Docteur CARAVEN
Un homme qui a fait tout son devoir
Trop de gens n'ont pas eu, durant les jours tragiques de mai, l'attitude que leur imposait la fonction qu'ils occupaient, pour qu'il n'apparaisse pas nécessaire, ne serait-ce que pour l'histoire de la cité et dût la modestie des intéressés en souffrir, de sortir de l'ombre, ceux qui ont accompli leur devoir, tout leur devoir, au péril de leur vie. Le docteur Caraven est de ce nombre et nous avons appris avec satisfaction qu'il venait de reprendre ses consultations à la clinique de la rue Saint-Fuscien *. Combien de nos concitoyens connaissent le beau geste, le geste héroïque du docteur Caraven ! Il se trouvait le dimanche 19 mai (1940) dans le service chirurgical du Nouvel Hôpital : les blessés par centaines affluaient et il fallait opérer sans cesse nuit et jour... Il vint une heure où le chirurgien fut seul ou à peu près. Son âge l'avait dispensé de la mobilisation mais c'est à peine si sa pensée se reportait vers sa clinique : il savait que tout le monde était resté à son poste. Quant à lui, fixé au sien par le devoir, il avait décidé d'y demeurer jusqu'au bout. Et il tint parole. Grièvement blessé - il avait la jambe droite presque entièrement sectionnée au tiers supérieur - il demeura ainsi, étendu sur le sol, sans soins, durant des heures ! N'ayant pas perdu connaissance, il entendit soudain la voix qu'il reconnut pour être celle du docteur Lamare. Il l'appela et reçut de lui, assisté de Mlle Hérody, sage-femme en chef, les soins que nécessitait son état. Peu après, un camion militaire - il n'y avait plus d'ambulance - transportait le docteur Caraven rue Saint-Fuscien. Il prenait contact avec le docteur Paris, resté lui aussi à son poste et qui venait de rejoindre son domicile, et tous les deux convenaient de procéder à l'amputation du membre qui ne tenait d'ailleurs plus que par un lambeau de chair. Quand le docteur Paris se présenta à la clinique, il n'eut qu'à opérer : son courageux "client" s'était lui-même anesthésié à l'aide du masque. La nuit suivante, le blessé était évacué par les soins du docteur Paris sur Rouen et ce n'était que le début d'un long et douloureux exode. Voici rappelé, en quelques phrases simples, ce qu'on peut appeler un beau trait de courage civique. Aujourd'hui, le docteur Caraven est complètement rétabli et il a repris son service au Nouvel Hôpital. Mais nous savons que le distingué praticien n'a pas seulement souffert dans sa chair : il souffre aussi dans l'art qu'il ne peut exercer comme il le voudrait, en ce qui concerne la chirurgie, du fait de circonstances indépendantes de sa volonté. Toute la vie du docteur Caraven tient en effet dans sa clinique, qui représente pour lui près de quarante années d'un labeur continu consacré au service de la science...
* A Amiens
Le Progrès de la Somme, numéro 22326, 9 avril 1941
Cordialement Eric Abadie
|