éclaireurs motocyclistes, rend compte, de la lisière nord du bois d’Avricourt qu’il a atteinte, que des éléments amis se replient au sud d’Avricourt et qu’un combat semble engagé à quelques kilomètres au nord-est du village. Aucun élément des voisins n’est arrivé à sa hauteur.

Au soir du 5 juin, le 109e est donc orienté face au nord et couvert de ses propres moyens à l’est. Son Ier bataillon a réalisé intégralement le dispo­sitif prévu; il a la 2e compagnie à Beuvraignes, la 3e au cimetière national et à 97. Le 3e bataillon a sa 10e compagnie au saillant nord-ouest du bois de Crapeaumesnil, la 11e vers la ferme Sébastopol; les deux sections qui restent de la 9e compagnie sont l’une à la ferme Capron, l’autre à la ferme Haussu. La pénétrante de Roye est barrée par la 6e compagnie à Crapeaumesnil et par la 7e au bois des Loges (nous savons Roye encore tenu par des éléments de la 29e D.I.). Celle d’Amy est défen­due par le 3e bataillon à Roiglise et au carrefour du chemin de Crapeaumesnil.

La couverture est obtenue par les missions don­nées aux 5e et 7e compagnies; la section d’éclaireurs est au sud d’Avricourt.

Le capitaine Habert a tendu un barrage anti­chars continu devant la ligne principale, avec maximum de densité entre le cimetière de Cra­peaumesnil et le bois du même nom; sur ce front de 1.800 mètres, quatre pièces de 25 sur les sept que possède le régiment sont installées. Deux canons de 37 battent la trouée du Buvier, un est à la sortie nord de Fresnières.

L’artillerie a deux batteries dans les couverts du bois des Loges et du bois 500 mètres est de Fresnières; la troisième est dans les vergers nord-est de Fresnières. Toutes peuvent agir en D.C.B. dans les coulées du Buvier et d’Amy. Les tirs d’arrêt prévus sont indiqués au croquis I. Le groupe devra, en outre, retarder l’ennemi au plus loin avec maximum de feux sur les deux axes de péné­tration.

La compagnie de commandement a organisé Fresnières et ses abords.

Dans la nuit, une section de la B.D.A.C. est affectée au sous-secteur. Elle est installée vers le cimetière de Fresnières d’où elle peut agir soit dans la trouée du Buvier, soit dans celle du chemin d’Amy.

Les travaux de terrassement, entrepris avec ardeur, sont très avancés, malgré les nombreux survols de l’aviation allemande qui contraignent la troupe à lâcher fréquemment l’outil pour l’arme automatique.

Le 6, vers 3 heures, la lre compagnie rejoint le régiment. Elle s’installe dans la partie sud du bois des Loges, en réserve de régiment. Mais; à 5 heures, l’ordre arrive de la réexpédier à Cuvilly.

 

2° / Journée du 6 juin

Durant toute la nuit, c’est un défilé de chars vers Roye et Amy et la journée du 6 s’ouvre en l’espoir d’une heureuse issue de leur action.

Pas de nouvelles jusqu’à 12 heures. Cependant, de la cote l01, il apparaît bien que la lutte est sévère au delà de Roye. Toujours maîtresse incon­testée de l’air, l’aviation ennemie, très nombreuse, attaque en piqué dans tout l’horizon, sous un ciel d’une pureté absolue. Au sol, des flammes, des fumées cachent les villages.

Une reconnaissance d’officier est alors poussée jusqu’à Champien, où se trouve le Q.G. de la 29e D.I. Les renseignements rapportés laissent prévoir l’échec de nos chars et la fin de la résis­tance amie au nord de l’Avre.

La direction du nord redevient la plus mena­çante et l’hypothèque mise sur la 7e compagnie est levée à 13 heures; le commandant Boix l’uti­lisera tout entière face au nord, dans les condi­tions fixées par l’ordre initial. A la même heure, une nouvelle liaison avec les voisins de droite permet de constater la présence d’éléments de la 7e D.I.C. à Balny et à Candor. Quoique les ordres reçus par eux laissent entendre qu’ils ne pousse­ront pas davantage vers le nord, la 5e compagnie est remise aux ordres de son chef de bataillon; elle devra s’installer immédiatement dans la partie nord-est du bois rectangulaire et défendre les boqueteaux est de 101, dont celui du coude 51-68. Enfin, la section qui est installée au carrefour de Crapeaumesnil reçoit une mission de surveillance seulement, en raison de sa situation par trop en flèche; la pièce de 75 viendra à 51-68 dès la tombée de la nuit.

Rappelée, la section d’éclaireurs motocyclistes rejoint Fresnières sans avoir aperçu l’ennemi, mais elle a eu le spectacle d’un repli hâtif des éléments qui se battaient au nord et au nord-est d’Avricourt.

Il en est de même devant le front du sous-sec­teur à partir de 15 heures. Les routes de Roye et de Roiglise sont sillonnées de groupes, les uns en ordre, d’autres épars et non encadrés. Roye est en flammes et les avions ennemis s’y acharnent toujours; il en est de même à Roiglise. A 19 h 30, la chute de cette localité est annoncée par certains de ses défenseurs, qui ont réussi à échapper aux Allemands après leur capture.

Le détachement Guépin avait une mission redoutable. Selon les ordres reçus du commande­ment, il devait barrer les routes de Roye et de Champien aboutissant à Roiglise et, pour cela, pousser son canon de 25 jusqu’au carrefour central du village et non le laisser au sud de l’Avre dont le passage était défendable dans des conditions infiniment meilleures. Alors que les rives maréca­geuses de la rivière forment un obstacle absolu aux chars, Roiglise est composé presque unique­ment de maisons aux frêles murs de brique, sépa­rées par de nombreux jardins ou vergers. Le terrain est un véritable « charodrome » au nord, à l’ouest et à l’est.

