12e RAC (4e DIC), Aspirant Lavaud

Aspirant André Lavaud

12e Régiment d’Artillerie Coloniale, 1er Groupe, 3e Batterie

IDDN Certification

LE RETOUR

15 JANVIER 1949

Eglise N.D. de France – JUVISY

II est 14 h.15… Il fait très froid…

Beaucoup de monde devant l’église, famille, habitants de Juvisy, anciens camarades, représentants du Collège St Charles, Scouts de France, amis connus et inconnus, tous réunis pour t’accueillir et te rendre hommage André, car enfin « Tu rentres à la maison » pour que ton corps repose à Juvisy dans le « Carré des soldats », ce coin de cimetière réservé aux Enfants de Juvisy « Morts pour la France ».

André, mon grand frère, tué à la guerre en 1940, enterré comme « Inconnu », exhumé neuf mois après, identifié mais sans que sa famille qui le recherchait soit prévenue, dont la tombe a été retrouvée par hasard en 1942, dont les objets personnels qui formaient un paquet précieux pour sa famille se sont trouvés enfouis dans les décombres de sa maison et miraculeusement retrouvés.

André ne voulait pas rester « l’introuvable ». Tu étais si gai et si vivant mon grand frère… Tu ne pouvais pas partir ainsi sans laisser d’adresse… Ce fut ton dernier « Jeu de piste »…

Et moi, je me souviens…

Ce 15 Janvier 1949 est la fin d’une longue période d’attente, de tristesse, qui a débuté en 1939.

Année scolaire 1938-1939

Après son Bac de maths-élem, André entre au Lycée Charlemagne à PARIS en classe de Mathématiques spéciales, son but étant l’Ecole Polytechnique (il fallait bien un matheux dans la famille, ça n’était pas courant).

Depuis plusieurs mois on parlait beaucoup de la guerre qui pourrait avoir lieu. Elle devenait inévitable, l’Allemagne dirigée par ce mégalomane d’Hitler réclamant plus « d’espace vital »… Il avait envahi la Tchécoslovaquie, l’Autriche et réclamait l’Alsace-Lorraine. Puis il avait signé avec les Russes un pacte de non-agression.

Au mois d’août 1939, beaucoup de réservistes avaient été rappelés sous les drapeaux et envoyés surtout sur la ligne Maginot que l’on pensait imprenable. Dans les champs où la main-d’œuvre manquait, des scouts essayaient de remplacer les hommes mobilisés. André était dans la Beauce avec la troupe scoute du collège pour la récolte des pommes de terre.

Vers la fin août, on commence à voir passer des trains de militaires de réfugiés d’Alsace-Lorraine, ces derniers ayant pour la plupart tout abandonné chez eux, de peur de l’invasion allemande. Les quais de la gare étaient gardés par gendarmes et des policiers… L’ambiance était donc tout à fait spéciale

Et le 1er septembre 1939, l’ordre de mobilisation générale a été donné, les Allemands ayant envahi la Pologne.

Ensuite, tout va très vite. Le 3 septembre, la France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne… C’est un triste Dimanche. Depuis le pont de la gare nous regardons passer les trains de soldats partant pour le front et se dirigeant vers l’est, alors que les trains de réfugiés du nord et de l’est de la France descendent vers le Sud.

André est revenu dès le 1er septembre et il allait avoir 18 ans le 4 septembre, c’est-à-dire le lendemain de la déclaration de guerre. Sa décision est prise : il va s’engager. Une possibilité est donnée aux futurs Polytechniciens ayant déjà fait une année de mathématiques spéciales, de s’engager et de commencer par l’Ecole d’Application d’Artillerie à Fontainebleau (ce qui se fait – ou se faisait à l’époque – après le passage à Polytechnique). Tout le monde pense que la guerre sera très courte avec la victoire au bout ! André pense qu’ainsi il ne perdra pas de temps et que c’est son devoir de partir puisqu’il avait décidé de faire à la sortie de l’X une carrière militaire au moins pendant le temps qu’il devait rester au service de l’Etat pour « rembourser » ses études.

