Bonsoir, Voici le récit des événements dramatiques de cette journée à Crécy-en-Ponthieu tel que le rapporte le quotidien « La Picardie Nouvelle » n° 8 dans son édition du vendredi 8 septembre 1944 sur le témoignage direct du fils du Maréchal des Logis Chef BERLE :
« L’ASSASSINAT DE SIX HÉROS A CRÉCY-EN-PONTHIEU [...] Le dimanche 3 septembre (1944), vers 10 h. 30 du matin, les Boches se repliaient. Déjà, ici et là, dans la commune de Crécy-en-Ponthieu, des patriotes avaient fait quelques prisonniers. C’est alors qu’on vint avertir le chef de la gendarmerie, M. Berle, que six Allemands et deux femmes se trouvaient à la sucrerie. Il s’y rendit, accompagné des gendarmes Martinache Édouard, Patry Raymond, Bédu Albert, Delannoy Raymond, de M. Gaffet Gilbert, garagiste, et du facteur Petit Eugène, marié et père de huit enfants. Arrivant à la sucrerie, ils se heurtèrent non pas à six Allemands, mais à trente, qu’ils firent prisonniers, ainsi que les deux femmes qui les accompagnaient. Encadrant leur prise ils regagnèrent la gendarmerie. Comme ils y arrivaient une (auto-) mitrailleuse allemande venant du centre de Crécy se mettait en position à courte distance et ouvrait le feu. Ils avaient cependant eu le temps de faire rentrer leurs prisonniers qu’ils enfermèrent dans les dépendances du bâtiment. Alors commença le drame. Les femmes et les enfants furent envoyés à la cave, tandis que les hommes déjà cités, auxquels s’étaient joints deux F.F.I. Jacques Mallivet, de Maison-Ponthieu, et Philippe Barnabé, de la Chaussée-Tirancourt, gagnaient leur position de combat aux fenêtres des étages et du grenier. La lutte s’engagea, bientôt inégale, puisque 150 Allemands cernaient la maison. L’héroïque petite garnison de la gendarmerie ne disposait que de quelques mitraillettes et de quelques grenades. Les munitions allaient rapidement manquer. Voyant la situation désespérée le chef Berle, gardant un magnifique sang-froid, invitait son fils, Jacques Mallivet et Philippe Barnabé à fuir leur disant : « ils vous considéreront comme des francs-tireurs et vous fusilleront, vous êtes trop jeunes pour mourir ainsi, je vous donne l’ordre de partir. » Le fils Berle rejoignit les femmes à la cave, les deux autres parvinrent à s’échapper par le jardin. Lorsque toutes les munitions furent épuisées, Berle donna l’ordre à ses gendarmes de tenter à leur tour une évasion. Le gendarme Delannoy parvint, sous une grêle de mitraille, à traverser le jardin et à se cacher, mais déjà l’ennemi de ce côté resserrait son étreinte et le gendarme Bédu se réfugiait dans un grenier situé au-dessus des écuries, où étaient empilés des postes de T.S.F. Il s’étendit et se recouvrit complètement des postes qui se trouvaient là. Berle, Martinache, Patry, Gilbert Gaffet et Petit gagnèrent la cave, où se trouvait également un vieillard de l’hospice, Arthur Savreux, 68 ans, qui, tous les dimanches matin, venait scier du bois à la gendarmerie. Alors passèrent des minutes d’épouvante. Les Allemands firent sauter la porte à coups de grenade et se répandirent dans la maison, poussant des vociférations de sauvages ; ils fouillèrent tout, brisèrent tout. Ayant délivré les trente prisonniers et les deux femmes, ils montèrent dans le grenier, où, sous les postes de T.S.F. se trouvait le gendarme Bédu, qui retenait littéralement sa respiration pour ne pas trahir sa présence. Sans penser à déplacer la pile de postes T.S.F., les Allemands redescendirent. Il était sauvé. Pendant ce temps, Berle avait fait évacuer la cave et mis son monde dans une galerie souterraine servant d’abris. Quelques instants plus tard, les Allemands pénétraient dans la cave et y lançaient des grenades. Sentant qu’ils allaient être découverts, Berle décida de sortir et de se rendre pour éviter le massacre des femmes et des enfants. Avec une énergie et une maîtrise