Le lieutenant Guépin installe donc la pièce de 25 au carrefour et forme deux groupements tem­poraires avec la section du sous-lieutenant Jarrot ; l’un, composé d’un groupe de combat et d’un groupe de mitrailleuses, barre la sortie nord de Roiglise sur le chemin de Champien, sous le com­mandement du sous-lieutenant chef de section; l’autre, de composition identique, est placé sous les ordres de l’adjudant Verry, commandant la section de mitrailleuses, à la sortie vers Roye, La section du sergent-chef Mazoyer (2 groupes) a le groupe Justaud sur la route de Noyon et l’autre au pont. Un groupe de la section Jarrot assure la sécurité de la pièce de 25.

Le 6, vers 13 heures, des avions allemands bom­bardent, non loin du pont de l’Avre, une colonne de chenillettes chargées du ravitaillement en essence des chars amis opérant en avant de Champien. Le sergent-chef Mazoyer a une jambe presque arrachée par des éclats de bombe. Avec deux de ses hommes blessés en même temps que lui, il est évacué. Mais avant le départ de la voiture sanitaire, ce sous-officier, qui devait mourir le lendemain, demande si les hommes blessés ont pu être évacués et si l’essence parviendra aux chars. Premier acte d’abnégation dont les combats qui vont suivre offriront d’autres exemples.

A 16 h. 30, le lieutenant Guépin est vers le groupe nord du village car, depuis une heure, l’ar­tillerie ennemie bombarde la crête en avant, d’où l’on entend tirer des armes automatiques. Bientôt, les chars ennemis atteignent les lisières; deux ou trois d’entre eux les contournent par l’ouest, tirant à obus et à balles traceuses dans les hangars bondés de paille et sur les maisons. Celle qu’occupé le groupe Jarrot est incendiée.

Revenu aussitôt au canon de 25, Guépin désigne aux servants deux blindés embossés à l’ouest du bosquet clairsemé, mais qui disparaissent avant que les servants aient eu le temps de viser et de tirer. Peu de temps après, la pièce était détruite à revers par les chars et le lieutenant Guépin grièvement blessé.

Le groupement Verry, les groupes Chevallier et Justaud sont submergés sous une trombe de blindés qui ont réussi à s’infiltrer dans les jardins.

Ainsi finit le « bouchon » de Roiglise dont certains défenseurs, et parmi eux le sous-lieutenant Jarrot, pourront rejoindre leur bataillon ainsi que nous l’avons dit plus haut. Ils seront réincorporés dans les deux sections de leur compagnie.

Pendant la nuit, une inspection du commandant du régiment vers le bois rectangulaire et la section aux avant-postes lui font constater que ses ordres ont été incomplètement exécutés. La 6e compagnie s’est étendue depuis Crapeaumesnil jusqu’aux boqueteaux est de 101, sur un front de 1.400 mètres environ; la 5e n’a pas repris à son compte la défense de ces espaces boisés situés devant le bois rectangulaire. L’attention du commandant du II/109 est attirée sur ce fait.

La section d’avant-postes est fort bien installée, mais la pièce de 75 est restée avec elle. L’aspirant qui la commande tient à se battre avec les fan­tassins. Retirer ce matériel serait d’un fâcheux effet sur le moral de la section d’infanterie. Le canon reste donc en place.

Bientôt, dans cette nuit lugubrement éclairée par les incendies qui embrasent les villages d’entre Somme et Avre, Verpillières et Amy, subitement bombardés dans la soirée, une rumeur descend vers le sud. Au milieu d’éléments d’infanterie et de véhicules de toutes sortes qui encombrent les chemins, quelques chars reviennent de leur opé­ration manquée.

Le 109e est prêt à accepter le combat.

 

Le combat

 

1°/  La journée du 7 juin

Vers 7 heures, cinq engins blindés apparaissent à 1.000 mètres de Crapeaumesnil, sur la route de Roye, dans le champ de tir d’une pièce de 25 ins­tallée au nord-est de l’église sous les ordres du sergent Bugeaud. Au premier obus, Bugeaud stoppe un des chars qu’il a laissé approcher à 800 mètres, puis il le met en flammes aux coups suivants; les autres blindés se retirent précipitamment. A la même heure, une patrouille de la 10e compagnie a reconnu Amy inoccupé.

A 9 heures, les observateurs signalent un ras­semblement important de chars, camions, infan­terie et cavalerie à 500 mètres de Roye, aux abords de la route de Crapeaumesnil. Peu de temps après, une concentration analogue est signalée à Verpillères et à Amy. Le groupe d’appui la canonne, mais sans résultat apparent. Par contre, il détruit vers 11 heures une batterie ennemie en position entre Roye et Amy.

C’est à ce moment, en effet, qu’un violent bom­bardement s’abat soudainement sur la cote 101, Crapeaumesnil et sur le carrefour 53-74. Sous sa protection, une trentaine de blindés débouchent de Verpillères et d’Amy en direction de Crapeaumesnil. Six d’entre eux sont détruits par la pièce de 75 placée avec la section en avant-postes qui se replie aussitôt après. Les engins ennemis s’arrêtent à l.000 mètres au nord du chemin de Beuvraignes — Amy, hors de portée des canons de 25. Violem­ment bombardé, ses lignes téléphoniques coupées, l’observateur d’artillerie est totalement neutra­lisé et le groupe d’appui ne bombarde pas cet objectif.

Pendant toute la matinée, l’action est ainsi localisée devant le front du 2e bataillon, unique­ment avec engins blindés et bombardement par artillerie et avions. L’air est sillonné par des vols incessants d’avions de reconnaissance.

Devant le Ier bataillon, rien n’est signalé. La première action ennemie sera le bombardement des lisières est de Beuvraignes vers midi.

Au 3e bataillon, la matinée est calme également jusqu’à midi. Le commandant Jacquot, accom­pagné du capitaine Legueu et du lieutenant Richard, en profite pour parcourir à cheval le tour de son dispositif. Mais, si l’aller se fait sans incident, le retour est mouvementé. Aux abords de la ferme Sébastopol, le petit groupe essuie des tirs lointains d’armes automatiques auxquels s’a­joutent quelques obus à son passage vers la partie nord-ouest de la lisière, tenue par la 10e compagnie. Cette promenade prend fin vers 12 heures, au moment où un bombardement d’aviation massif, mais inefficace, s’abat à l’intérieur du bois, loin des effectifs dilués qui en occupent la lisière.

