26e R.I., 11e Cie (11e D.I)

Témoignage du 1ère classe Marcel CLEMENT

RI 26

 

20 mai 1940

Les premiers convois arrivent dans le secteur de Compiègne, déjà avec un certain retard, ayant été dans l’obligation d’emprunter des lignes secondaires et sinueuses pour éviter les lignes principales déjà détériorées ou bombardées. Que de dégâts sont déjà apparents un peu partout !

Aux passages à niveau apparaissent les premiers convois hétéroclites de réfugiés s’éloignant rapidement des lignes de front, vers le sud, avec des véhicules de toute nature bicyclettes, voitures d’enfants, chariots agricoles, sur lesquels sont empilés matelas, ballots de linge etc.…

Les plus aisés ont garni leur voiture automobile intérieurement et extérieurement. Spectacle très émouvant et combien triste de voir toutes ces populations fuirent leurs maisons, leurs villages, ayant abandonné presque tout. Combien cela doit être dramatique ! Cela nous laisse perplexe quant à l’avenir…

Pour ma compagnie, la 11e du capitaine LEFORT, notre voyage en train est interminable. Nous avons hâte d’arriver à notre nouvelle destination, mais que s’y passe-t-il déjà ? Peut-être les troupes allemandes ont-elles encore gagné du terrain ? Le capitaine DE BRUC, de l’Etat-major de la division, installé en gare du Bourget dirige les trains successifs sur la région sud de Compiègne. Le poste de commandement de la division s’installe provisoirement à la Croix-Saint-Ouen. Toute la journée l’aviation ennemie redouble d’activité. Le quartier général de la division est bombardé à son arrivé en gare de Verberie par une vingtaine d’avions. Heureusement on ne déplore que deux blessés, mais que de dégâts !

Ce même jour à 22 heures, le dernier train de la division quitte la gare de Morhange en Lorraine. Les convois arrivent lentement et irrégulièrement. Les gares de Verberie et Meaux ayant été sérieusement bombardées, les débarquements se font plus au sud et à l’ouest.

La 11e Division d’Infanterie fait partie désormais de la 7e Armée, sous les ordres du valeureux général FRERE qui avait commandé la division en 1935 et qui est encore très estimé parmi les anciens ce qui ne fait que renforcer le moral de la troupe, lequel est déjà excellent.

La mission de la 11e Division est donc à présent de tenir la charnière Oise-Aisne en formant un barrage de 2e position sur l’Aisne de Compiègne à Attichy. En ce qui concerne le 26e Régiment d’Infanterie, sa mission est de défendre son sous-secteur sur l’Oise entre Saint Germain et Armancourt. Notre valeureuse 11e Division va donc se trouver à pied d’œuvre pour participer pleinement aux prochains combats qui ne tarderont sûrement pas à se déclencher.

 

23 mai 1940

Le train dans lequel je me trouve, au sein de la 11e Compagnie du capitaine LEFORT, arrive en gare de Pont-Sainte-Maxence. Peu après notre débarquement, il nous faut nous rassembler et entamer ensuite avec tout notre 3e Bataillon, un mouvement vers le nord, vers Thourotte – Montmacq – Ribécourt. Nous sommes surchargés par l’important équipement du soldat d’infanterie et avec la chaleur nous commençons à souffrir pas mal !

Quelques kilomètres après Pont-Sainte-Maxence, en bordure de la route que nous empruntons, quatre petits chars Renault sont stationnés. Près d’eux, un colonel (très grand), vêtu de cuir et portant le casque de l’armée blindée suit attentivement du regard notre lente progression qui s’effectue dans l’ordre (26e RI oblige). Aucun de nous ne semble s’inquiéter des lendemains qui nous attendent. Quelque temps plus tard nos officiers nous informant que l’officier de chars que nous avons vu est le colonel Charles de Gaulle, de l’Armée blindée, et qui se trouve prêt à intervenir afin de nous protéger en nous appuyant en cas de nécessité ou pour une toute autre intervention.

Notre marche vers le nord se poursuit vers La Croix-Saint-Ouen – Royallieu – Compiègne Thourotte – Montmacq. En traversant Compiègne, nous constatons que la ville est très endommagée par de récents bombardements. Nous croisons toujours beaucoup de réfugiés, descendant toujours vers le sud. Parmi eux, quelques soldats isolés, sans arme et paraissant hébétés, désemparés, fuyant peut-être les lieux de combat ou ayant perdu leur unité. Cela nous paraît bizarre et nous voudrions bien comprendre !