Il fait donc toutes les démarches et intègre l’Ecole d’Application d’Artillerie de Fontainebleau où il se retrouve élève-officier après avoir « fait ses classes » comme canonnier. Il est ravi, fait des maths à outrance et apprend en même temps le métier militaire. Nous le voyons presque toutes les semaines ; quand il n’a pas de permission il passe le Dimanche à Veneux chez Parrain et Marraine qui ont provisoirement quitté PARIS dans l’attente des événements. Et il retrouve à l’E.A.A. François Garien, l’ami du Lycée Charlemagne, qui lui n’est pas engagé mais appelé puisqu’il a vingt. Du Lycée ils continuent et leurs études et leur amitié.

L’hiver passe ainsi. Papa a été mobilisé en Novembre. Maman et moi sommes donc seules. Le temps passe avec des occupations diverses et la « drôle de guerre » continue… L’hiver 39/40 est très rude pour tous. Nous vivons au jour le jour en attendant quoi ? On ne sait trop… Rien à signaler sur le front de l’Est. C’est l’attente… Les soldats n’ont pas le moral. Papa est mobilisé à PARIS dans la D.C.A.

Pour nous, les semaines sont entrecoupées des visites de Papa et André. Noël 1939 nous réunit tous les quatre. Ce sera la dernière fois…

Printemps calme pour nous tous. André poursuit très bien ses études à Fontainebleau. En Avril 1940 il passe l’examen et est reçu 12eme sur toute l’Ecole dont certains élèves sont déjà polytechniciens…. Cela lui donne le droit de choisir l’unité dans laquelle il veut aller (malheureusement). On lui propose des unités sur le Front ou Instructeur dans le Centre de la France… Son choix est sans appel : il ira sur le front car il ne s’est pas engagé pour « aller se planquer » à l’arrière, mais pour se battre pour son Pays. C’est très clair et c’est son droit… Il choisit donc le 12eme Régiment d’Artillerie Coloniale (régiment de Sénégalais), qu’il rejoint en Lorraine avec le grade d’Aspirant (trop jeune pour être sous-lieutenant d’emblée). Nous sommes le 15 ou 20 avril 1940. Il n’a pas de permission de détente avant de quitter Fontainebleau. Mais arrivé à son poste, son capitaine lui demande d’en poser une estimant que plus tard ce sera plus difficile ! André prévient nos parents que sur ses 10 jours de permission il désire en passer cinq chez nous et cinq chez mes grands-parents en Lorraine à Affracourt. Grand-mère est dans tous ses états. Elle fait toutes les démarches à la gendarmerie et elle lui « prépare » sa route pour qu’il ne perde pas trop de temps !

Nous voici donc réunis vers le 25 avril jusqu’au 1er mai, date à laquelle il part pour Affracourt. Je l’accompagne à la gare de l’est à Paris et là il m’offre un brin de muguet… C’est mon dernier souvenir.

Sa permission terminée à Affracourt le 5 mai, il rejoint son Unité au front. Ce n’est plus la drôle de guerre : les combats commencent. Les Allemands massent des troupes aux frontières… Le 10 Mai, ils envahissent la Belgique, la Hollande… L’exode des civils sur les routes du Nord de la France commence.

Nous sommes très inquiets pour André. Nous ne savons pas exactement où il est. Il écrit fin mai pour demander à Papa des cartes routières dont il donne les numéros. Nous comprenons qu’il se trouve dans la Somme. Malheureusement ces cartes nous reviennent, la censure ayant refusé de les transmettre. André les demandait parce qu’il n’avait pas de carte d’Etat-major ! La pauvre armée française était démunie de tout ; ( la plaque d’identité d’André, c’est Papa qui la lui avait fait faire lors de sa dernière permission… L’armée en manquait !!!)