La prise de contact ne tardera pas à animer toute l’étendue du sous-secteur.

A partir de 13 h. 30, des éléments d’infanterie apparaissent de part et d’autre de la route Roye — Crapeaumesnil, à 3.000 mètres environ. Ralentis par les tirs du groupe d’appui exécutés sur demande de l’infanterie, ils s’infiltrent dans les blés, en direction de Beuvraignes et de Crapeaumesnil, appuyés violemment par leur artillerie, puis mar­quent un temps d’arrêt dans l’angle mort formé par les pentes nord de la croupe de Beuvraignes. Deux bataillons ennemis sont ainsi déployés entre la limite ouest du sous-secteur et le chemin d’Amy — Fresnières.

Devant le 3e bataillon, ce sont des cavaliers qui, par Verpillères et Amy, réussissent à arriver à 1.500 mètres du bois de Crapeaumesnil et mettent pied à terre pendant que la partie nord-ouest du bois est violemment bombardée. Ils commencent immédiatement leur infiltration dans les cultures et parviennent vers 15 heures à 200 mètres du bois, devant son saillant nord-ouest. Le feu d’infanterie et d’artillerie des défenseurs les contraint alors au recul, certainement avec des pertes sévères, car les cris des blessés dominent de temps à autre le bruit du combat.

A 16 heures, la ferme Sébastopol est assaillie à son tour. Le sous-lieutenant Lucas est tué alors qu’il sert lui-même un fusil-mitrailleur dont le tireur vient d’être blessé. Bombardés, les bâti­ments sont incendiés et évacués par la section qui l’occupait; ses hommes s’installent à la lisière du bois et, devant leur résistance farouche, l’ennemi ne cherche pas à pousser plus avant. Les défen­seurs de la ferme Capron ne sont pas inquiétés.

A l’ouest, l’infanterie a repris sa progression et, vers 16 heures, elle arrive à 800 mètres de Beuvraignes qui est en butte à un tir très dense d’obus et de bombes. Les parties est et nord sont parti­culièrement visées et bientôt un coup malheureux fait sauter un train de munitions immobilisé à la gare depuis la veille; les hommes de la 2e com­pagnie seront ainsi pris jusqu’au soir entre les trajectoires des canons ennemis et le feu roulant des obus qui éclatent dans un vacarme continu à quelques pas d’eux.

Mais la résistance n’en est pas amoindrie pour autant. Les armes automatiques et les mortiers du capitaine Pouteau causent des ravages parmi les groupes ennemis qui s’arrêtent à 500 mètres du village et du cimetière national où la section de la 3e compagnie a résisté tout aussi vaillam­ment. De ce côté, un char s’est avancé à l’ouest de la route de Crapeaumesnil mais, pris à partie par un canon de 25, il s’est immédiatement replié hors de portée.

Au centre, le bombardement de Crapeaumesnil et de 101 redouble à 16 h. 30, par canon et par avion. Sa plus grande intensité coïncide avec le débarquement d’importants effectifs sur le chemin Crapeaumesnil — Amy; il y a là la valeur d’un bataillon. Malgré le tir neutralisant qui la coiffe, la section de mitrailleuses de l’adjudant Emile Martin, installée sur 101, ouvre le feu en débit rapide sur ce magnifique objectif, pendant que le groupe d’appui le bombarde. En quelques ins­tants, les troupes allemandes sont dispersées dans toutes les directions.

A ce moment, trois avions français apparaissent et mitraillent à terre. L’enthousiasme est tel que des hommes sortent de leurs tranchées et se préci­pitent en avant; ils réintègrent avec peine leurs emplacements de combat. D’ailleurs, l’action de nos aviateurs sera fugitive. Leur apparition a été saluée par une D.C.A. formidable dont les projectiles criblent le ciel en un clin d’œil. Le cœur gros, les fantassins voient deux appareils s’abattre en flammes…

D’une extrémité à l’autre du sous-secteur, il leur reste le plaisir d’avoir rendu extrêmement coûteuse la prise de contact de l’ennemi, dont les pertes doivent être sérieuses si l’on en juge d’après l’intensité de la circulation des brancardiers à l’arrière du champ de bataille.

Aucun mouvement n’est entrepris par l’assail­lant jusqu’à 19 heures, quoique son artillerie continue à bombarder sévèrement la partie du sous-secteur qui englobe Beuvraignes, Crapeaumesnil, 101 et le saillant nord-ouest du bois de Crapeau­mesnil. Il prépare une action de force sur la 6e com­pagnie, étirée à l’extrême ainsi que nous l’avons vu.

A 19 heures, la manœuvre allemande s’exerce en direction du boqueteau 600 mètres est de 101 avec une trentaine de chars. La pièce de 25, action­née par le sergent Nikola, en démolit cinq en un instant, mais est à son tour détruite par un des obus tirés par les blindés. Nikola est grièvement blessé ainsi que le caporal-chef Polner. Trouvant le passage libre, les chars, suivis bientôt de fan­tassins, chassent du boqueteau la section qui l’occupait et avancent en direction de 101, prenant ainsi à revers la section de Greef, celle de l’adju­dant Martin et la pièce de 25 où se trouve le lieu­tenant Chenel. Masqués par la crête, les défenseurs du bois rectangulaire ne peuvent intervenir.

Les groupes Bulin et Lauteres, du groupe franc Perceval, quittent alors leurs emplacements du sud de Crapeaumesnil et se portent à l’est de 101 pour protéger le flanc de la 6e compagnie, qui ne dispose plus que de deux F.-M. et d’un groupe de mitrailleuses sur ce mouvement de terrain depuis le repli de la section de droite et la destruction d’un F.M. de la section de Greef.