 

24 au 26 mai 1940

Notre avance vers le nord est souvent perturbée par des alertes car des avions d’observation allemands sillonnent le ciel et nous devons nous dissimuler le plus possible. Notre mouvement vers le nord est très lent car nous sommes très chargés et il fait très chaud, la marche est très pénible. Au loin, nous entendons le bruit du canon presque de façon permanente, ce qui signifie que nous nous rapprochons du front et … peut-être du contact !

 

31 mai au 3 juin 1940

Après avoir traversé la magnifique forêt de Compiègne avec beaucoup de précautions car l’avion d’observation allemand est souvent au-dessus de nos têtes (nous l’avons appelé le « mouchard » car peu après qu’il avait disparu nous étions bombardés par l’artillerie allemande) nous continuons à avancer sporadiquement. Nous faisons de nombreux arrêts que nous mettons à profit non pas pour nous reposer mais pour creuser quelques trous d’abris de protection, d’appui ou de défense. A peine avons-nous pu constituer quelques emplacements ou aménagements, il nous faut à nouveau reprendre notre progression.

3 juin 1940

Nous avons la visite du général FRÈRE qui, en détail, inspecte ses troupes, ses différentes positions ou emplacements. Il paraît très confiant et satisfait de notre moral. Il nous félicite pour notre belle allure de soldats, bien décidés à exécuter avec ardeur les ordres et missions futures.

 

5 juin 1940

Vers 14 heures toute la division est en état d’alerte. Une attaque ennemie semble se déclencher sur tout le front. Sûrement que l’ennemi veut s’approcher le plus près possible de paris et exerce notamment son effort dans la région de l’Ailette entre Laon-Soissons et l’Oise, vers Foucaucourt-Chaulnes-Roye.

Beaucoup de blindés, d’importantes formations d’infanterie appuyées par artillerie et aviation sont signalées. L’heure de la bataille de France approche pour le 26e Régiment d’Infanterie. Le 24e Corps d’Armée du général Frère borde sur tout son front la coupure Ailette – Oise – Canal Crozat – Somme. Le 1er Corps d’Armée n’atteint la Somme qu’à sa droite, en amont de Pont-les-Brie, dans la courbe sud de Chipilly. A l’ouest d’Amiens, les divisions de cavalerie ont poussé leurs avant-gardes sur la Somme, dans la région d’Hangest et Longpré. Ailleurs l’ennemi tient les têtes de pont de Péronne – Amiens – Abbeville. Des ponts sont détruits sur l’Ailette, l’Oise, le Canal Crozat et la Somme.

 

7 juin 1940

La progression de l’ennemi se poursuit et à 16 heures les premiers éléments sont signalés à 4 km des positions du 26e RI. Dans la soirée les ponts sautent sur l’Oise, l’Aisne, sauf le pont rail de Compiègne. Le bruit du canon s’intensifie et le bruit de la fusillade est de plus en plus nettement perçu. La grande bataille de France semble bien engagée. Nos troupes paraissent dispersées ou écartelées entre-elles. Les liaisons sont difficiles.

Notre moral est bon, malgré tout de même une certaine appréhension naturelle et nous demeurons tous confiants en nos chefs. Nous réussirons certainement à contenir l’ennemi. Certes nous n’avons pas beaucoup de moyens ! Pas d’avions français dans le ciel, pas de chars ! Mais sûrement que l’artillerie du 8e RAD de la division nous appuiera et nous épaulera.

Les combats se rapprochent beaucoup. Notre 11e Cie se replie un peu, par un changement de direction, vers Attichy. Le reste du 3e Bataillon du 26e RI, dans la région de Pierrefonds renfloue quelques éléments isolés et renforce le flanc droit de la 11e DI très menacée. De violents combats sont en cours devant nous et dans tout notre environnement. Nous nous sentons de plus en plus exposés.
À Attichy, une section prend position à l’extrémité sud-ouest du pont. Moi-même, je me trouve avec trois camarades dans un gros trou et avec notre fusil-mitrailleur nous pouvons prendre le pont en enfilade et en interdire l’accès.

