Le bombardement de l’usine Potez de Méaulte le 7 juillet 1941

Le mercredi 9 juillet 1941, la presse française de zone libre publie dans ses colonnes un communiqué du ministère de l’air britannique :
« La R.A.F. a poursuivi son action offensive sur le front occidental ennemi au cours de la journée. Des bombardiers lourds escortés de chasseurs ont bombardé et atteint par bombes explosives et incendiaires des usines d’aviation à Méaulte, près d’Albert, et ainsi qu’une centrale électrique et une usine de produits chimiques près de Béthune.
Les chasseurs d’escorte ont abattu 7 avions de chasse ennemis. Nous avons perdu trois appareils de chasse, mais deux des pilotes ont été repêchés en mer… » [note] Le Midi – Quotidien Régional, Toulouse, édition du mercredi 9 juillet 1941 n° 14441 [/note]
Le bombardement par l’aviation anglaise des installations de la Société Nationale de Construction Aéronautique du Nord (S.N.C.A.N.), le 7 juillet 1941, surprend les habitants et les employés de l’usine Potez de Méaulte. Il va marquer les esprits. Le bilan tant matériel qu’humain est énorme. Les installations aéronautiques et les habitations périphériques ont sérieusement souffert.


Depuis sa nationalisation en 1936, l’usine de Méaulte a produit sur ses chaines de montage un millier d’avions Potez 63 et ce jusqu’à la guerre. Après l’armistice de juin 1940, la mainmise de l’Allemagne sur les infrastructures industrielles des territoires contrôlés par ses troupes est effective. Dorénavant, l’industrie aéronautique sur le site de Méaulte se tourne vers la fabrication d’éléments d’appareils allemands comme les Heinkel.

De l’autre côté de la Manche les autorités militaires britanniques n’entendent pas laisser l’envahisseur utiliser ces infrastructures de la zone occupée et veulent à tout prix amoindrir, l’industrie de guerre du troisième Reich. La Royal Air Force va donc s’employer sinon à stopper du moins à enrayer son bon fonctionnement.

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Le 7 juillet 1941, huit Short Stirlings vont ainsi intervenir sur le nord de la France sans enregistrer de pertes. Deux opérations appelées « Circus », portant les numéros 36 et 37 [note]The Bomber Command War Diaries – Martin Middlebrook and Chris Everitt, page 172 :« 7 july 1941 – 8 Stirlings made escorted raids to Northern France without loss. »[/note], sont programmées – soit des actions aériennes où les bombardiers sont escortés par des chasseurs de protection uniquement à leur service. Le « Circus 37 » implique quatre Short Stirlings I appartenant au Group 3 de la R.A.F. qui prennent l’air pour aller bombarder les installations de la S.N.C.A.N. à Méaulte près d’Albert [note]Bombers taking part : 4 Stirlings of 3 Group. Ref : RAF/FC Summary of Sorties (Air 16/1307)[/note]. A l’époque, seuls deux squadrons du Groupe 3 de la R.A.F. sont alors équipés de ce bombardier quadrimoteur : le 7 Squadron (depuis août 1940) ; le 15 Squadron (depuis avril 1941) code utilisé : LS. De fait, ce sont quatre Short Stirlings I du 7 Squadron qui sont engagés dans cette opération, appareils immatriculés N.6006, N.6022 [note]Le Stirling N6022 : MG-D, le 14 juillet suivant, décolle à 23 heures, pour une mission de bombardement sur Hanovre. Au retour, à 3 h. 40 du matin, le 15 juillet 1941, en panne de carburant il s’écrasera à Shotesham Park, Newton Flotman, 7 miles au S.S.-E. de Norwich, Norfolk, après avoir été abandonné [/note], N.6034 [note] Le lendemain de cette mission, le 8 juillet 1941, le Stirling N6034, lors de la mission sur Mazingarbe, sera touché par la Flak, et s’écrasera près de Béthune (Pas-de-Calais) [/note] et W.7433 [note]Le Stirling W7433 : MG-U sera perdu, au-dessus de la mer du Nord, au retour de Stettin le 30 septembre 1941[/note]. Les avions s’envolent de la base d’Oakington (Cambridgeshire).
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Le Stirling I N.6022, codé MG-D, décolle à 8 h. 36 (heure anglaise).