Les chars s’arrêtent avant d’atteindre 101, mais l’infanterie s’infiltre en rampant, fort bien appuyée par son artillerie. Le lieutenant Perceval et six hommes sur sept du groupe Bulin sont blessés. Aucun ne consent à être évacué et le septième sert le fusil-mitrailleur du groupe; sous ses rafales précises et pressées, l’ennemi est cloué sur place pendant plusieurs heures. Cependant, la défense de la 6e compagnie est ébranlée à un point tel qu’une attaque, d’ailleurs puissante, va en venir à bout.

A la tombée de la nuit, le bombardement redouble de violence et le lieutenant Brutel est bientôt dans l’impossibilité de communiquer avec l’arrière. Derrière ce déluge de feu, les Allemands se ruent en masse du nord et de l’est, accompagnés des blindés signalés précédemment. Ils chantent et sonnent dans leurs clairons nos sonneries du « Rassemblement » et du « Cessez le feu ». En tenue légère, ils progressent rapidement à la faveur de l’obscurité naissante.

La section du sous-lieutenant Rippert, qui occupe la sortie nord de Crapeaumesnil, est submergée et son chef blessé; l’ennemi s’en­gouffre dans le village, prenant à revers la section de mitrailleuses du sous-lieutenant Limay, qui est grièvement blessé, et le groupe Corade, du groupe franc, qui lui sert de soutien. Il arrive également au contact de la pièce de 25 où se tient le lieutenant Chenel, de la C.R.E. Ce magnifique officier, debout sur le parapet qui protège le canon, fait le coup de feu au mousque­ton et abat les ennemis les plus audacieux. Il tombe à son tour, frappé d’une balle à la tête.

Sur le plateau 101, la section de Greef est bous­culée et le P.C. de la 6e compagnie est bientôt assailli de toutes parts. Une dernière et splendide résistance déconcerte alors l’ennemi. Les lieute­nants Brutel, de Greff et Perceval, l’adjudant Emile Martin combattent avec les groupes Bulin et Lauteres. Sur les treize hommes du groupe franc Perceval, chargés de protéger le repli de ce qui reste de la 6e compagnie, sept sont déjà blessés, dont le lieutenant. Ce faible détachement va opérer sa propre retraite dans des conditions dignes de la Vieille Garde.

Il forme le carré autour du soldat Ringuet qui, trente minutes auparavant, a eu les deux pieds fracassés par un éclat d’obus et qui est porté par ses camarades moins blessés que lui. Les soldats Odot et Delunsch, debout, le F.M. sous le bras, exécutent à bout portant des tirs en fauchant; des rafales de chargeurs entiers répondent aux sommations de l’ennemi qui hurle : « Kapout, 2e bataillon ». Le franchissement de chaque haie, de chaque obstacle que Ringuet heurte de ses pieds ensanglantés demande un temps intermi­nable; chaque fois, Odot et Delunsch font face aux assaillants et abattent les plus audacieux.

Trompés par une résistance aussi acharnée, les Allemands s’arrêtent et le groupe franc peut alors gagner le bois des Loges où son troisième élément, le groupe Corade, est déjà arrivé. Encerclé lui aussi, il a réussi à assurer le repli d’un groupe de mitrailleuses du lieutenant Limay; grièvement blessé de deux balles au cou, le sergent Corade a été ramené par son caporal. Le soldat Ménard, blessé à la jambe et capturé par l’ennemi, a cepen­dant réussi à s’échapper et à rejoindre ses cama­rades.

La section Chalopet, installée au sud-ouest de Crapeaumesnil, a été entraînée dans le reflux de sa compagnie.

La perte de Crapeaumesnil et celle de 101 sont connues à 22 heures au P.C.R.I. Tout l’Etat-major du régiment se porte à la sortie sud-ouest de Fresnières pour rallier la 6e compagnie. Cette opération se fait aisément. Sans un mot, la cohue se reforme en troupe disciplinée, fait demi-tour et va s’établir à cheval sur la route de Crapeau­mesnil, entre le bois des Loges et le bois rectan­gulaire, à hauteur du Buvier. A la lueur de l’in­cendie de Crapeaumesnil, le front est de nouveau reconstitué dans le quartier du 2e bataillon. Le groupe franc Perceval entre à son tour dans la composition des éléments ainsi rameutés.

L’attaque allemande a été accompagnée et suivie d’actions aux aspects divers sur les autres parties du front.

A l’ouest, l’ennemi, nettement arrêté dans les cultures devant Beuvraignes, tente une infiltra­tion par la voie ferrée. Il est rapidement mis hors de combat par le feu de la section Bouchard. Sur cette partie du front, la nuit sera marquée par des tirs intermittents d’armes automatiques.

Il n’en est pas de même à l’est.

Dès la chute du bois occupé par la section de droite de la 6e compagnie, l’ennemi s’infiltre en direction du coude 51-68 par les haies et bouquets d’arbres; il est repoussé par la section de la 5e com­pagnie qui s’y trouve (sergent-chef Frantzwa). Il n’insistera pas durant toute la nuit. Son effort se portera plus à l’est.

Le repli de la 6e compagnie a découvert le flanc gauche de la 10e et, dès 20 heures, un débor­dement du. bois de Crapeaumesnil est esquissé, bientôt arrêté par le feu de la section Braun. La tentative est répétée au crépuscule sans plus de succès. Il en est de même des invites de l’ennemi à cesser la lutte : « Nous ne vous en voulons pas, rendez-vous ! »; des rafales sont les réponses à ces propos.

Cependant, le commandant Jacquot prend les mesures qui s’imposent pour pallier la menace qu’il sent s’affirmer sur son flanc gauche. Il or­donne d’abord une concentration des feux de ses quatre mortiers sur les rassemblements ennemis que le bruit décèle vers la bifurcation du chemin de Crapeaumesnil et décide d’exécuter, avec son groupe franc, un coup de main sur ce point.

L’opération a eu lieu, à 23 heures. Le groupe arrivait à proximité de son objectif quand, au moment de s’élancer en avant, deux chiens se pré­cipitèrent sur lui. Il fallut les tuer à coups de baïonnette et leurs hurlements donnèrent l’alerte aux Allemands qui ouvrirent le feu. Son coup manqué, le groupe revint à la ferme Haussu, non sans avoir abattu un guetteur avant de se retirer.