Et tout se précipite… Nous n’avons plus de courrier. La dernière lettre d’André est datée du 3 juin (nous ne la recevrons qu’après l’exode). Il se plaint de l’aviation qui les bombarde sans arrêt et… fait beaucoup de bruit ! Sans ce bruit écrit-il, il pourrait se croire dans ses camps scouts des années précédentes… Avait-il peur ou pris dans cette tourmente vivait-il dans un état second ?

L’armée allemande progresse à grands pas. Il nous faut bientôt quitter Juvisy. Paris est déclarée « Ville ouverte ». Toutes les administrations ont été évacué sur le Sud de la France.

Nous rejoignons donc sur les routes l’immense flot des réfugiés. C’est l’exode, pour aller où ? C’est une pagaille monstre. Et nous partons, sans avoir de nouvelles d ’André. La bataille fait rage dans le Nord, dans la Somme, dans l’Oise. Les Allemands font tellement de prisonniers en quelques jours qu’on se dit que peut-être il a été fait prisonnier aussi… Pas de nouvelles non plus de Papa que nous savons sur les routes…

Et nous voici occupés par les Allemands… Cela s’ajoute à notre peine et inquiétude qui ne fait que grandir. André a peut-être essayé de rejoindre l’Angleterre pour continuer le combat ? Rien ni personne ne peut nous renseigner.

Nous écrivons partout : à la Croix Rouge française, à la Croix Rouge Française, à la Croix Rouge suisse ; François Garien a même écrit à la Croix Rouge allemande. Nous avons pu savoir « qu’il était vraisemblablement vivant le 31 Mai, car il avait touché sa solde »… Il aurait également été très légèrement blessé et fait prisonnier très provisoirement mais se serait échappé très rapidement. Tout ceci n’était pas très fiable… mais on voulait y croire, oh ! Combien.

Attendre devient donc une habitude… Attendre du courrier, attendre des nouvelles par différents recoupements. Et le temps passe… Maman qui garde espoir, a préparé des conserves en rentrant d’exode, pour le cas où André nous écrirait qu’il est prisonnier. Elle pense aux colis qu’elle pourrait lui envoyer

Les mois s’écoulent tristement avec des restrictions très contraignantes et surtout avec cette attente de plus en plus pesante de nouvelles d’André. Nous guettions le facteur trois fois par jour (eh ! Oui, à l’époque, il y avait trois distributions matin, midi et soir… ça fait rêver). Nous gardions malgré tout un espoir insensé en se disant que tant d’hommes avaient réussi à rejoindre l’Angleterre… Pourquoi pas André ? Mais il nous aurait fait prévenir d’une façon ou d’une autre ? Ses amis, François resté à Marseille, Roger Chassin, l’ami de toujours, Papa (resté en zone libre) de son côté, nous du nôtre ; tous nous essayions d’apprendre quelque chose. Mais rien… Je me rends mieux compte maintenant combien Maman était courageuse et quel calvaire elle endurait.

Attendre, attendre, attendre… Nous perdons espoir sans trop l’avouer.

Juvisy était une petite ville à l’époque et nous étions connus. Un de nos voisins qui travaillait à la Perception avait parlé à son travail de Madame Lavaud qui était toujours sans nouvelles de son fils depuis Juin 1940.

Un des collègues de ce voisin qui a perdu son père à Maignelay (Oise) quelques mois plus tôt ; se rend au cimetière aux Rameaux 1942 (29 mars) et cela se fait fréquemment, fait un tour dans les allées du cimetière. Il voit plusieurs tombes de soldats morts le 9 juin 1940. Sur certaines d’entre elles est indiqué : « soldat inconnu ». Quelques autres tombes portent un nom… Sur l’une d’elles est inscrit « Aspirant André LA VAUD – 12ème R.A.C. -4-9-1921/9-6 -1940. Il pense immédiatement qu’il connaît ce nom et fait le rapprochement avec Maman. Il va alors voir le maire du pays et lui demande des renseignements. Ce maire lui répond qu’il s’agit d’un soldat dont la famille a été avisée du décès, mais qui ne s’est jamais dérangée !

