Bonjour à Tous,
Encore Merci à Eric pour les notes sur le livre de Giraud que je viens de commander grace à Monique Martelli qui l'a déniché.
Je vais mettre dans cette rubrique le témoigage d'Elie Mestre, fait prisonnier le 5 juin à Omiécourt. Il complètera la liste des prisonniers donné par Eric.
Élie Mestre est né le 9 mars 1913 à Malause dans le Tarn et Garonne et réside à Nissan les Ensérune où il est marié et père d'un petit garçon Georges né en 1938. Il est maréchal-ferrant de profession. Il est pupille de la nation, son père, Etienne Mestre du 81e RI est Mplf le 16-11-1915 à Tahure. Elie avait 20 mois.
Il a laissé à sa famille, trois carnets de format 90 x 140 dont les deux premiers (150 pages ) relatent sa capture le 5 juin 1940 à Omiécourt, puis son quotidien, jusqu'à sa libération en mai 1942 pour raisons sanitaires. Dans le troisième il a recopié, les lettres et cartes envoyées à sa famille, et noté les textes de plusieurs chansons.
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Seulement trois pièces officielles nous donnent des précisions sur son affectation. La première est un extrait du livret individuel qui nous dit que son corps est le 94e RAM.
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Malheureusement le numéro de sa batterie est difficilement lisible, on dirait un 16 ou un 4. Je pencherais pour la 4ère batterie, du lieutenant Maccarez dans le 2/94. Vous jugerez !
Le fait que Mestre soit fait prisonnier à Omiécourt ( ne pas confondre avec Omencourt ) confirme son appartenance au 2e groupe et rejoint le rapport du Cdt Blanc.
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La deuxième pièce concerne la déclaration de son rapatriement du 13 au 16 mai 1942 à Sathonay, où figurent son numéro matricule 703 au recrutement de Carcassonne et son appel sous les drapeaux en tant que réserviste le 2 septembre 1939, sa capture le 5-6-1940 et son internement aux stalags XVII A et XVIII A.
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La troisième pièce est un certificat délivré le 17 juin 1976 par la mairie de Nissan les Ensérune qui rappelle qu'il a effectué son service militaire du 1er avril 1934 au 15 juillet 1935 et a été démobilisé le 4 juillet 1942.
Elie Mestre sera donc rapatrié sanitaire, pour une blessure au genou reçue d’un coup de hache maladroit prés d’une ancienne fracture datant du printemps 1939 au cours d’un match de Rugby. Il aura donc de nombreux abcès qui l’empècheront de travailler. Il comptait dans un premier temps être rapatrié en tant que pupille de la nation. Il le sera dans la 2e évacuation après les tuberculeux et les soutiens de famille. Ces évacués apporteront dans une grande majorité leur soutien à Pétain. La preuve en est donnée par un quatrain écrit par Mestre :
Si nous sommes prisonniers,
C’est la faute à Daladier,
Si nous avons reçu des pruneaux,
C’est la faute à Raynaud.
Si nous sommes avec les frigolins,
C’est la faute à Gamelin.
Lorsque nous reprendrons le train,
Ce sera bien grâce à Pétain.
E. Mestré ( prononciation en languedocien).
Voici donc le témoignage concernant le mois de juin 1940.
Année 1940. Ma vie de prisonnier.
Mercredi 5 juin : C'est par une très belle journée que j'ai été fait prisonnier. Le matin les cuistots devaient nous servir le café au lait, mais à la pointe du jour on est éveillé par le ronflement des avions qui bombardent non loin de nous. Tout le monde se lève lorsque vers 5 heures on aperçoit des chars au loin ; une pièce anti-chars se trouvait en position à côté de notre cantonnement. On avait quitté le cantonnement du bois la veille pour aller dans le village d’Omiécourt. La pièce tire et malheureusement la réponse ne tarde pas, les obus tombent sur la ferme qui prend feu ; c'est la fuite à travers champs ou les obus pleuvent sur le patelin. Prenant la direction de Paris avec mon copain Duhet et Carvin on avait parcouru 3 km ou les balles de mitrailleuses nous obligent à nous coucher dans un lit champ de luzerne, il était 11 heures. La panique passée je relève la tête et j'aperçois sur la route à 1 km des automitrailleuses. J'averti mes copains « Ne bougeons pas, on est fait » . Il faut attendre la nuit pour essayer de se sauver. Hélas vers 10 heures les obus se rapprochaient de nous. Que faire ? rester là on risquait d'être enterré par les obus ; se sauver une balle risquait de nous descendre. On décide de se sauver ; nous voilà partis en courant. À peine parcouru 300 m les balles sifflent aux oreilles. Il faut se coucher à nouveau, les chars sont sur nous, on s'allonge dans le fossé d'une route remplie d'orties. Un char s'arrête en bordure et fait les sommations pour qu'on se rende. Personne ne bouge, il tire puis refait les sommations. Cette fois je sors du fossé, laisse les armes et me rend. Mes copains font de même. Nous voilà dans les lignes ennemies après avoir parcouru 2 kilomètres en arrière de leur ligne, en longeant les chars qui avançaient, en promenade vers Paris ne trouvant plus de résistance. Un char qui retournait au repos nous fait monter pour nous apporter à Péronne ou un bon lit de paille était préparé. Le voyage sur le char m’a dérangé et une fois à la descente j'ai rendu. Je n'avais rien mangé ni bu depuis la veille, sauf un peu de vin que nous a offert le capitaine qui conduisait les chars, très gentil avec nous. On se couche sans manger. Résumé de cette journée : la chance m’a favorisé, pas une égratignure !