L’ennemi envoie à son tour, vers 4 heures, une reconnaissance qui est signalée par le guetteur du groupe Camp, de la 10e compagnie. Dans l’aube incertaine, le sous-officier interpelle ces inconnus qui lui répondent : « Français ! » mais avec un fort accent allemand. Un blessé, soutenu par un gradé, s’avance même dans sa direction. Ne se laissant pas abuser par cette manœuvre, le sergent Camp et son groupe alerté continuent à observer et se rendent enfin compte qu’une importante patrouille, commandée par un officier, cherche à les encercler. Se sentant décelé, l’officier tire un coup de revolver sur Camp qui abat son adversaire au fusil; simul­tanément, le fusil-mitrailleur du groupe ouvre le feu, ainsi qu’une mitrailleuse voisine. La patrouille allemande se retire en désordre, abandonnant de nombreux cadavres sur le terrain et un sous-officier et deux hommes qui sont faits prisonniers.

La soirée et la nuit sont plus calmes devant la 11e compagnie, où la ferme Sébastopol flambe. Un groupe réussit à y pénétrer et en ramener le corps du sous-lieutenant Lucas.

La section Maranger n’a pas été inquiétée à la ferme Capron.

A la lisière nord du bois des Loges, dont l’ennemi n’a pas encore pris le contact, le bombardement est la seule manifestation à enregistrer. Elle est malheureusement opérante, car elle jette le désarroi parmi la section du lieutenant Chatot, qui est tué d’un éclat d’obus ainsi que deux fusiliers-tireurs. Le capitaine Lemaître rétablit son dispo­sitif dans la nuit; en particulier, il organise une nouvelle défense sur le layon central du bois.

Ainsi, à l’aube du 8, les piliers de la poche créée par l’ennemi tiennent toujours et la résistance qui en anime les défenseurs semble durable. Mais le Ier bataillon est maintenant très en flèche et les couverts qui bordent le chemin d’Amy, peu ou mal battus par la 5e compagnie, offrent à nos adversaires des cheminements pour déborder le bois de Crapeaumesnil. Par ailleurs, la 7e compagnie est sans liaison avec le bataillon Chauvelot et elle n’a aucune vue sur l’espace qui s’étend à droite de celui-ci. La protection des flancs intérieurs des I et III/109 est donc à envisager.

La situation au centre suscite des appréhensions encore plus vives. Que vaut le regroupement de la 6e compagnie exécuté en pleine nuit, immédiate­ment après un échec? Quel est l’effectif récupéré? Comment le commandement est-il organisé sur cette nouvelle ligne située en terrain nu et dominée à moyenne distance par le mamelon loi? Fidèle à sa tactique d’exploitation brutale de toute brèche qu’il a créée, il est très probable que l’en­nemi tentera très tôt de pousser en direction de Lassigny ou de Roye-sur-Matz.

Pour obvier à cette menace, la compagnie de commandement, personnel du P.C.R. I. compris, est installée à l’ouest de Fresnières tout en gardant le village; la section de mitrailleuses du lieutenant Bridon est avec elle. La 7e compagnie placera un groupe de mitrailleuses en flanquement en direc­tion de la corne sud-est du bois rectangulaire. Le groupe d’appui, encore très combatif malgré les nombreux bombardements dont il a été l’objet, reçoit comme mission de première urgence la défense antichars dans les deux trouées de Crapeaumesnil et d’Amy.

Enfin, le retour de la 1re compagnie est demandé au général commandant la division. Il est accordé : la compagnie Simonpieri rejoindra le régiment aux premières heures du 8 juin.

 

2° / Journée du 8 juin

 Dès l’aube, le bombardement de la partie nord-ouest du bois de Crapeaumesnil atteint une intensité impressionnante, surtout au saillant tenu par la 3e section de la 10e compagnie. Des infiltra­tions y sont bientôt signalées, considérablement gênantes parce que l’ennemi a installé des mitrail­lettes sur quelques layons; elles sont rapidement enlevées par une contre-attaque menée par le lieutenant Lot à la tête d’une dizaine d’hommes, et une accalmie se produit dans l’action de l’infan­terie allemande.

Cependant, le bombardement continue toujours aussi sévère sur cette partie du sous-secteur et, bientôt les pertes de la 10e compagnie deviennent inquiétantes; par contre, le reste du front n’est pas sérieusement assailli. La 1re compagnie, arrivée à Fresnières à 7 heures, est donc installée dans le boqueteau est du village, d’où elle prolon­gera vers l’arrière l’action de la 10e.

A 9 heures, l’ennemi pousse en direction des boqueteaux sud de 51-68 à la faveur des couverts et du tir de ses mortiers d’infanterie. La section de Mollans, de la 1re compagnie, part alors en renfort de la section de la 5e installée au coude même; le lieutenant de Mollans est blessé, mais ses hommes réussissent à contenir l’avance alle­mande sur ce point.

Vers le même moment, la ioe ne présente plus une densité de feux suffisante pour tenir face au nord tout en assurant la protection rapprochée de son flanc gauche. Le commandant Jacquot met à la disposition du lieutenant Lot ce qui lui reste de la 9e compagnie : le mortier de 60, la section du sous-lieutenant Gaurier à peu près complète et celle du sous-lieutenant Jarreau réduite à un groupe de combat. Ce renfort est réparti sur les deux faces de la compagnie. Le groupement nord, commandé par le sous-lieutenant Gaurier, parvient entre les 1re et 4e sections au moment où la lisière est l’objectif de tirs violents d’artillerie et d’infanterie. Son chef est tué pendant qu’il exécute sa reconnaissance; ses hommes s’instal­lent cependant et mettent en fuite quelques petits groupes qui avaient pu s’infiltrer entre les sections Texier et Delpeu.