meaulte3À son bord, ont pris place : Squadron/Leader R.D. SPEARE, commandant de bord et pilote (Captain) [note] SPEARE, RICHARD DOUGLAS (DICKIE), Wing Commander, D S O, D F C and Bar, Royal Air Force, 37696, décédé le 23/11/1945 à l’âge de 29 ans. (Commonwealth War Graves Commission) [/note]
Sgt. G.C. BAYLEY, copilote (2nd. Pilot) [note]BAYLEY, GEORGE CORBETT, Pilot Officer, D F C, Royal Air Force Volunteer Reserve, 113343, 1651 Conversion Unit, décédé le 29/07/1942 à l’âge de 23 ans, lors d’une mission sur Hambourg. (Commonwealth War Graves Commission) [/note]
P/O. E.D. LEVIEN, navigateur (Navigator) [note] LEVIEN, E. D., Group Captain, D S O, D F C, survécut à la guerre. Après la guerre, il resta dans la Royal Air Force qu’il quitta pour prendre sa retraite en 1966.[/note]
Sgt. E.C. GLENWRIGHT, opérateur radio (W/Operator) [note] GLENWRIGHT, EDWIN CAMPBELL, Flight Sergeant (W.Op./Air Gnr.), D F M, Royal Air Force, 552875, 1651 Conversion Unit, décédé le 29/07/1942 à l’âge de 20 ans, lors d’une mission sur Hambourg. (Commonwealth War Graves Commission) [/note]
Sgt. L.W. PETERS, mitrailleur avant (Front Gunner) ;
Sgt. J. GRAHAM, mitrailleur de queue (Rear Gunner) ;
Sgt. D. H. WILLIAMS, Mécanicien de bord (Engineer A/G).
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Le Stirling I N.6034, codé MG- ?, décolle à 8 h. 38 (heure anglaise).

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À son bord :
P/O. K.O. BLUNDEN, commandant de bord et pilote (Captain) [note] BLUNDEN, KENNETH OSWALD, Flying Officer, Royal Air Force Volunteer Reserve, 87343, décédé dans la nuit du 25 au 26/08/1941 à l’âge de 23 ans, lors d’une mission sur Karlsruhe. [/note]
Sgt. J.D. HART, copilote (2nd. Pilot)
Sgt. J.D. EDWORTHY, navigateur (Navigator) RCAF [note] EDWORTHY, JOHN DUNCAN, Sergeant, Royal Canadian Air Force, R/63542, décédé dans la nuit du 25 au 26/08/1941 à l’âge de 26 ans, lors d’une mission sur Karlsruhe [/note]
Sgt. D.A. LLOYD, opérateur radio (W/Operator) [note] LLOYD, D.A., Sergeant, opérateur radio, fut le seul survivant de l’équipage du Stirling N6020 MG-B, 7 Squadron, pilotait par le F/O K O Blunden. Le bombardier fut perdu lors d’une mission sur Karlsruhe dans la nuit du 25 au 26 août 1941 et s’écrasa à Trier (Allemagne). Le sergeant Lloyd réussit à sauter en parachute et fut fait prisonnier.[/note]
Sgt. P. COMROE, mitrailleur avant (Front Gunner) [note] COMROE, PAUL, Flight Sergeant, mitrailleur, Royal Canadian Air Force, R/65640, décédé le 18/11/1941 à l’âge de 26 ans, au retour d’une mission sur Brest, à bord du Stirling I N6087, MG-A du 7 Squadron [/note]
Sgt. (B.A.) FOWLER, Mécanicien de bord (Engineer A/G)
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 Stirling I W.7433, codé MG-U, décolle à 8 h. 40 (heure anglaise).