Vers midi, environ, soudain une très violente explosion retentit et nous coupe le souffle en nous enveloppant d’une épaisse fumée et de poussière. C’est le pont que nous gardions qui vient de sauter par les soins du Génie français. Un énorme nuage de fumée dans lequel se mêlent des débris de béton et de ferraille de toutes grosseurs passe au-dessus de nos têtes dans un sinistre miaulement.
Nous avons eu très peur. Nous sommes assez vite réconfortés à la pensée que cette destruction du pont empêchera sûrement l’ennemi de progresser.

Hélas, il nous faut revenir vite de nos illusions car quelques heures après, les Allemands franchissent la rivière sur de nombreuses embarcations bien adaptées à ce genre d’exercice.

 

8 juin 1940

Cette fois, la 11e Division d’Infanterie est maintenant en 1ère ligne derrière l’Oise et l’Aisne. Le sort en est jeté et c’est sur un front de près de 35 kilomètres qu’elle va devoir affronter la bataille et face à au moins trois divisions ennemies.

Nous recevons l’ordre de nous replier quelque peu, sous une chaleur torride et accablante, et aussi sous les « Stukas » qui effectuent leur ballet aérien au-dessus de nous en lâchant leurs bombes en piqué et avec des sirènes hurlantes. C’est très démoralisant et cela fait frémir. Quoi faire sinon le gros dos ?

Nous apprenons que des unités du 170e RI sont menacées d’encerclement et que peut-être il va falloir contre-attaquer pour essayer de les dégager. Pas question d’approfondir une telle hypothèse. La 11e Cie du Capitaine Lefort (ma compagnie) fait mouvement vers Cuise-la-Motte, le Mont Berny et Roislaye. L’artillerie allemande nous bombarde copieusement et la fusillade éclate partout.
A 17 heures, le commandant du 1er bataillon du 170e RI rend compte, par radio, qu’il est encerclé dans Croutoy.

La chaleur est toujours aussi accablante et sans le moindre souffle. Notre lourd équipement nous colle au corps et nous paralyse dans tous nos mouvements.

 

9 juin 1940

La pression ennemie s’accentue sur la droite de la 11e DI dont l’artillerie concentre ses tirs sur les rassemblements ennemis du Nord de l’Aisne. Les deux bataillons de droite du 170e RI réussissent, au prix de pertes très sévères, à se décrocher.
Suite au message radio du 1er bataillon du 170e RI signalant son encerclement, le général ARLABOSSE, commandant la 11e DI, décide aussitôt de faire contre-attaquer sur Croutoy le 3e Bataillon du 26e RI, y compris ma compagnie qui fait déjà mouvement vers le bois au Nord de Saint-Étienne.

Il est environ 19H30, et suite à des ordres successifs, nous arrivons aux emplacements de départs prévus pour toute action possible. Nous continuons encore un peu notre progression vers Roislaye puis vers l’Ouest de Croutoy. Après avoir poursuivi quelque peu notre avance, toujours sous un soleil brûlant, nous arrivons sur la hauteur, et cette fois, nous voici en terrain découvert, ce qui permet aux Stukas de mieux nous repérer par la poussière que nous provoquons en nous déplaçant.

Cette fois je crois que nous pénétrons au cœur du problème. L’artillerie allemande demeure très active et notre marche à contre-pente en direction de Croutoy devient très pénible et dangereuse. Une section de mitrailleuses appuie la 11e Cie tandis que la 9e du 26e RI se dirige vers l’Est de Croutoy. Les armes automatiques ennemies crépitent de toutes parts.

Avec toujours beaucoup de difficultés, nous progressons dans un champ de blé dont la hauteur dépasse le mètre. Cela tire de partout et nous sommes vraiment très exposés, les balles sifflant et miaulant sans cesse au-dessus de nos têtes. Malgré tout, rien ne nous arrête, le moral reste très ferme car la pensée de savoir nos camarades du 170e RI si près de nous, encerclés et menacés, nous donne encore plus de mordant et d’ardeur.

Le bruit devient insupportable. Nous sommes trempés de transpiration, les vêtements nous collent au corps, les pieds et les mollets gonflés augmentent encore les difficultés de se mouvoir. Ah ! Ce maudit équipement de fantassin ! Il ferait si bon pouvoir courir, bondir vers l’ennemi mais hélas !