L’ennemi élargit en effet son action vers|l’Est et la 11e compagnie est, vers 9 h. 30, violemment bombardée à son tour par artillerie et mortiers d’infanterie pendant que des infiltrations se pro­duisent dans le grand vide qui sépare sa droite de la ferme Capron, celle-ci demeurant toutefois en dehors de l’action. Malgré les pertes (20 % de l’effectif en deux heures), la 11e tient grâce à l’énergie du capitaine Denis, du sous-lieutenant Arnoud et de l’aspirant de Saint-Phalle; le bois est purgé des groupes ennemis qui avaient réussi à y pénétrer.

A 10 h. 30, la situation est rétablie sur tout le front du 3e bataillon et vers le chemin d’Amy. L’ennemi va orienter son effort sur Beuvraignes, l’autre bastion qui borde la brèche de Crapeaumesnil à l’ouest.

Le quartier du Ier bataillon est relativement calme jusqu’à 10 heures; les tirs intermittents d’artillerie sur les lisières nord et est de Beuvrai­gnes et sur la cote 97 sont les seules manifestations de l’activité ennemie.

Le bombardement prend une plus grande inten­sité à partir de 10 heures. Il est accompagné du tir d’un canon à trajectoire très tendue qui, installé vers la voie ferrée, détruit les emplace­ments visibles d’armes automatiques, particu­lièrement à la section Bouchard. Notre artillerie ne réussit pas à la contrebattre efficacement.

Vers 13 h. 30, la pression de l’infanterie alle­mande s’accentue, sous l’appui d’un redouble­ment des feux d’artillerie et des tirs de chars installés au sommet des pentes ouest du thalweg d’Amy. Son mouvement est ralenti par le groupe d’appui et stoppé par les feux des 2e et 3e compa­gnies, mais des renforts nombreux arrivent alors du nord et du nord-est et progressent vers le cimetière national; ils exercent bientôt une vio­lente poussée entre la voie ferrée et le cimetière.

C’est sur ce front étroit, et particulièrement vers la sortie est de la localité, que la lutte va se loca­liser entre des forces ennemies évaluées à un bataillon et la 2e compagnie du 109e , prolongée par la section de la 3e établie au cimetière.

Un compte rendu de la section Bouchard signale, vers 12 heures, la situation critique du groupe de mitrailleuses Revillon, qui semble entouré par l’ennemi. Le capitaine Pouteau fait immédiate­ment tirer son mortier de 60 à l’est de ce groupe et part lui-même vérifier le renseignement. Il constate que le phénomène du claquement, ignoré du chef de ce groupe, a causé une interprétation erronée de la situation : le tir d’un groupe F.V., installé vers le cimetière, est à la source de cette confusion. L’ennemi est encore à 200 mètres, mais progresse lentement à l’abri des cultures.

Afin de protéger plus efficacement son flanc, le capitaine pousse un groupe de la section Eymery au nord de la route d’Amy; malgré le bombar­dement et la fusillade très vive, le groupe est en place quinze minutes après avoir reçu sa nouvelle mission.

L’artillerie allemande pilonne sans arrêt le cimetière et les emplacements de la section Bou­chard; vers 13 heures, un agent de transmission annonce au commandant de compagnie la capture du groupe de mitrailleuses Revillon, le repli de la section Bouchard et celui de la section de la 3e qui occupait le cimetière. Les deux groupes restant de la section Eymery sont utilisés à col­mater la brèche créée d’une manière si inattendue. Afin d’agir avec toute la célérité possible, le capi­taine et le chef de section placent eux-mêmes cha­cun un groupe aux emplacements abandonnés, pendant que le lieutenant Bouchard reçoit l’ordre de rallier ses hommes au sud du chemin d’Amy et de s’opposer à toute infiltration entre les mai­sons.

Malheureusement le groupe de la section Eyme­ry, qui devait colmater la droite des emplacements ainsi récupérés, est décimé peu de temps après son installation et la situation du point d’appui du cimetière n’est pas éclaircie. Le flanc droit de la 2e compagnie est-il menacé de très près, alors que Pouteau n’a plus aucune réserve?

Des chefs de cette trempe n’abdiquent jamais: A l’ouest, la section du lieutenant Roux n’est pas accrochée et la liaison est solide avec le 44e régi­ment. Le capitaine y bondit, charge Roux de rétablir la situation et de renforcer la défense de la droite avec un de ses groupes.

Suivi du groupe Groselier, le lieutenant se dirige vers la ferme la plus proche du cimetière en cheminant au ras du sol. Après quelques arrêts, le petit détachement y parvient puis, en rampant, réussit à atteindre un emplacement d’où il découvre le groupe placé au nord du cimetière. Impossible d’aller plus loin car les balles de plusieurs armes automatiques viennent s’écraser sur le mur à un mètre au-dessus des têtes. Le F.M. est donc installé à l’endroit atteint, d’où son tir complétera celui du groupe installé vers les croix.

Il s’agit maintenant de remettre de l’ordre au nord du chemin d’Amy. Roux récupère quelques hommes installés dans la cour de la ferme, réussit à leur faire franchir le chemin et à les pousser à hauteur du groupe de mitrailleuses Gaillard et de la pièce de 25 Cordier, du 44e régiment, restés stoïquement à leur poste; de plus, le capitaine lui envoie un détachement composé de cuisiniers et de conducteurs. Bientôt, un front est reconstitué depuis la section Culson jusqu’au cimetière.

Une reconnaissance effectuée personnellement par Roux lui fait constater que la section de la 3e n’a pas quitté son poste de combat où le lieu­tenant Larousse se tient lui-même.

Après avoir chargé le sous-lieutenant Bouchard de prendre le commandement des éléments dispa­rates ainsi rassemblés, et installé le groupe Groselier dans la ferme dont les murs sont percés de créneaux après une heure d’efforts, Roux regagne le P.C. de sa compagnie, rendu très difficilement accessible par une mitrailleuse allemande qui, mettant à profit le flottement que ces événements ont suscité, s’est installée à 100 mètres au nord du cimetière; ses rafales balaient tout le terrain situé entre ce point et les emplacements qui vien­nent d’être occupés. D’autres armes automatiques renforcent les éléments qui ont enlevé le groupe Revillon et préparent une nouvelle progression.