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À son bord :
F/O. R.D. MORLEY, commandant de bord et pilote (Captain) [note] MORLEY, REGINALD DAVID, Pilot Officer, Royal Air Force Volunteer Reserve, 67024, décédé le 08/07/1941 à l’âge de 22 ans, au cours d’une mission sur Mazingarbe, à bord du Stirling I N6034.[/note]
Sgt. G.S. EDWARDS, copilote (2nd. Pilot) [note] EDWARDS, GEORGES STEWART, Sergeant, Royal Canadian Air Force, R69672/J38644, Prisonnier de Guerre, un des deux survivants de l’équipage du Stirling I N6034, le 08/07/1941 au cours d’une mission sur Mazingarbe.[/note]
P/O. J. BAILIE, navigateur (Navigator) [note] BAILIE John, Pilot Officer, Royal Air Force Volunteer Reserve, 88443, décédé le 08/07/1941 à l’âge de 21 ans, au cours d’une mission sur Mazingarbe, à bord du Stirling I N6034.[/note]
Sgt. S. SMITH, opérateur radio (W/Operator) [note] LOMAS-SMITH, ROBEI HAROLD, Sergeant, Royal Air Force Volunteer Reserve, 921574, décédé le 08/07/1941 à l’âge de 22 ans, au cours d’une mission sur Mazingarbe, à bord du Stirling I N6034.[/note]
Sgt. L.N. CHAPPELL, mitrailleur avant (Front Gunner) [note] CHAPPELL, Leslie Newton, Sergeant, Prisonnier de Guerre, un des deux survivants de l’équipage du Stirling I N6034, le 08/07/1941 au cours d’une mission sur Mazingarbe.[/note]
Sgt. (W. G.) WILLIAMS, mitrailleur de queue (Rear Gunner) [note] WILLIAMS, WILLIAM GEORGE, Flight Sergeant, Royal Air Force, 653373, décédé le 08/07/1941 à l’âge de 21 ans, au cours d’une mission sur Mazingarbe, à bord du Stirling I N6034.[/note]
Sgt. W. ROSS, Mécanicien de bord (Engineer A/G) [note] ROSS, WILLIAM, Sergeant, Royal Air Force, 570966, décédé le 08/07/1941 à l’âge de 20 ans, au cours d’une mission sur Mazingarbe, à bord du Stirling I N6034.[/note]
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Le Stirling I N.6006, codé MG-G, décolle, quant à lui, à 8 h. 44 (heure anglaise).

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À son bord :
F/Sgt. A. YARDLEY, commandant de bord et pilote (Captain) [note] YARDLEY, ALICK, Flight Sergeant, Royal Air Force, 748748, Prisonnier de Guerre, lors d’une mission sur Berlin, dans la nuit du 7 au 8 septembre 1941, à bord du Stirling I N6046, l’appareil est descendu par un chasseur de nuit allemand.[/note]
P/O. R. ELLIS-BROWN, copilote (2nd. Pilot) [note] ELLIS-BROWN, Roy, Flying Officer, de nationalité américaine, D.F.C. (R.A.F.), Croix de Guerre, Silver Star, D.F.C. (U.S.A.A.F.), Air Medal, prendra le commandement d’une escadrille du 7 Squadron pour former le N° 7 Conversion Flight en janvier 1942, puis N° 1651 Conversion Flight et 214 Squadron RAF, avant de rejoindre U.S.A.A.F. le 3 mars 1943. Il vola successivement au 310 Ferrying Squadron, sur des B24, puis rejoignit le 654 Squadron au sein du 25 Bomb Group. Il fut promu Major et officier des opérations. Il démissionna en 1948.[/note]
Sgt. J. H. BOLTON, navigateur (Navigator) [note] BOLTON ou BOULTON, J. H., Royal Air Force, 742790, Prisonnier de Guerre, lors d’une mission sur Berlin, dans la nuit du 7 au 8 septembre 1941, à bord du Stirling I N6046, l’appareil est descendu par un chasseur de nuit allemand.[/note]
Sgt. COOKE, opérateur radio (W/Operator)
Sgt. (J.M.) SUTTON, mitrailleur avant (Front Gunner) [note] SUTTON, J., Sergeant, Royal Air Force, 746720, Prisonnier de Guerre, lors d’une mission sur Berlin, dans la nuit du 7 au 8 septembre 1941, à bord du Stirling I N6046, l’appareil est descendu par un chasseur de nuit allemand.[/note]
Sgt. A. SPEAKMAN, mitrailleur de queue (Rear Gunner) [note] SPEAKMAN, A., Sergeant, Royal Air Force, 551472, Prisonnier de Guerre, lors d’une mission sur Berlin, dans la nuit du 7 au 8 septembre 1941, à bord du Stirling I N6046, l’appareil est descendu par un chasseur de nuit allemand.[/note]
Sgt. D. OWENS, Mécanicien de bord (Engineer A/G) [note]OWENS, D., Sergeant, Royal Air Force, 528924, Prisonnier de Guerre, lors d’une mission sur Berlin, dans la nuit du 7 au 8 septembre 1941, à bord du Stirling I N6046, l’appareil est descendu par un chasseur de nuit allemand.[/note]

