101e régiment d'artillerie lourde
AVEC LES HÉROS DE 40... 101e RÉGIMENT D'ARTILLERIE LOURDE TRACTÉE UNE HÉCATOMBE DE CHARS. (5-6 juin 1940.)
Le 30 mai, dans l'après-midi, le chef d'escadron Le Chalony, commandant le 2e groupe du 101e régiment d'artillerie lourde, reçoit l'ordre de s'établir à proximité du village d'Omiécourt, situé au sud-est de Chaulnes, entre les villages de Puzeaux, Hyencourt-le-Grand, Pertain et Hyencourt-le-Petit. Sa mission doit consister à tirer au-delà de la Somme, entre Saint-Christ et Péronne, au profit des 19e et 29e divisions. En cas d'attaque et d'avance de l'ennemi, les artilleurs, qui doivent tenir sans esprit de recul, seront protégés contre les chars par une section de 47. Le groupe s'installe dans la nuit du 30 au 31 mai, avec ses canons, ses tracteurs et ses voitures, aux lisières mêmes d'Omiécourt, dans le vaste parc ombragé du château, situé à l'angle des routes de Chaulnes et d'Hyencourt-le-Grand. Jusqu'au 5 juin, le groupe, qui n'exécute que des tirs de harcèlement nocturnes, améliore sa position et prend toutes mesures utiles pour pouvoir, éventuellement, repousser des attaques de chars. Le 5 juin, à 3 h. 30, les Allemands déclenchent un bombardement général des premières lignes françaises. Au jour, les avions s'en mêlent. Des incendies s'allument à Chaulnes, au Pressoir et à Ablaincourt. A 5 heures, la ligne téléphonique reliant le groupe à l'observatoire, situé à l'est de Marchélepot, est coupée. Les observateurs seront bientôt cernés et faits prisonniers. A 6 heures, le groupe tire sur des fantassins ennemis descendant de camions aux lisières de Villers-Carbonnel et qui ont été repérés de la cote 102. Craignant d'être pris à revers par les chars déjà signalés entre Chaulnes et Dressoir, le chef d'escadron Le Chalony fait installer un observatoire dans le grenier de son poste de commandement, un pavillon situé dans le parc en bordure de la route de Chaulnes. On pourra, de là, surveiller les mouvements de l'ennemi entre Chaulnes et Puzeaux et sur la route de Roye. A 6 h. 45, le capitaine Lelong, qui observe du grenier du poste de commandement, signale à 2 500 mètres, entre les routes de Chaulnes au Pressoir et de Chaulnes à Marchélepot, une quinzaine de chars progressant, en file, vers le sud, en direction de Puzeaux. La première pièce de 47, alertée, tire. Touché, l'un des engins, qui a atteint la route de Chaulnes, flambe. Le lieutenant Thuillier, commandant la 6e batterie, déplace ses quatre pièces et les dispose pour le tir anti-chars plus près du canon de 47. La manœuvre est à peine terminée qu'un avion laisse tomber trois bombes à l'emplacement que la batterie vient de quitter. Trois chars franchissent la route Omiécourt-Chaulnes, se dirigeant toujours vers Puzeaux. Pris à partie par l'une des pièces du lieutenant Dujardin, deux d'entre eux prennent feu, le troisième est immobilisé. De son côté, la première pièce de 47 en met un autre hors de combat au nord de la route de Chaulnes, puis en immobilise deux, en flammes, sous des arbres, à 500 mètres au nord du passage à niveau. Et de sept ! Mais quelques chars, suivant la voie ferrée Chaulnes-Nesle, ont atteint la route de Roye. L'une des pièces, que commande le lieutenant Thuillier, les prend pour cible. Ils font demi-tour. Trop tard ; quatre d'entre eux flambent, un cinquième est immobilisé. Et de onze !