Dès le lendemain, de retour à son travail il raconte à notre voisin ce qu’il a vu à Maignelay. Ce dernier, qui avait déjà compris et qui sait que nous sommes amis avec le maire de Juvisy, Monsieur AUBERT, prévient celui-ci qui immédiatement se met en rapport avec le maire de Maignelay, lequel lui confirme avoir « fait le nécessaire » et avoir en sa possession tous les papiers et objets retrouvés sur ce soldat. Il donne précisions telles que Mr. Aubert qui connaissait André depuis sa petite enfance, n’a plus aucun doute.

Nous sommes le 31 mars 1942 ; il est 19 heures et je suis seule à la maison ce jour-là, Maman étant à Paris. Monsieur Aubert se présente chez nous et voyant que Maman est absente me dit : – « Quand ta mère reviendra, dis-lui qu’elle vienne aussitôt à la maison. Il avait un visage tellement défait que je crois avoir compris immédiatement. J’ai posé la question « Vous avez appris quelque chose sur André ? »Et c’est la gorge nouée qu’il m’a répondu « Ton frère est mort en héros »… Et il m’a expliqué… Je n’ai rien oublié de cette scène, elle est trop ancrée dans ma tête.

Maman est arrivée peu de temps après et a immédiatement compris qu’il se passait quelque chose. Je lui ai transmis la demande de M. Aubert… Je ne peux décrire son visage en me disant « il a eu des nouvelles d’André ? »et elle est partie… Lorsqu’elle revient, nous pleurons toutes les deux et je me rends compte que contre toute logique, elle a gardé l’espoir pendant ces deux ans, un tel espoir qui s’écroule et l’anéantit. Mes efforts pour la consoler sont vains et je ne sais comment faire, ressentant une telle peine par le fait de la mort de ce frère que je chérissais et admirais tant. Et mon désarroi est si grand de constater dans quel état est Maman. Elle ne dit pas un mot, s’enferme dans son malheur et dans un mutisme accablant. J’avais très peur, ne pouvant la laisser seule une minute. Sous des prétextes quelconques, elle voulait m’envoyer hors de la maison (par exemple chercher un pull qu’elle avait oublié chez des amis…)

Nous avons pu enfin, par l’intermédiaire de M. Aubert et de la mairie, envoyer un télégramme à Papa, en zone libre. Revenu à JUVISY très rapidement, il nous a accompagnées à MAIGNELAY-MONTIGNY. Bien qu’à seulement 90 kilomètres de Paris, c’était à l’époque une expédition pour y aller (très peu de trains, tous omnibus, avec changement – qu’il ne fallait pas rater – à Saint-Just-en-Chaussée). Enfin, nous arrivons.

La gare était sur la commune de Montigny devenue depuis Maignelay-Montigny. Nous nous adressons immédiatement au Café de la Gare où les propriétaires, M. et Mme Dubois, nous reçoivent plutôt froidement lorsque nous leur demandons des renseignements sur André, tué dans cette gare. Papa leur explique que nous venons seulement d’apprendre tout à fait par hasard que son fils avait été tué dans leur village. Ils sont très étonnés mais nous croient sans trop de peine et ils racontent…

« André s’était trouvé le 9 juin 1940 avec un petit groupe de tirailleurs marocains, pris au piège dans la gare de Montigny, aux environs de midi. Il a refusé de se rendre et a continué de tirer avec sa mitrailleuse. Les Allemands l’ont eu à la grenade. Blessé mortellement à la tête, il est tombé sur sa mitrailleuse. Ensuite, les Allemands l’ont enterré dans la gare même et lui ont rendu les honneurs militaires. Ils lui ont tout laissé sur lui et ont inscrit sur sa tombe « Un capitaine français noir » (peut-être parce qu’il était avec des soldats noirs ?) Pas d’autre nom. D’autres soldats « étaient morts aussi dans cette gare et ont été enterrés sur place. » Monsieur et Madame Dubois ont tout vu de chez eux, c’était à 20 ou 30 mètres environ.