De nombreux chasseurs assurent l’escorte et la protection des bombardiers entre 9 h. 40 et 12 h. 10, dont : 7 Spitfires Vb du 74 Squadron et 12 Spitfires Vb du 609 Squadron.

 

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Les quatre quadrimoteurs sont maintenant en vue de l’objectif. L’attaque du site débute à 10 heures (heure anglaise).
Le Stirling I W.7433, codé MG-U, piloté par le Flying Officer R.D. MORLEY, largue 5 bombes de 1000 livres, 10 de 500 livres et 240 bombes de 4 livres incendiaires. Deux vont frapper l’objectif alors que plusieurs autres tombent légèrement à l’ouest de l’usine mais sur des immeubles [note] Albert. 5 x 1,000, 10 x 500, 240 x 4 incendiaries. Two sticks hit target and sticks were slightly to the West of factory but on buildings. Jul. 7th. W7433. (Air 27-98 Public Record Office, Kew)[/note]
Quant au Stirling I N.6022, codé MG-D, piloté par le Squadron/Leader. R.D. SPEARE, il a été gêné sur l’ensemble de la zone de l’objectif qui était obscurcie par la fumée et la poussière.

Cependant, l’équipage a vu des incendies créés par les bombes larguées auparavant. L’appareil est rentré à la base avec une bombe de 500 livres et 20 de 4 livres. Une défaillance du système de largage des bombes semble en être la cause. [note] The whole target area was obscured by smoke and dust but incendiaries were seen burning. 1 x 500 and 20 x 4 brought back. Bomb release failure. Slight Flak from a convoy. Fighter escort. Jul. 7th. N6022 (Air 27-98 Public Record Office, Kew).[/note]

Les deux derniers bombardiers ont fait les mêmes constatations sur zone, à savoir l’absence de visibilité mais la présence d’incendies [note] Four aircrafts left to attack an aircraft factory at Meaulte near Albert. F/O. R.D. MORLEY Squadron/Leader. R.D. SPEARE P/O. K.O. BLUNDEN F/Sgt. A. YARDLEY. 2 sticks […] the target and two more were slightly off but on buildings to the West. Later aircraft were unable to see the target as it was obscured by smoke and dust but incendiaries were seen burning. Slight Flak was experienced from a convoy over which our aircraft passed on their return. A large fighter escort from 11 group accompanied our aircraft.
Air Vice Marshall T. Leigh-Mallory C.B. (Companion of the Order of Bath) D.S.O. (Distinguished Service Order) A.O.C. (Air Officer Commanding) signaled after the events – “My heartiest congratulations on the magnificent results of your bombing at Albert today.” To which W/Cdr. H.R. Graham replied : – “Many thanks. Operation only successful because of excellent escort.”
This complimentary message was particularly appreciated as it is the first the squadron has received (Air 27-98 Public Record Office, Kew).
[/note]

Les appareils atterriront sur la base d’Oakington entre 11 h. 41 et 11 h. 51 respectivement le Stirling N.6034 (11.41), le N.6022 (11.45), le W.7435 (11.50) et enfin le N.6006 (11.51) [note]The whole target area was obscured by smoke and dust but incendiaries were seen burning. 1 x 500 and 20 x 4 brought back. Bomb release failure. Slight Flak from a convoy. Fighter escort. Jul. 7th. N6022. (Air 27-98 Public Record Office, Kew)[/note]