À présent la nuit est presque tombée. Il est environ 22 heures. Tout-à-coup se déclenche un très violent tir d’artillerie, de protection et d’encagement, effectué par nos valeureux camarades artilleurs du 8e RAD et du 208e RALD. Les obus se succèdent dans un véritable déluge de feu et passent au-dessus de nos têtes dans un bruit infernal pour aller s’écraser sur les positions ennemies tout autour de Croutoy. Quel feu d’artifice, splendide pour certains, dramatique pour d’autres !

Finalement l’ordre de passer à la contre-attaque nous parvient et nous prescrit de faire mouvement immédiatement, la 11e Cie vers l’ouest et la 9e vers l’Est. Nous avons mis la baïonnette au canon et dans un élan magnifique, comme si nous étions propulsés, pénétrons dans les abords de Croutoy. Nous ne pouvons avancer aussi rapidement que nous le voudrions car il faut très souvent faire du plat-ventre pour repartir ensuite. Nous avançons sans penser au danger, sans hésitation, bien décidés à accomplir notre mission jusqu’à son terme. C’est véritablement l’enfer. De nombreux incendies dans le village de Croutoy illuminent toute la zone et, avec la fumée et le bruit, nous sommes comme des ombres chinoises furtives. Le spectacle est dantesque et l’on se croirait en pleine superproduction cinématographique.

Je me souviens encore avoir parcouru une ou deux rues du village parmi des débris de toutes sortes, d’équipements militaires, de corps recroquevillés sous des uniformes que nous ne connaissions pas. Je me souviens également avoir aperçu, ou plutôt distingué, dans la fumée et la lueur des incendies la silhouette d’un château au milieu d’un parc jonché de corps et de débris. C’était le château de Croutoy. Le bruit assourdissant, les incendies, la fumée donnaient vraiment une impression d’apocalypse. La peur, l’angoisse, le désespoir nous traversaient aussi brièvement qu’une décharge électrique, et par contre nous procuraient une nouvelle impulsion de foncer. Petit à petit les combats diminuent d’intensité. Nous nous trouvons dans un environnement très suffocant des maisons qui brûlent et dont l’odeur nous prend à la gorge. Nous avons une soif terrible !

 

10 juin 1940

Au petit jour nous nous replions légèrement et nous nous trouvons mêlés aux soldats du 1er Bataillon du 170e RI qui viennent d’être libérés. Ils nous sautent au cou, nous embrassent, pleurent et ne savent comment nous remercier de les avoir ainsi secourus, et de leur avoir ainsi évité l’anéantissement ou la capture. Ce sont des instants inoubliables pour les uns et les autres et toujours bien présents dans nos esprits. Quelques jours plus tard nous avons su que notre contre-attaque avait pleinement réussi et qu’au cours de ces durs combats les pertes allemandes étaient énormes.

La 11e Cie fait ensuite mouvement vers Ormoy-Villers, Rouville, Rosières. Dans cette dernière localité il faut nous préparer à nouveau pour une nouvelle contre-attaque mais cette fois pour nous dégager et dégager d’autres unités du 26e RI menacées d’encerclement. Il faut dire qu’aux endroits où les troupes ennemies ne trouvaient qu’une faible résistance, elles fonçaient rapidement, neutralisant tout sur leur passage. Pendant ce temps, là où les unités françaises tenaient bon, ces unités au bout d’un certain temps se trouvaient au centre de tenailles ennemies.

À Rosières, parmi jardins, clôtures, talus etc.… et toujours par bonds successifs, nous gagnons de nouvelles positions. Au cours de ces rapides déplacements, je m’aperçois subitement avoir perdu mon masque à gaz ! Mais où ? Pas question de revenir en arrière ! J’en suis profondément choqué car brusquement toute la région se trouve enveloppée d’un épais brouillard de fumée. Craignant l’arrivée de gaz, mes camarades mettent leurs masques en position de protection. Inutile de dire que je les regarde avec une certaine angoisse et beaucoup de tristesse. Que vais-je devenir ?
Tout va très vite et suite à la panique du moment, revient le soulagement. Il ne s’agit que de fumée venant de notre Sud-ouest. Nous apprenons plus tard qu’il s’agissait de l’incendie de dépôts d’hydrocarbures dans la région parisienne.