Les chars indemnes gagnent, en toute hâte, Puzeaux, mais le lieutenant Dujardin parvient encore à en incendier un et à en arrêter un autre dans le village même. L'artillerie ennemie riposte et tire sur la lisière nord-est d'Omiécourt, où trois servants de la 4e batterie sont blessés. A 9 heures, accalmie, mais, à 10 heures, la 5e batterie, en position dans le parc, au carrefour des routes de Marchélepot et d'Hyencourt-le-Grand, signale, entre elle et ce dernier village, un groupe de chars fonçant vers le sud. La première pièce de 47 tire aussitôt. Un premier char flambe ; un autre est arrêté. L'équipage sort et cherche à le dépanner. Pris à partie par la mitrailleuse de la 5e batterie, située à l'angle sud-ouest du parc, et par les mousquetons des observateurs du poste de commandement, qui ne sont pas à plus de 700 mètres, il y renonce et les survivants s'enfuient. Vers 10 h. 30, au même endroit, cinq nouveaux chars apparaissent ; la pièce de 47 en met un — le dix-septième ! — hors de combat. De tous côtés, les engins ennemis surgissent et passent à l'attaque. La 6e batterie en disperse plusieurs dans les rues du village de Puzeaux. D'autres tirent de la direction de Chaulnes et incendient la ferme du petit parc où s'abrite la première pièce de 47. La 5e batterie, elle aussi, est prise à partie ; sept chars, venant de Marchélepot, parviennent jusqu'à trois cents mètres de ses pièces qui, tirant sans arrêt sous un feu d'enfer, en incendient un et en immobilisent un autre. La deuxième pièce de la 4e batterie, située plus à droite, vient à la rescousse et arrête deux autres chars à l'est de la route. Mais les balles traceuses mettent le feu à la paille pressée derrière laquelle elle s'abrite, les pneus brûlent, et la pièce doit être abandonnée. Trois chars moyens reviennent à l'attaque. La première pièce de la 5e batterie en met un — le vingt-deuxième ! — hors de combat ; les autres battent en retraite derrière la crête proche, en arrosant le parc de leurs obus. Il est 11 h. 15. Le combat fait rage. Les chars tirent du nord, de l'ouest et du sud-ouest, et les 77 leur prêtent leur appui. De l'observatoire du poste de commandement, le capitaine Lelong aperçoit cinq chars arrêtés, à 1700 mètres, sous des arbres, derrière la voie ferrée, au nord-est de Puzeaux. Il signale leur emplacement, invisible pour elle, à la quatrième pièce de la 6e batterie, dont la première rafale en incendie deux. Les autres ripostent : un obus de 25 traverse le bouclier de la pièce. Le lieutenant Dujardin qui, très calme, règle et observe le tir et aide au transport des obus, des douilles et des fusées, fait alors descendre ses hommes dans la tranchée-abri où, tel le commandant d'un navire, il les rejoindra le dernier. Mais un nouvel obus le traverse de part en part. Aîné d'une des plus belles familles du Nord, composée de huit enfants, il avait reçu une solide formation religieuse et morale. Sorti major de l'Institut catholique des Arts et Métiers de Lille, dont la belle devise est : « Finir ! » il occupait, à vingt-cinq ans, lorsque la guerre éclata, une place de premier plan à la grande Centrale électrique de Comines. Il avait su, en très peu de temps, conquérir au 101e bataillon d'artillerie légère l'estime de ses camarades et l'affection de ses hommes. Ses ordres étaient brefs, clairs et précis, comme ceux d'un vrai chef. Jamais il ne laissait un travail inachevé et l'accomplissait à la perfection. A chaque coup au but il exultait et faisait claquer ses doigts comme un écolier content d'avoir réussi une composition difficile. Fauché dans la joie de la victoire, il avait trouvé la mort qu'il rêvait. Mais, au nord du village, un char isolé avance en direction de la 5e batterie. A 200 mètres, il est arrêté, la tourelle arrachée. C'est le vingt-cinquième. Sept chars, fonçant le long de la route de Marchélepot, obliquent alors derrière la crête à gauche. D'une tourelle, seule visible, un observateur braque ses jumelles sur les lisières du village. Quelques coups de mousqueton l'obligent à refermer son capot. Les chars font demi-tour en arrosant le parc. Un peu plus tard, vers midi, ils reparaissent, au coude de la route de Marchélepot, et foncent sur le village, dont ils mitraillent les