Bonsoir à tous,
J'aimerais compléter l'étude de Marc PILOT sur le site Picardie 1939 - 1945 dans la partie "armée française" :
HERVAGAULT Jean - Caporal, 610e Régiment de Pionniers, 1er Bataillon, 1ère Compagnie (
http://www.picardie-1939-1945.org/article30.html )
par un article de
Monique BOULZE en charge de l'antenne du
Courrier Picard à Montdidier en 1994. J'ai retranscrit l'intégralité de son reportage qui s'articule comme une recherche archéologique, à la réserve près qu'un relevé précis du squelette et des objets n'a pas dû être fait lors de cette fouille, ce qui aurait peut-être fourni de précieuses informations sur l'assassinat du caporal Jean HERVAGAULT.
La charge affective de cet article est très forte. On imagine quelles émotions ont pu ressentir les enfants de ce malheureux soldat près de 54 ans après les faits. Cordialement Éric ABADIE
COURRIER PICARD 20-5-1994 (édition est du département de la Somme page 17)
Montdidier : la longue disparition de caporal HervagaultDepuis cinquante quatre ans, il gisait là, dans un jardin. En plein centre de Montdidier. Les ossements du caporal breton ont été retrouvés par hasard.Cette découverte revêt un caractère d’autant plus symbolique et émouvant que le lieu de sépulture est un jardin situé ... juste en face du monument aux morts. Tout au bout de la rue Aristide-Briand, sur le terrain de James Diruy. James Diruy qui, lundi [16 mai 1994], a « craché dans ses mains » et commencé à retourner consciencieusement la terre, histoire de remettre le sol à niveau un peu partout.
Et voilà que de cette terre, émerge un os. Humain. Et plus il travaille, plus James Diruy exhume des morceaux de squelette. Mais aussi des objets : une gourde militaire toute rouillée, un « quart » ébréché, des cuillers, une bouteille d’encre (encore pleine d’ailleurs, seul élément un peu « vivant » en quelque sorte de cette poignante découverte), plusieurs parties d’un nécessaire de toilette (flacon d’eau de toilette cassé, manche de rasoir mécanique, vestige de blaireau), un morceau de cuir avec un crayon dedans. Et puis une montre (un « oignon » en argent, en assez bon état), et un médaillon d’argent ciselé, ayant autrefois probablement renfermé un portrait...
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James Diruy alerte le représentant du « Souvenir Français » [Jean-Pierre David] et les gendarmes de Montdidier. Il laisse la parcelle en l’état, n’osant plus creuser, de peur probablement de casser des fragments. Et puis quoi, on ne dérange pas impunément les morts, quelle que soit leur sépulture.
Le passé surgit de la terreMercredi matin, une équipe dépêchée de Rouen par le ministère des Anciens Combattants, spécialisée dans l’exhumation des restes de militaires des divers conflits mondiaux, se met au travail sur le terrain de M. Diruy. La Brigade territoriale, l’Élément Recherche de la gendarmerie de Montdidier sont là aussi. Tout le monde est curieux bien sûr, mais aussi un tantinet songeur, voire ému : qui était cet homme ?
Dès les premiers coups de pioche, de pelle, de crochet (une sorte de sarcloir à deux dents), de nouveaux fragments de squelette apparaissent. Le docteur [Louis-Guy] Accarie, adjoint au maire, qui passait par là, reconstitue le corps, identifie les os.
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Les enquêteurs apprennent vite qu’il s’agit d’un soldat qui a participé au deuxième conflit mondial : on trouve un reste de porte-monnaie pourri, contenant plusieurs pièces collées : elles datent de 1922,1923, il y a aussi quelques sous troués.
Comment cet homme est-il mort ? Quand ? Est-il tombé là, ou l’y a-t-on enseveli ? M. Réty raconte les bombardements de 1940, qui ont endommagé la place et l’école environnantes. Toutes les pistes sont à explorer. Forcément, il est extrêmement difficile d’identifier les restes de ce qui fut un homme de chair et de sang.
La montre livre le secretMercredi après-midi, après lavage, nettoyage soigneux des objets, et en particulier de la montre, les gendarmes arrivent à l’ouvrir. Et ce qui n’était le matin que les restes d’un inconnu, devient subitement un être avec une histoire, un identité, une origine, et qui sait, une famille ?