L’avance ennemie ne se produira pas. Le mortier de 60 de la compagnie en anéantit toute tentative. La mitrailleuse est l’objet d’un bombardement de 75 demandé par le commandant Chauvelot au 44e R.I., pendant que les mortiers de 81 la pilon­nent avec des obus à grande capacité. Ses servants s’enfuient et la pièce restera muette jusqu’à la rupture du contact.

Ainsi, vers 17 heures, la 2e compagnie est tou­jours maîtresse de la partie du champ de bataille qui a été confiée à sa garde, malgré la forte pression qu’elle subit. A partir de 18 heures, l’ennemi va l’accentuer encore sur tout le front du régiment.

A l’ouest, le bombardement fait rage sur Beuvraignes et sur le cimetière national, pendant que l’infanterie s’engage cette fois dans la trouée de Crapeaumesnil. Elle ne peut tourner de près le Ier bataillon car le commandant Chauvelot, inquiet pour son flanc découvert depuis la veille, a obtenu de son voisin de gauche une section de fusiliers-voltigeurs qu’il a installée face à l’est, au sud de 97.

L’avance ennemie s’effectue donc droit au sud et ses premiers éléments peuvent arriver jusqu’à 100 mètres de la lisière nord du bois des Loges où la 7e compagnie tient bon, sous l’énergique impul­sion du capitaine Lemaître et du sous-lieutenant Prinzbach. Là encore, des tentatives de démorali­sation (propos défaitistes exprimés dans le fran­çais le plus correct), sont arrêtées par les rafales des fusils-mitrailleurs.

Devant le bois rectangulaire, l’infanterie attaque vers 18 h. 30, appuyée par l’artillerie. Cette action échoue sous le feu des armes automatiques de la 5e compagnie et le tir du canon ennemi qui s’abat sur ses propres fantassins.

Une demi-heure plus tard, l’attaque est reprise entre le bois rectangulaire et le bois de Crapeaumesnil avec appui d’artillerie et accompagnement d’une cinquantaine de blindés. Le capitaine Habert, en tournée à ce moment vers la 5e compagnie, alerte la, batterie en position dans les vergers de Fresnières qui tire à toute volée sur la crête de la bifurcation du chemin de Crapeaumesnil. Im­pressionnés par le barrage brutal ainsi réalisé, chars et infanterie refluent.

Opiniâtres, les Allemands tentent le déborde­ment du bois rectangulaire par l’ouest. Certaines fractions réussissent à en atteindre la corne sud-ouest; ils sont plaqués au sol par les feux du P.C.R.I. et de la section de mitrailleuses Bridon.

Ces différentes actions sont accompagnées d’un renouveau d’activité de l’infanterie ennemie sur le bois de Crapeaumesnil dont un bombardement intermittent a été la seule manifestation depuis la fin de la matinée. La 10e compagnie a subi des pertes qui l’ont épuisée. La 1re compagnie doit la relever à la tombée de la nuit mais, vers 20 heures, les Allemands réussissent à s’infiltrer dans le bois entre la 3e et la 2e section et derrière la 3e, d’où une arme automatique bat le layon central.

La 11e compagnie subit, elle aussi, une violente pression dont les résultats sont des infiltrations sur plusieurs points de son front, jusqu’à l’arrière des sections qui tiennent la lisière.

Au soir du 8 juin, le régiment est donc fixé à petite distance par une infanterie qui, malgré ses pertes, tente de progresser quand même. A l’ouest, les 2e et 3e compagnies sont serrées de près. A l’est, le 3e bataillon a son dispositif ébréché par quelques infiltrations suffisamment profondes pour gêner sérieusement la défense. Au centre, l’as­saillant est au contact très proche du bois des Loges et du P.C.R.I. ; le long du chemin d’Amy, des groupes adverses sont arrêtés de justesse par la section de Mollans et celle du sergent-chef Frantzwa.

Déjà difficile naturellement sur ce front de 7.500 mètres, la liaison est perdue avec le Ier ba­taillon depuis la chute de Crapeaumesnil. Il en est de même vers le 3e bataillon. A 18 heures, le P.C. de la ferme Haussu a été bombardé et incendié; grâce à l’énergie des cadres, du dévoue­ment du médecin-lieutenant Guyot qui réussit à sauver les nombreux blessés réunis dans les bâti­ments de la ferme, la majeure partie du personnel sort heureusement de cette dure épreuve, mais dans un désarroi préjudiciable au bon fonctionnement de l’organe de commandement. Seul, le P.C. du 2e bataillon est facilement accessible, car il a été rappelé à Fresnières le matin du 8, afin de coor­donner la défense du bois rectangulaire et celle du village au moment où la poussée allemande s’a­vérait dangereuse en direction de Canny-sur-Matz.

Enfin, le ravitaillement en vivres n’est pas parvenu le 8 aux unités; celles du Ier bataillon n’ont rien perçu depuis le 6 au soir; toutes les tentatives faites en vue de pousser les roulantes vers Beuvraignes ont échoué du fait du bombar­dement par canon et par avion. Les cadres et les hommes n’ont pas pris un seul instant de repos et les nerfs sont soumis à une tension pénible, que l’activité soudainement accrue de l’aviation enne­mie accuse encore.

Telle est la situation lorsque les ordres de repli parviennent au P.C.R.I.

 

3° / La rupture du contact

 C’est d’abord, à 18 heures, l’ordre de charger les impedimenta de façon à permettre leur déplacement éventuel dès la nuit tombante. A 19 h. 15, un ordre préparatoire : « Préparez-vous à décro­cher. Prévenez votre groupe d’appui qu’il partira avant vous »; cet ordre est transmis aux unités à 19 h. 30 sous la forme suivante : « Se préparer à un repli, probablement dès la nuit selon ordres ultérieurs ».