Montigny étant plus ou moins rattaché à Maignelay, c’est le maire de commune qui était chargé de faire le nécessaire. Dans l’immédiat, avec cette débâcle, il ne pouvait sans doute rien faire. Monsieur et Madame Dubois entretenaient la tombe précaire comme ils pouvaient.

Neuf mois après seulement, les soldats enterrés dans la gare ont été exhumés pour être inhumés dans le cimetière de Maignelay. A ce moment, ceux qui avaient des papiers ont pu être identifiés, ce qui a été le cas d’André. Le maire de Maignelay a donc pu avoir, outre l’état-civil complet, notre adresse (et même l’adresse de ma grand-mère à Paris, André ayant sur lui les lettres que nous lui avions envoyées au front.) Il aurait paraît-il, « fait le nécessaire » auprès de l’Etat-civil de Compiègne (ce qui était la démarche obligatoire pour les autorités allemandes) et… l’esprit serein, ne s’était plus préoccupé de rien. Frileux ? Collaborateur ? Je n’en sais rien mais dans tous les cas pas humain.

Lors de la rencontre entre mes parents et le maire, Papa a fait de vifs reproches à ce dernier, lui disant qu’il aurait pu tenter de nous joindre directement, à titre tout à fait personnel… Buté, il se retranchait derrière « la légalité », il n’avait pas le droit d’agir ainsi vis-à-vis des Allemands !!! Dieu merci, les résistants sont passés outre sinon nous serions toujours occupés !

Nous sommes allés au cimetière où nous avons trouvé la tombe d’André entretenue et fleurie. Des cultivateurs de Maignelay (des Belges) l’avaient pris en charge et remplaçaient ces parents « indifférents » qui n’étaient pas venus. Jamais je n’oublierai ces gens. Ils n’avaient pas notre adresse, savaient simplement que nous habitions près de Paris.

Toutes les affaires relevées sur André lors de l’exhumation en 1941 ont été rendues à mes parents : livret militaire, carte d’identité, portefeuille, sa chevalière, sa montre arrêtée à midi heure de sa mort, des lettres, sa carte de scout, son chapelet scout etc… Son portefeuille contenait le montant de sa dernière solde.

Cette journée a été horrible.. .mais nous savions enfin. Maman ne voulait pas croire à cette mort et demandait à Papa « Est-ce que tu crois qu’il a pensé à moi avant de mourir ? ». Comment lui expliquer qu’il avait reçu cette grenade à la tête et qu’il n’avait certainement pas eu le temps de penser… même à sa mère pour laquelle il se faisait tant de soucis. Il me disait toujours dans ses lettres « Sors Maman, il ne faut pas qu’elle s’ennuie ».

Nous sommes revenus à Juvisy avec toutes ces choses précieuses contenues dans un paquet que Maman a rangé et qu’elle n’a plus jamais voulu ouvrir. Elle y a seulement ajouté divers souvenirs tels que son Livret scolaire, des lettres qu’il nous écrivait de Fontainebleau ou du Front etc… et aussi des devoirs qu’il avait faits avant la guerre… Elle avait écrit sur le paquet « Affaires d’André » et avait ficelé le tout.

Le temps s’est écoulé sous l’occupation qui continuait avec toutes ses contraintes que nous avions de plus en plus de mal à supporter.

Et nous voici en 1944…

Les allemands avaient bien des soucis avec le front russe notamment ! Et les Français commençaient à reprendre espoir.

Puis vint Pâques 1944. Le Lundi de Pâques (9 avril), la gare de Villeneuve-St-Georges est bombardée, vers 21 heures je crois. Ce n’était qu’à quelques kilomètres de chez nous et nous avions très peur. Pendant une semaine, il y eut alerte sur alerte… Ce bruit fait par les sirènes était lugubre surtout après le bruit des bombes de la soirée du 9 avril !