Jean Hervagault, né le 14 juillet 1905 à Val-d’Izé dans l’Ille-et-Vilaine, caporal au 610e Régiment de Pionniers, a surgi de 40 cm de terre, au cœur de Montdidier, 54 ans après sa mort. Comment sait-on tout ça ? Parce que les gendarmes ont retrouvé et contacté, dès mercredi après-midi, le fils de Jean Hervagault, Jean-Yves. Qui connaissait le sort de son père depuis longtemps, via les rapports de la Croix-Rouge Internationale, à Genève. Qui savait que le caporal avait disparu en juin 40 à ou près de Montdidier, mais dont le corps n’avait jamais pu être retrouvé, en dépit de plusieurs voyages dans la Somme.
Abattu par ses geôliersEt voilà ce qui arriva à Jean Hervagault, selon les informations de l’époque, recueillies par Jean-Yves, le fils. Le caporal du 610e Régiment de Pionniers a été fait prisonnier le 9 ou le 10 juin 1940 dans l’Oise, à Angevillers. Dès le lendemain, une longue colonne de 5 000 captifs français, surveillée par les Allemands, remonte vers le nord. Traverse Montdidier durant quelques heures, entre le 10 et le 12 juin. Un prisonnier français, épuisé, sort de la colonne et s’effondre au bord de la route d’Amiens. « Je suis fatigué, j’en peux plus ». Jean Hervagault se porte à son secours, lui parle, lui donne à boire. Sommations des gardiens allemands, pour qu’il retourne dans les rangs. «Je n’abandonne pas un soldat français sur la route», rétorque le caporal. Les Allemands l’abattent à coups de crosse. Et lui tirent deux balles dans la tête à bout portant. Laissant le caporal breton agoniser. Son corps est abandonné, enseveli dans le lopin de terer que travaille aujourd’hui James Diruy ? Difficile à dire. De même qu’on ne sait si le soldat qu’il aida repose encore, lui aussi dans cet endroit. Les recherches ont repris jeudi, apparemment sans succès.
Toujours est-il que l’émouvante histoire de Jean Hervagault, péripétie tragique d’une histoire insupportable, montre à quel point l’expression «Du passé faisons table rase », n’a finalement pas grans sens. Les témoignages du passé remontent toujours à la surface, d’une façon ou d’une autre.
Monique BOULZE
Une si longue attenteJeudi matin, Jean-Yves, Marie-Thérèse, Monique, les enfants du caporal Hervagault, son frère Maurice, arrivent à Montdidier. Pudiques , le cœur meurtri mais soulagé, ils retrouvent enfin leur père. Aboutissement d’une quête à laquelle ils ne croyaient plus. Jean-Yves Hervagault raconte : « Maman a attendu deux ans, avant de savoir ce qui lui est arrivé. Par des témoignages de prisonniers français, recueillis par la Croix-Rouge Internationale. De notre côté, après la fin de la guerre, nous avons écrit, recherché des informations. D’anciens soldats qui étaient avec mon père nous ont écrit »dit-il. « Et nous avons continué, au fil des années, de le chercher. De 1949 à 1972, chaque année nous sommes venus à Montdidier. Nous avons assisté à des exhumations de corps retrouvés ici et là dans la ville, notamment derrière la Caisse d’Épargne. Mais à chaque fois, ce n’était pas lui ».
Et puis mercredi après-midi : « Au début, quand j’ai parlé avec des membres de ma famille, puis les gendarmes d’ici, je me disais : ce n’est pas possible ». Jeudi matin, on leur a restitué les objets personnels du soldat.
Et dès jeudi après-midi, Jean Hervagault, le caporal du 610e Régiment de Pionniers, devait être inhumé au cimetière militaire de Montdidier, route de Guerbigny. Entouré de sa famille, de représentants des anciens combattants. Provisoirement. Car le mois prochain probablement, ses restes retourneront « au pays », à Val-d’Izé, berceau de la famille. Une famille dont le cercle se reconstitue enfin et se referme, après 54 ans d’attente. M.B.Pièce jointe :
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Coupure du Courrier Picard des 21/22/23 mai 1994