L’ordre d’exécution arrive à 21 heures. Pour le 109e, il s’agit de se porter dans la région de Rouvillers — Cressensac par Conchy-les-Pots, Cuvilly, Belloy, Moyenneville, soit ‘une étape de 32 kilomètres dont 26 à exécuter sous la seule protection d’arrière-gardes légères avant de passer sous celle de la 29e D. I., qui doit tenir le cours de l’Aronde. Les chefs de corps sont autorisés à prescrire des grand’haltes dans des emplacements camouflés si, au lever du jour, l’état de la troupe et le danger aérien l’exigent.

Or, la nuit a une durée d’environ six heures, de 22 à 4 heures. Il est donc certain que l’Aronde ne sera pas atteinte avant l’aube, car on ne peut espérer faire marcher les hommes à la vitesse horaire de 4 kilomètres, et les appareils ennemis qui survolent sans arrêt le sous-secteur interdisent de dévoiler les mouvements de repli par des dépla­cements amorcés de jour. Les motocyclistes de la section d’éclaireurs, les cyclistes du P.C.R.I. et de la compagnie de commandement partent cependant vers 21 heures pour jalonner l’itinéraire afin d’éviter toute erreur de parcours et toute perte de temps; eux seuls sont en mesure d’être placés de jour, sans hésitation, jusque sur l’A­ronde.

Le repli est organisé de la façon suivante :

  • à 22 heures : départ des éléments non au contact;
  • à 22 h. 30 : départ des éléments au contact sauf des sections maintenues jusqu’à 0 heure au
    carrefour sud de Beuvraignes, au cimetière national, à la sortie sud-est de Fresnières.

Les ordres partent du P.C.R.I., à 21 heures. Ils touchent rapidement le commandant Boix, mais il n’en est pas de même aux Ier et 3e batail­lons. Les motocyclistes envoyés auprès du comman­dant Chauvelot doivent passer par Roye-sur-Matz, Conchy-les-Pots et Tilloloy. Retardés en outre par l’état des chemins et par le bombardement de Beuvraignes qui continue sans trêve, ils ne s’acquitteront de leur mission qu’à 23 heures.

Le sous-officier de liaison envoyé au 3e bataillon disparaît dans le bombardement de la ferme Haussu et c’est à 22 heures que le commandant Jacquot recevra une copie de l’ordre qui lui était destiné.

Les agents de transmission des I et III/109 accompliront des prouesses pour atteindre leurs commandants de compagnie, particulièrement ceux des 10e et 11e; assaillis dans le bois par les fractions ennemies qui s’y sont infiltrées, ils sau­ront leur échapper et exécuter leur mission. Le soldat Crinière accomplit là son vingtième va-et-vient depuis le début du combat; la volonté farouche de faire tout son devoir lui donna la force de transmettre le dernier ordre, malgré la fatigue extrême qui semblait devoir le terrasser.

Grâce à la lucidité d’esprit des chefs de bataillon et à l’énergie de tous les cadres, le décrochage s’opère cependant. Très fatigué lui-même, l’ennemi ne réagit que par des feux mal ajustés. Le III/I09 bouscule les éléments qui ont pénétré dans le bois de Crapeaumesnil; les I et II/109e se dégagent aisément. Il en sera de même des sections laissées en « arrière-garde ».

Le 109e quitte volontairement et en ordre le terrain qu’il a défendu avec l’énergie que l’on attendait de lui. Mais il est déjà certain qu’il n’atteindra pas l’Aronde avant le jour : touchées tardivement par les ordres de repli, les unités du I/I09e rompront le contact à partir de 0 heure et, à 23 h. 30, le commandant du III/109e rallie encore les siennes vers les bâtiments embrasés de la ferme Haussu.

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Les forces matérielles en présence étaient iné­gales. D’un côté, des chars, une aviation et une artillerie nombreuses, une infanterie remarquable­ment armée, équipée et entraînée. De l’autre, absence complète de blindés et très éphémère apparition de quelques avions dont les deux tiers seront abattus par la D.C.A. puissante de l’en­nemi, manque total d’armes antiaériennes spécia­lisées, déficit de trois canons de 25, infanterie dont une partie des hommes va recevoir le baptême du feu sans pouvoir se couvrir d’obstacles naturels sérieux et dans un dispositif peu dense, aux nom­breux intervalles, un seul groupe d’artillerie dure­ment frappé avant sa mise en place, dont l’obser­vatoire sera neutralisé dès le début du combat et qui sera violemment bombardé pendant toute l’ac­tion; les feux d’armes automatiques seront eux-mêmes grandement réduits par les cultures.

Mais les forces morales étaient à égalité. Malgré sa grosse supériorité matérielle, l’ennemi ne passa pas. Il ne put exploiter son succès local du 7 parce que la résistance acharnée de la poignée d’hommes d’un groupe franc sur loi’ le rendit circonspect, parce que l’admirable conduite du combat des 2e et 10e compagnies ne lui permirent pas d’agran­dir la brèche précairement colmatée à hauteur du Buvier, parce que le moral des cadres et des hom-mes fut à la hauteur de la mission qu’ils avaient reçue.

Et cependant la lutte fut sévère. Le 109e y perdit une centaine de tués, dont cinq officiers, malgré l’existence de tranchées creusées à tous les emplacements de combat; le tir fusant de l’artil­lerie causa les pertes les plus nombreuses, alors que les bombes n’en provoquèrent qu’en terrain découvert. Deux cents blessés environ furent évacués grâce au courage des médecins et des bran­cardiers : le médecin-capitaine Neimann, du Ier ba­taillon, assura personnellement le ramassage des blessés jusqu’aux postes de combat avancés, sans souci de la mitraille de toute nature qui frappait à ses côtés. Quant aux pertes de l’ennemi, elles furent certainement considérables si l’on en juge par l’activité déployée, à l’arrière du champ de bataille, par son personnel sanitaire.

Cette tenue au feu eut pour résultat un décro­chage relativement aisé, sauf au 3e bataillon, malgré l’existence d’un contact étroit et la volonté manifestée par l’ennemi de ne pas le relâcher.

Le régiment part ainsi vers de nouvelles mis­sions avec la certitude d’avoir rempli totalement celle qui lui fut confiée sur un champ de bataille déjà illustré au cours de là première guerre mon­diale.

Il va monter un dur calvaire.