A la suite de cette opération, un message très apprécié au 7 Squadron, provenant du commandant du 11 Fighter Group, l’Air Vice Marshall T. Leigh-Mallory fut envoyé en ces termes : « Mes chaleureux compliments pour les magnifiques résultats obtenus lors de votre bombardement à Albert, aujourd’hui. » Ce à quoi le W/Cdr. H.R. Graham répondit : « Merci beaucoup. Le succès de cette opération n’a pu être obtenu que grâce à l’excellente escorte.» Cet excès d’optimisme est cependant à pondérer.

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ATTAQUE DE JOUR EN FRANCE OCCUPÉE – MÉAULTE, FRANCE –

Photographie prise depuis un avion au cours d’une attaque de la Royal Air Force. La ville est localisée près d’Albert, … Les informations suivantes sont données avec la photo. Sont montrées : (1) explosions enveloppant l’extrême nord de la ville ; (2) les bombes éclatant sur des magasins de mitrailleuses et des dépôts de pièces détachées ; (3) bombes éclatant sur des magasins et sur l’extrême ouest des principaux hangars d’assemblage et bureaux ; (4) bombes éclatant sur les halls de fin de montage. Photo passée par la censure britannique.
Rs – 7/23/41 (s)

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Retour en France, à l’usine Potez et dans le village de Méaulte après le raid, ce 7 juillet. Le constat est accablant. Des bombes ont effectivement atteint leur cible ; vingt-quatre bombes sont tombées sur l’usine. Plusieurs ouvriers sont tués, Plus d’une vingtaine sont soit grièvement soit plus légèrement blessés. En cas de bombardement, des « abris Jacobson » sont censés les protéger, en fait de simples tranchées en chicane recouvertes de tôle et de terre. Richard Lenté [note]Richard Lenté a travaillé à l’usine Potez de Méaulte au cours de la Seconde Guerre mondiale.[/note]se souvient qu’il fallait longtemps pour couvrir les quelques 100 mètres qui séparaient les tranchées de l’usine une fois que l’alerte était donnée. « Mais encore fallait-il qu’il y ait une alerte… »[note]Bienvenue à Méaulte-sous-terre !, article de Christèle Bouche, édition du Courrier Picard du 13 août 1997.[/note]Car ce jour-là, l’opération aérienne de la Royal Air Force a pris de court tant le personnel de l’usine que la population. Aucun moyen de prévention n’était prévu et l’alerte n’a pas fonctionné !

La presse locale autorisée par les autorités allemandes, à commencer par le Progrès de la Somme, va se faire l’écho de ce drame. D’abord timidement dans son édition du mercredi 9 juillet puis de manière plus virulente et déployant des arguments anglophobes dans ses éditions ultérieures. On touche alors du doigt la mainmise de la Propaganda Staffel sur la presse sous l’occupation, quitte à forcer le trait même de façon grossière : « les aviateurs anglais se sont servis de leurs mitrailleuses pour faire pleuvoir une grêle de balles ».

L’édition du Progrès de la Somme du 12 juillet 1941 complètera la liste des auteurs d’actes de dévouement avec ceux des docteurs Hermant et Fernet et de mentionner celui de l’infirmier de l’usine M. Le Moal qui, sous les bombes, se lança à la recherche des blessés.

La région d’Albert bombardée par les Anglais ( 09 / 07 / 1941)

DES MORTS ET DES BLESSÉS DANS LA POPULATION

La région d’Albert a subi hier une sérieuse attaque anglaise.
Quatre bombardiers protégés par quelques chasseurs ont survolé la ville, puis ont piqué sur l’usine de Méaulte.
De nombreux projectiles ont atteint leur but et l’usine est en partie anéantie.
Cette attaque a coûté la vie à une douzaine d’ouvriers ; le nombre des blessés n’est pas encore exactement connu, mais il est peu élevé.
On déplore que la R.A.F. ait ensuite continué son raid sur Méaulte même, et ait jeté des bombes en dehors de tout objectif militaire. Plusieurs maisons sont anéanties.
La population civile compte une femme et deux enfants tués.