Vers 15 heures, en cette journée du 10 juin, alors que cette nappe de fumée se dissipait, je me trouve en observation derrière un petit mur de jardin avec deux ou trois camarades pour alternativement observer ce qui se passe devant nous. De temps en temps et à tour de rôle nous nous levons quelque peu pour émerger lentement la tête au-dessus du mur. Face à nous, dans les champs de blé, nous apercevons quelques Allemands se faufilant dans notre direction.

Brusquement, un très grand bruit, de la fumée, de la poussière, et mes camarades et moi-même nous nous retrouvons tombés sur le dos parmi des débris de pierres du petit mur derrière lequel nous nous trouvions. Assez surpris et ne comprenant rien à ce qui venait de nous arriver ; mais de dépasser nos têtes par intermittence au-dessus du mur, nous avons certainement été repérés et un projectile a certainement été dirigé vers nous. Plus de peur que de mal et nous avons immédiatement changé d’emplacement.
Les jours qui suivirent n’ont pas été de tout repos pour notre valeureuse 11e Cie. Nous n’avions aucune nouvelle de nos camarades et de notre capitaine Lefort. Plus tard nous apprenons que le Capitaine Lefort et trois sections étaient portés disparus aux environs de Le Luat. Peut-être capturés ?

 

11 juin 1940

En fin d’après-midi, alors qu’avec ma section nous étions en somme les seuls rescapés de la 11e Cie, nous prenons position dans un petit bois afin de nous réorganiser un peu : construire quelques petits abris sommaires, quelques trous, des emplacements de tir etc.…

L’artillerie allemande reprend énergiquement son activité. Nous entendons beaucoup de bruit devant nous. Il semble qu’il s’agisse de convois routiers ou de blindés qui viennent dans notre direction. Nous nous rendons vite compte que le danger se rapproche rapidement.

Avec deux ou trois camarades nous allons vers l’arrière chercher des caisses à munitions pour nous permettre d’être bien approvisionnés. Après quelques trajets effectués, et au retour dans notre petit bois, nous nous trouvons pris brusquement sous une pluie d’obus qui éclatent tout autour de nous. Nous nous rendons vite compte qu’il s’agit d’un tir important visant les troupes ennemies faisant mouvement devant nous. Toutefois le tir semble mal réglé ! Ce sont des minutes qui paraissent très longues en de telles circonstances. Des arbres volent en éclats, nous sommes recouverts de terre à plusieurs reprises.

Le tir semble se corriger et l’on entend cette fois les obus passer au-dessus de nos têtes pour aller s’écraser en avant de nous. Cette fois nous pensons que ce sont les Allemands qui sont arrosés. Brusquement d’autres obus tombent et éclatent près de nous. Des français, des allemands ? Impossible de le définir. Il fait nuit et brusquement je me sens soulevé très haut pour retomber ensuite et être au ¾ recouvert de terre. Je suis dans un trou et je ne peux plus dégager mon sac coincé par la terre. Je baisse la tête et me protège du mieux que je le peux en attendant que ce bombardement se termine.
Peu après, j’appelle au secours mais aucune voix ne me répond. Tout-à-coup, alors que je m’étais profondément endormi, rompu par la fatigue, je me sens brusquement secoué et quelqu’un me disant « allez Marcel ! Réveille-toi vite, je suis venu te chercher ! Il faut se sauver vite ! »

C’était mon chef de groupe, le sergent-chef GAUTHIER qui était venu me rechercher. La section ayant fait mouvement, ce sous-officier s’est aperçu que je n’étais pas là et est revenu en arrière pour me sauver. Grâce à Dieu j’ai pu être sorti de là et retrouver mes camarades et le reste de la section. Je me rappellerai toujours de ces moments. La providence ? Cela existe bien et j’y crois encore !
La section, reprend son repli dans l’obscurité, troublée parfois par des rougeoiements d’incendies. La marche est très pénible, à travers champs et bois. Nous retrouvons d’autres soldats qui ont perdu leur unité et qui sont heureux de se joindre à nous. Mais hélas ils n’ont plus d’armes ! Cela nous choque car en ce qui nous concerne, jamais en de telles circonstances nous n’aurions voulu être dépourvus de nos armes.
Nous marchons un peu au hasard, sous une grande fatigue et avec un très gros besoin de sommeil et toujours dans la crainte de l’encerclement.

Nous retrouvons enfin d’autres unités du 26e RI et nous nous éloignons de Rosières et Crépy-en-Valois

 

© Marc Pilot – Picardie 1939 – 1945 – janvier 2012