de soi qui le placent au sommet de ce que l’humanité peut compter de supérieur, Berle ayant embrassé sa femme et ses enfants, sortit les bras levés, alors que déjà les premiers Allemands arrivaient vers l’abri, des grenades à la main. Le gendarme Martinache, 27 ans, et le gendarme Patry, 24 ans, en soldats dépositaires des plus pures traditions de notre armée, suivirent leur chef. Fous de colère, saouls de vengeance, les Boches se ruèrent sur les trois hommes, qu’ils terrassèrent à coups de crosse, les faisant successivement se relever pour les abattre encore. Pendant ce temps d’autres sauvages faisaient sortir de l’abri les trois hommes, les femmes et les enfants qui s’y trouvaient encore. Ils placèrent les femmes et les enfants d’un côté, et de l’autre les hommes. Devant les femmes et les petits qui pleuraient, ils armèrent leurs mitraillettes, indiquant par gestes qu’ils allaient faucher tout le monde. Une discussion d’éleva alors dans le clan des assassins. Quelques-uns, partisans d’épargner les femmes et les enfants, paraient haut et l’emportèrent. C’est ainsi que furent sauvés les femmes et les petits. Les hommes furent conduits en file indienne, Berle en tête, son fils de 16 ans ½ fermant la marche, les mains derrière la nuque jusqu’à un hangar situé près de la sucrerie. Pendant le trajet, ces hommes ensanglantés, dont tout le corps était tuméfié ou portait des ecchymoses des coups reçus, ces vivants déjà morts, furent encore accablés de coups de pieds et de coups de crosse de mitraillette. A proximité du hangar se trouve une fosse. Ils y firent descendre Berle le premier, celui-ci trouva encore la force de demander grâce pour ses gendarmes, disant qu’étant le chef c’est lui seul qui portait la responsabilité. Mais la horde s’abattit sur lui pour le faire taire et pour pousser au paroxysme le sadisme de leur cruauté, les Boches appelèrent le fils Berle et sous ses yeux ils exécutèrent son père d’une balle dans la tête et dans le cœur. Ce fut ensuite le tour de Martinache ; puis de Patry, puis de de Gilbert Gaffet, de Petit, le facteur et du vieillard de l’hospice, le pauvre Arthur Savreux, si innocent. Une nouvelle discussion s’engagea entre les assassins pour savoir si le fils Berle subirait le sort de son père. Brusquement, ils le renvoyèrent pour annoncer aux femmes qu’elles étaient veuves. Et le pauvre enfant chancelant, ayant devant les yeux l’écran d’horreur de l’exécution, revint jusqu’à la maison dans laquelle les Boches avaient tiré un coup de canon, prouvant une fois de plus ce besoin inné de détruire après avoir tiré. Tel est le drame. Tel sont les héros. Le fils Berle nous l’a conté, enveloppant sa douleur d’une dignité d’homme car de telles minutes mûrissent un adolescent plus vite que les années. Et pour conclure, sans pleurer, mais d’une voix presque éteinte qui sortait de ses lèvres pâles, il murmura : « J’ai vu tuer mon père par les Allemands... c’est affreux ! » [...]
Liste des fusillés le 3 septembre 1944 à Crécy-en-Ponthieu : Maréchal des Logis Chef Émilien BERLE, né le 12septembre 1899 à Liéramont (80) 2ème Légion de Gendarmerie, commandant la brigade de gendarmerie de Crécy-enPonthieu Médaille militaire, médaille de la Résistance, Chevalier de la Légion d’Honneur. Gendarme Édouard MARTINACHE, né le 2 avril 1917 à Lapugnoy (62) 2ème Légion de Gendarmerie, brigade de gendarmerie de Crécy-enPonthieu Gendarme stagiaire Raymond PATRY, né le 19 août 1920 à L’Étoile (80) 2ème Légion de Gendarmerie, brigade de gendarmerie de Crécy-enPonthieu Gilbert GAFFET, garagiste, F.F.I., né le 14 mars 1904 à Crécy-en-Ponthieu Eugène PETIT, facteur, résistant, né le 24 février 1903 à Paris (13e arrond.) Arthur SAVREUX, pensionnaire de l’hospice, né le 1er mai 1877 à Lamotte-Buleux (80)
Cordialement Éric ABADIE
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