lisières. Ils parviennent ainsi jusqu'aux premières maisons et mettent le feu au poste de commandement de la 5e batterie. Mais l'un d'eux est atteint et immobilisé, à moins de 100 mètres, par la 1ère pièce. Les autres n'insistent pas et battent en retraite. A 12 h. 30, la première pièce de 47 et la 6e batterie, repérées par l'aviation et les chars, subissent un tir nourri de 77, parfaitement réglé. Quelques hommes sont blessés et évacués sur Roye. A 2 h. 30, l'ennemi, qui s'est installé dans Puzeaux, mitraille la route à hauteur du pont sur la voie ferrée Chaulnes-Nesle. Par radio, le chef d'escadron Le Chalony signale au colonel Clamens, commandant le 94e régiment d'artillerie motorisée, dont le poste de commandement est à Pertain, que son groupe est encerclé et que ses munitions s'épuisent. Le colonel essaiera de le ravitailler, mais la route Pertain-Omiécourt étant prise, elle aussi, sous le feu des mitrailleuses ennemies, il ne pourra y parvenir. A 15 heures, les lisières nord-est du parc d'Omiécourt sont battues par des rafales d'armes automatiques. A 16 heures, les 77 se mettent de la partie et les avions lancent quelques bombes dans les environs immédiats des 4e et 5e batteries. A nouveau, sur la route de Marchélepot, trois chars moyens débouchent à 700 mètres de la 5e batterie, qui en arrête un et met les deux autres en fuite. Le dernier, frappé à l'arrière au moment où il va disparaître, flambe de l'autre côté de la crête. Vingt-huit ! A 17 heures, un gros char canon avec remorque et un char léger s'arrêtent près des chars touchés, sans doute pour tenter de dépanner celui qui n'a pas brûlé. Le premier projectile de la première pièce souffle le char léger. On voit sept ou huit hommes descendre du char lourd, mais un obus, ricochant à quelques mètres devant eux, les couche sur le terrain. Un peu plus tard, trois gros chars, suivis d'une trentaine de chars moyens, traversent, sur la crête, la route de Marchélepot et se dirigent vers le sud-est. Un obus semble éclater au contact d'un des gros chars, qui poursuit cependant sa route en mitraillant la batterie. Mais les mitrailleuses, que l'ennemi a pu amener et mettre en position très près des pièces, neutralisent celles-ci... Au sud du village, sur la route de Roye, d'autres groupes se sont glissés de maison en maison et, appuyés par une auto-mitrailleuse, tirent sur la 6e batterie. Pendant ce temps, les chars cherchent à tourner le village par l'est et apparaissent sur la route de Pertain, à la hauteur du cimetière. En position à l'angle des routes de Chaulnes et de Roye, la deuxième pièce de 47, qui n'a pas encore tiré, en arrête trois et met le feu au camion-citerne qui les suit. Trente-trois ! Mais, prise sous le feu des armes automatiques des autres chars, cette pièce doit être abandonnée. Des avions de reconnaissance français, en butte au feu intense des « Pak », survolent le village, qui est presque entièrement cerné. Le tir des armes automatiques se déclenche à tout moment, dès que les servants s'approchent de leurs pièces. Successivement, ceux de la 5e batterie, puis de la 4e, doivent se replier au centre du village, avec les fantassins. Ceux de la 6e batterie restent sur la route de Roye.
A la tombée de la nuit, le maréchal des logis Jacquin, envoyé, avec le soldat Devailly, à Pertain, pour mettre le colonel Clamens au courant de la situation et prendre ses ordres, se heurte à des éléments ennemis à proximité du cimetière, et revient en disant que les maisons voisines du poste de commandement du colonel sont en flammes. La nuit est noire et la situation angoissante. Après minuit, des avions bombardent le parc, et l'artillerie arrose, par intermittences, le village, où les artilleurs installent leurs canons derrière des barricades improvisées, prêts à tirer les 27 derniers obus de 105 qui leur restent. A 8 heures, cerné par l'ennemi, qui s'est infiltré de tous côtés dans le village, le groupe, qui a tenu une journée et une nuit contre les assauts répétés, et mis hors de combat, avec l'aide des deux pièces de 47, trente-trois chars, est fait prisonnier, en même temps que les fantassins du 112e régiment d’infanterie, qui l'ont protégé jusqu'à la fin.
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