Le Préfet de la Somme s’est rendu sur les lieux

Dès les premières minutes de l’attaque anglaise sur Méaulte, M. Pelletier, Préfet de la Somme, se rendait sur les lieux qu’il parcourut longuement et où il rencontra M. le sous-préfet de Péronne.
En même temps que lui, une équipe de sauvetage, dirigée par M. le docteur Mans, directeur départemental du service d’hygiène, arrivait à Méaulte, composée de MM. Les docteurs Gérard et Jean-François Perdu, Poulain et de Butler.
Les chirurgiens apportèrent immédiatement leur précieux concours au docteur Ducellier, directeur local de la défense passive d’Albert, aux docteurs Bourdichon et Duquesne d’Albert et au Dr Guillot de Bray-sur-Somme, qui étaient accourus à la première nouvelle de l’attentat et qui déjà prodiguaient leurs soins diligents aux victimes du bombardement de la R.A.F. dont quelques-unes furent transportées à Amiens [note]L’édition du Progrès de la Somme du 12 juillet 1941 complètera la liste des auteurs d’actes de dévouement avec ceux des docteurs Hermant et Fernet et de mentionner celui de l’infirmier de l’usine M. Le Moal qui, sous les bombes, se lança à la recherche des blessés.[/note]
M. le Préfet remercia les équipes de sauveteurs. Il tint à témoigner de sa reconnaissance à M. le Kreiskommandant d’Albert dont l’équipe de sauvetage multiplia les efforts dans la recherche et la mise en sécurité des innocentes victimes des exploits des aviateurs anglais.
Nous ajouterons enfin que tous les éléments de secours que nous venons de citer, étaient à pied d’œuvre moins d’un quart d’heure après l’alerte [note]Le Progrès de la Somme – édition du mercredi 9 juillet 1941.[/note]

 

Après le bombardement de Méaulte (10 / 07 / 1941)

Les aviateurs anglais ont tiré à la mitrailleuse sur la population

Nous avons brièvement narré l’attaque menée contre les usines de Méaulte par l’aviation anglaise dans la matinée de lundi.
Les aviateurs de la R.A.F. ne se sont pas contentés de jeter leurs bombes sur les établissements bien connus ; ils se sont acharnés sur toute la partie Est du village qui se trouve à environ 300 m de l’usine.
Un grand nombre de maisons ouvrières ont été complètement détruites par les explosions ; plus nombreuses encore sont celles qui ont subi de tels dégâts qu’elles sont devenues inhabitables. La population civile a particulièrement souffert de cette attaque. On déplore, en effet, la mort de plusieurs femmes et celle de trois enfants. Les recherches dans les ruines continuent.
Des témoignages probants ont été recueillis de la bouche d’ouvriers de l’usine et d’habitants de la commune martyrisée, qui révèlent que les aviateurs anglais se sont servis de leurs mitrailleuses pour faire pleuvoir une grêle de balles sur une partie du terroir.
Ainsi se trouvent rééditées les méthodes pratiquées par la R.A.F. à Beyrouth sur des objectifs sans intérêt militaire.
Méaulte présente maintenant un aspect de lamentable désolation.
Dans les ruines de leurs maisons, les sinistrés de 1941 recherchent ce qui a pu échapper à la destruction ; hébété, un ouvrier, l’un des plus éprouvés contemple l’objet qui lui rappelle sa femme et le jouet qui lui rappelle son enfant tué lui aussi.
A quelques pas de là, on a trouvé la fillette d’un voisin, les yeux grands ouverts et pleins d’atroce frayeur, serrant encore sur sa frêle poitrine les fleurs qu’elle cueillait au moment de l’offensive anglaise.
La mort ne l’en avait pas séparée.