Jeudi 6 : Réveil à six heures, on nous embarque sur des camions après nous avoir fouillé (Je laisse la lampe électrique et le rasoir ) pour se rendre à Cambrai où on arrive à midi. Pour la première fois on nous donne à manger, une gamelle de lentilles avec un petit bout de viande immangeable. Arrivés vers 15 heures on nous embarque en chemin de fer pour arriver à Hirson à 21 heures. Le voyage s'est effectué à wagons découverts, 70 hommes par wagons serrés comme des sardines dans un baril. Il a fallu dormir debout, impossible de s'asseoir, aussi je n'ai pas fermé l'œil. C'était une nuit fort étoilée, passée dans une voie de garage avec défense de sortir du wagon.
Vendredi 7 : Parti de Hirson à 9 heures, arrivé en gare de Givet vers 11 heures, débarqué, et après une marche de 9 kms on arrive au camp de Beauraing à 14 heures. Journée très chaude, pas une goutte d'eau à boire. Le soir on a eu une gamelle de soupe, sans pain. Pour boire il a fallu faire la queue 2 heures, j'étais fatigué mais la soif a eu le dessus, j'ai fait la queue. On a dormi dans le pré, je n'ai fait qu’un sommeil malgré le sol dur.
Samedi 8 : Réveil à 5 heures pour faire une étape de 25 kilomètres qui nous conduit à Gédinne. Une longue colonne échelonnée sur plusieurs kilomètres parcourait les routes belges ; c'étaient ces malheureux prisonniers dont j'étais du nombre. Depuis hier on était en Belgique. À midi on était rendu où une gamelle de soupe nous attendait et 100 g de pain de seigle, le premier bout depuis le 4 au Soir. À 20 heures on embarque en chemin de fer, 60 hommes par wagon couvert pour passer la nuit dans la gare ; à peine si on pouvait s'asseoir, je n'ai pas dormi.
Dimanche 9 : A 8 heures du matin le train démarrait de la gare de Gédinne parcourant la Belgique. Vers midi on passe en Luxembourg et à 15 heures on stationnait dans la gare de Luxembourg. À 20 heures on franchissait la frontière allemande à Wasserbilig et débarquait une demi-heure après à Trier-Sud (Trèbes). En sortant de la gare ont grimpe une côte longue et dure, surtout sans rien dans le ventre, pour arriver à un camp où les baraques sont au complet. Encore une fois j'ai couché à la belle étoile après avoir mangé une gamelle de soupe.
Lundi 10 : A 8 heures on commence la distribution de la soupe. À 14 heures je réussis à avoir une gamelle de soupe. Voilà un convoi qui se forme pour aller embarquer. Je cours pour partir avec mes copains, cette fois 50 hommes par wagon couvert. On a touché 200 grammes de pain, un morceau de lard fumé et à 22 heures le train démarre. Impossible de dormir ne pouvant s'asseoir.
Mardi 11 : Passé à Nuremberg. À midi on a eu une gamelle de soupe, 300 g de pain, un morceau de fromage pour voyager toute la nuit et le lendemain.
Mercredi 12 : Arrivé en gare de Vienne, le soir à 20 heures. Passé la nuit dans le train.
Jeudi 13 : A une heure du matin on nous réveille pour nous donner une gamelle d'orge bien épais et 500 grammes de pain. On était dans une voie de garage de Vienne. Le matin à 7 heures le train se met en route et on arrive à Wilfleinsdorf pour débarquer et se rendre au camp Stalag XVII A (Keisertenbruck) à une trentaine de kilomètres de Vienne. Après une marche de 3 kms on passe la journée dans un pré. Duhet est malade et va à l'infirmerie. Après avoir avalé une gamelle de soupe on nous rentre au camp. Pas de place dans les logements, on couche dehors, mais le froid nous réveille, on va chercher s’il y a une place dans une baraque, mais il n'y a que le couloir de libre où on s'allonge jusqu'au matin.