Le 17 avril, au moment où je quittais le Commissariat dans la soirée, Monsieur Baumann, le commissaire, m’a rappelée et m’a recommandé de ne pas rester maison s’il y avait alerte le soir et d’aller avec Maman dans un abri (ce que Maman ne voulait pas faire les autres fois). Je savais que M. Baumann était au courant de beaucoup de choses et sa recommandation m’a troublée. J’ai prévenu Maman et après dîner nous avons préparé une petite sacoche avec de l’argent, nos papiers d’identité ; le strict nécessaire à emporter dans un abri. J’étais persuadée qu’il y aurait une alerte et que cette fois ça serait Juvisy qui serait bombardée.

Il allait être 23 heures, la sirène s’est mise à hurler et presque en même des vagues d’avions ont lancé des fusées éclairantes sur la gare et la ville. Il faisait clair comme en plein jour. Nous avons pu rejoindre en courant un abri que M. Aubert avait fait faire dans son jardin, et nous avons subi ce bombardement pendant une heure. Les vagues successives de bombardiers (les forteresses volantes), le bruit des bombes qui pleuvaient littéralement sur la ville, tout ça ne peut s’oublier. C’était un vacarme infernal et nous ne pensions pas nous sortir de cet enfer.

Enfin, au bout d’une heure, accalmie… Mais des bombes à retardement avaient été lancées et commençaient à exploser autour de nous. Nous avons pu sortir quand même de l’abri et constater que, si nous étions en vie, nous n’avions plus de maison ! Notre quartier était détruit presque en totalité. Bien sûr, nous étions vivantes, mais dans quelles conditions ! Nous n’avions plus rien, que ce petit sac, souvenir d’André puisque c’était une petite serviette de cours que Papa lui avait achetée en 1939 lorsqu’il était à Charlemagne…

Nous n’avons pas pu aller sur l’emplacement de la maison tant il y avait de bombes à retardement. C’était absolument interdit. Mais le peu que nous avions vu ne nous laissait aucun espoir de retrouver quoi que ce soit : il y avait un immense cratère à la place de cette grande maison. Nous avons pu venir quelques jours après « admirer » ce spectacle… des cratères très profonds, avec de l’eau dans le fond… Absolument désespérant.

Et Maman me disait « ça m’est égal de ne rien retrouver, mais si seulement j’avais pu sauver les affaires de ton frère »… Mais comment, dans ce fatras ? Il n’y avait même pas un barreau de chaises !

Mais le miracle s’est produit !

Des scouts de Juvisy s’activaient au déblaiement des décombres. Plusieurs d’entre eux étaient des amis d’André et Maman leur avait parlé de ce paquet… Un jour, dès qu’ils aperçoivent Maman, ils lui crient : « Madame Lavaud, est-ce que c’est ça que vous recherchiez ? » Ils avaient ce fameux paquet, sale, maculé de sable et de terre, mais absolument intact… Pas un trou dedans, toujours bien ficelé. Dieu, qu’elle était contente de l’avoir et de me le rapporter. Elle m’a dit que ces jeunes scouts étaient tellement heureux d’avoir pu lui donner cette joie !

Quelle agréable conclusion dans toute cette tristesse.

Merci à la Providence. Par l’intermédiaire de ce paquet, André revenait au sein de sa famille, en attendant ce retour définitif du 15 Janvier 1949 dans un cercueil recouvert d’un drapeau tricolore et accompagné par les Pompiers de Juvisy et la sonnerie « Aux Morts » jouée par la Pro Patria. C’était… Je n’ai pas de mots pour décrire l’émotion de tous.

Que vous soyez croyants ou non, moi je persiste à croire qu’André a été protégé pour que son souvenir reste et qu’un jour vous puissiez lire ce petit récit véridique, sans prétention de la part de l’auteur qui n’a eu d’autre but que de vous expliquer qui était ce frère qu’elle n’a jamais oublié.

IDDN Certification

[(

Geneviève Cotty-Lavaud – Montpellier, le 27 Mai 2005)]