On peut maintenant chiffrer à peu près certainement le nombre des victimes civiles du bombardement anglais.
A ce jour, on déplore la mort de 20 personnes ; le nombre de blessés est d’environ 50.
Les femmes et les enfants ont fourni un fort contingent à ce triste bilan.
Nous tenons à signaler que dès les premières heures de l’attentat, de nombreux Albertins, spontanément sont venus s’offrir comme donneurs de sang [note]Le Progrès de la Somme – édition du jeudi 10 juillet 1941.[/note]

 

Après l’attaque de la R.A.F. ( 11 / 07 / 1941)

L’inhumation à Albert et Méaulte des victimes françaises du bombardement anglais.

Mercredi à 10 h. 30 ont eu lieu les obsèques collectives des victimes du bombardement aérien anglais du 7 juillet. Toute la population était présente et la vaste basilique s’avérait trop petite pour contenir cette foule émue.
Mgr Martin, évêque d’Amiens, donna l’absoute et accompagna les corps de 8 des victimes au cimetière.
Derrière les chars funèbres surchargés de fleurs et de couronnes, venait M. Séverie, sous-préfet de Péronne, représentant M. le Préfet.
Il était accompagné de M. Jean Caron, maire d’Albert, et de M. Rouzé, directeur général de la S.N.C.A.N.
Venaient ensuite les adjoints, le conseil municipal, la direction de la S.N.C.A.N., la brigade de gendarmerie et la police municipale, les fonctionnaires et toute la population.
Nous disons bien toute la population, puisque les chars pénétraient dans la nécropole alors que la fin du cortège était encore au bas de la rue Jeanne-d’Harcourt.
Au cimetière attendaient : M. l’Oberst von Alberti [note]General Major Konrad Von Alberti (1894-1967) Feld-Kommandant 580 (10 novembre 1939 – 17 juillet 1941) ; Feld-Kommandant 240 ( 17 juillet 1941 – 30 mai 1942).[/note], Feldkommandant ; puis MM. Oberlt. Hoebel, Adjutant des Feldkommandant ; Oberlt. Dr Stobberg, Kreiskommandant d’Albert ; Oberlt. Kleemeier, Adjutant de la Kreiskommandantur ; Oberlt Rodenhauser, Flugeitung de Méaulte ; Major Mittelstaedt, Rüstungsinspektion ; Dipl. Ing. Schaller et Ingenieur Schleicher, Wersleitung Méaulte.
M. le sous-préfet et M. le Maire d’Albert, ainsi que les personnalités allemandes, s’inclinèrent devant les corps des innocentes victimes et saluèrent les familles si cruellement éprouvées.
M. le Kreiskommandant présenta en termes choisis ses condoléances et celles de M. le Feldkommandant à M. le sous-préfet, à M. le Maire.
La même cérémonie se déroulait aussi émouvante, une heure plus tard, à Méaulte, où furent inhumées six autres victimes du bombardement de la R.A.F [note].Le Progrès de la Somme – édition du vendredi 11 juillet 1941.[/note]

 

Le bilan exact de ce premier raid sur l’usine de Méaulte le 7 juillet 1941 reste à préciser. Mentionnons simplement deux victimes : 
OUVRARD Jeanne, née en 1917 et tuée le 7 juillet 1941 lors du bombardement de Méaulte.
Inhumée à Senlis-le-Sec, canton d’Acheux-en-Amiénois, département de la Somme ;
DANEZ André, né vers 1929, blessé le 7 juillet 1941 lors du bombardement de Méaulte.
Décédé le 8 juillet 1941 à la clinique Perdu à Amiens et inhumé à Baizieux, canton de Corbie, département de la Somme.
Avis de décès le 11 juillet 1941 [Le Progrès de la Somme]
DANEZ André, victime du bombardement de Méaulte, décédé à Amiens à la clinique Perdu le 8 juillet 1941 dans sa 12e année. Les obsèques auront lieu en l’église de Baizieux le vendredi 11 juillet 1942, sa paroisse.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les raids aériens alliés ont conduit, petit à petit, et ce jusqu’à la libération, à véritablement scléroser l’économie comme l’industrie d’armement du troisième Reich. