COMBAT DE PICQUIGNY in Pierre Vasselle – Juin 1940 sur la Basse-Somme (page 33 à 36)
Picquigny, comme Ailly-sur-Somme, est adossé à une falaise crayeuse qui ne laisse entre elle et le cours sinueux de la vieille Somme qu'un étroit espace où s'étagent les maisons de ce bourg pittoresque, de nos jours chef-lieu de canton, autrefois point de passage bien garde par une forteresse féodale dont subsistent d'importants vestiges sur la hauteur dominant le pays. En 1940, sa défense incombait à la 1e compagnie du 60e R.I. Le capitaine Vohlguemuth, adjudant major du 1er bataillon, avait pris le commandement de ce point d'appui important où les sections de la compagnie s'étaient alignées pour interdire le franchissement de la Somme : section Girod à l'Ouest, au centre sections Bognon et Gasser, et assez loin à l'Est, au bois des Vignes, la section Julliard. Au château, il y avait des mitrailleuses et des mortiers, et en renfort, au bois de Neuilly, la section Chauvin, détachée de la 3e compagnie. Après les inquiétudes suscitées dans la soirée du 4 juin par des bruits de manutention de planches et de madriers venant de la rive Nord, la nuit avait été calme, lorsqu'à 3 h 30, un violent bombardement d'artillerie, mit tout le monde en alerte. Le capitaine Vohlguemuth essaya en vain de téléphoner au chef de bataillon, la ligne était déjà coupée. Il se rendit au château, seul point d'où l'on puisse voir au loin. Le jour perçait à peine. On ne voyait, dans la nuit, aucun objectif à atteindre. Cependant à quelques centaines de mètres, un dépôt de paille flambait et à la lueur de l'incendie des petites colonnes étaient visibles, se dirigeant vers le Sud. Ces groupes en bon ordre ne semblaient pas être des éléments en retraite, de nombreuses fusées jalonnaient leur avance. On renonça à faire tirer les mitrailleuses sur ce but imprécis. Que se passait-il en première ligne du côté des sections placées près de la rivière ? La section Bognon, au lever du jour, aperçut des Allemands qui construisaient une passerelle entre Picquigny et Saint-Pierre-à-Gouy. Pris à partie par nos F.M. les Allemands abandonnèrent leur tentative et ripostèrent par des tirs de minen. Des avions volant en rase-mottes, mitraillèrent, d'autres lancèrent quelques bombes. Une tentative pour rétablir un passage sur le pont détruit, fut entravée par un tir de F.M. Des pionniers ennemis passèrent alors sur la rive Sud dans l'intention de haler la passerelle construite sur l'autre rive, mais subissant des pertes, ils renoncèrent à cette manœuvre et procédèrent à de nouvelles tentatives de lancement par la rive nord. Le mortier du groupe Miquel détruisit la passerelle au 6e obus, et toutes les tentatives de reconstruction échouèrent ensuite sous nos tirs, jusqu'à l'épuisement de nos munitions. Au début de l'après-midi, les Allemands purent établir la passerelle, mais ils restèrent prudents et ne l'utilisèrent que dans la soirée. A ce moment, depuis longtemps, Picquigny était largement débordé à l'Est et à l'Ouest, mais Gasser et ses hommes retranchés près de l'église, résistèrent longtemps, la section Julliart, au bois des Vignes, tiendra toute la journée et ne sera capturée que le 6 juin. A l'extrémité du dispositif, vers Saint-Pierre-à-Gouy, la section Girod avait été débordée dès 4 h 30 du matin malgré une fusillade intense déclenchée sur l'ennemi. En un instant, cinq de nos tireurs avaient été tués. Le sergent Sirguey, chef de groupe, avait pris lui-même un fusil-mitrailleur et Bognon avait donné à Girod son groupe de gauche. Ce fut en vain. A 5 h 30, tous les F.M. étaient hors d'usage, il ne restait que les fusils et très peu de cartouches. Après un court combat à la grenade, Girod se replia en emmenant les blessés qui furent évacués par une auto sanitaire rencontrée en cours de route. A midi, Girod parvint au P.C.R.1. n'ayant plus avec lui que deux gradés et un homme, et quand Bognon entrevoyant la situation critique de la section Girod, voulut rétablir la liaison avec elle, il se rendit en rampant à son emplacement où il ne vit que quelques morts dans des trous individuels. De la butte du château, l'aspirant Mourey, chef de la section d'engins, avait pu suivre toutes les phases de l'attaque. Son récit confirme celui du capitaine Vohlguemuth : « 5 juin, 4 h 30 : Des fantassins allemands attaquent nos fusiliers voltigeurs installés sur la rive sud. Ils sont arrêtés par leurs feux et par le tir des fusils mitrailleurs et des mitrailleuses de la section qui est au château. On aperçoit nettement les pionniers allemands qui tentent de lancer des passerelles sur la Somme, et malgré la résistance qui leur est opposée, malgré la violence de nos tirs, ils réussirent, par endroit, à franchir la rivière. Le combat très vif se poursuit jusqu'à 8 heures. L'ennemi est sans cesse renforcée par des éléments amené en camions qui débarquent sur la crête boisée au Nord de Picquigny. « Nous avons l'impression que les Allemands maintiennent un contact étroit avec nos éléments à Picquigny, mais se sont infiltrés profondément à l'Est et l'Ouest. « A 10 heures, l'artillerie ennemie concentre son tir sur les lisières du bois de Neuilly. Nos fusiliers voltigeurs sont débordés, des fantassins allemands se dirigent vers le château. Le groupe de mitrailleuses du sergent Courtin est anéanti. Nos munitions sont presque épuisées. » Vers 11 heures, l'aspirant Mourey atteint par un éclat l'obus, fut transporté au poste de secours dans un cave du château où il y avait déjà beaucoup de blessés. Il s'y cachera jusqu'au lendemain dans l'espoir d'être délivré par une contre-attaque. C'est par la route encaissée qui sort de Picquigny en direction d'Airaines que les Allemands s'étaient infiltrés très tôt, pour attaquer le bois de Neuilly. La section du lieutenant Chauvin, qui en assurait la défense, s'était placée à la lisière nord du bois. « L'attaque commença à 4 heures du matin par un quart d'heure de bombardement, note le lieutenant Chauvin, puis le tir s'allongea. On entendait le crépitement des armes automatiques. L'infanterie allemande traversait la Somme. Quelques incendies furent aperçus aussitôt. Des avions allemands passèrent volant bas, sans bombarder ni mitrailler. Un ballon captif, du type saucisse, s'éleva dans le bois de Vignacourt. Une demi-heure plus tard, on vit déboucher une petite colonne ennemie qui avait contourné les défenses de Picquigny. » Parvenue au cimetière britannique, cette colonne se porta vers le bois de Neuilly en se faisant appuyer par un tir très dense de minen. Le lieutenant Chauvin, blessé par un éclat, fut évacué. Le sergent chef de Menthon prit le commandement et poursuivit longtemps la résistance malgré les faibles moyens de cette section réduite à deux groupes, car le lieutenant Chauvin avait détaché un groupe, celui du caporal Guy, au point d'appui de la ferme de Tenfol, pour bien assurer la liaison avec les coloniaux.
Cordialement Eric Abadie
|