Vendredi 14 : A 5 heures il faut faire la queue pour aller avaler un peu de café. À 11 heures c'est une gamelle de soupe avec 200 grammes de pain. Le soir à 17 heures c'est la même répétition sauf le pain en moins.
Samedi 15 : J'ai réussi à trouver une place grâce à Duhet, car on l'avait mis dans une baraque au lieu de l'infirmerie. On couche sur des planches, sans couverture. Voici ce qu'il me reste, une chemise, une flanelle, souliers, pantalon de toile, veste de drap, une musette contenant l'outillage à raser, une autre musette renferme la gamelle. J’avais un veston de toile que j'ai donné à Carvin, lui n'avait qu’une chemise sans manche.
Dimanche 16 : Un ordre passe que tout le monde doit avoir les cheveux coupés à ras ; le soir même la corvée était faite.
Lundi 17 : J’ai lavé mon linge sans savon.
Mardi 18 : Que les journées sont longues à ne rien faire, à part quelques belottes avec mes deux copains car j'avais sauvé le jeu de cartes.
Mercredi 19 : Journée de pluie et de cafard.
Jeudi 20 : Je passe aux douches et désinfections. On est obligé de déposer l'argent. Ceci terminé on nous photographie individuellement et j'ai le matricule 63 019. On nous change de baraque pour dormir sur des paillasses. Aussi j'ai bien dormi c'est la première nuit de ma captivité.
Vendredi 21 : A part la belotte qui fait passer à un moment le temps est long.
Samedi 22 : même programme.
Dimanche 23 : J'ai acheté un rasoir, un Gillette pour me raser. La barbe est longue depuis Omiécourt. Ce n'était pas sans besoin.
Lundi 24 : On nous annonce l'armistice, c'est une joie !
Mardi 25 : L'après-midi ont passe au triage pour former des groupes qui vont partir au travail. Dans ces triages je perds mes deux copains qui ont été mis à part. Me voilà seul.
Mercredi 26 : On passe à l'habillement ; je touche un calot car je n'avais rien comme coiffure, j'ai été fait prisonnier avec le casque.
Jeudi 27 : Rassemblement à 14 heures pour aller embarquer à Wilfleinsdorf ; on a touché pour le voyage 500 grammes de pain, confiture et fromage. A 19 heures le train démarre emportant 40 hommes par wagon. On voyage toute la nuit.
Vendredi 28 : Passé à midi en gare de Selhrtal. Restauré par la Croix-Rouge. Malheureusement il n’y en a pas eu pour tout le monde. J'ai été du nombre à serrer la ceinture. À 15 heures on arrivait en gare d’Eisenez. De là on nous dirige vers un camp situé à 2 kilomètres. C'est la vraie montagne, les Alpes autrichiennes. Nous étions 500 dans ce camp logés dans de confortables baraques, on couche dans des lits avec ressorts, 20 hommes par chambre, 2 tables, un poêle, un tabouret pour chacun. C'est à la chambre 24 que je suis logé. On touche un plat en faïence et une tasse ; puis c'est la soupe, on a un plat de légumes c’est bon, bien préparé. On a douche et lavabo à volonté, mais toujours pas de savon.
Samedi 29 : J'ai bien dormi cette nuit dans ce plumard. Réveil matinal à 4 heures, le café servi à 5 heures avec le plein pour la journée ( un pain de un kilo à trois ) une cuillère de confiture à chacun. À 6 heures et demie rassemblement pour partir au travail. Je fais partie d'un groupe de 40 hommes pour aller travailler à la mine de fer dans la montagne. On monte par un funiculaire aux trois quarts du sommet. Comme c’est samedi à 11 heures la journée est terminée. On descend à pied, à midi on arrive au camp. La soupe, un plat de légumes et un morceau de viande « petit ». Pour le repas du soir on a eu une rondelle de saucisson, c'est tout car ici on n’a qu'un repas chaud par jour tout comme les civils. Cuisine assez bonne, mais peu, surtout de pain, à peine 350 grammes par jour. Cet après-midi j'ai lavé mais toujours sans savon, on a touché du cristo seulement. Il n'y a pas de savon en Allemagne.
Dimanche 30 : Réveil 6 heures. On a eu un rassemblement dans le réfectoire pour finir de former des groupes. Beaucoup d'entre nous n’étaient pas allé au travail hier. Je fais partie du groupe 11 et on va dans la chambre 36. Le dimanche on ne travaille pas. Il n'y a qu'un repas chaud à midi et le soir c'est un casse-croûte. Dans la semaine c'est le sens contraire.
Cordialement. Francis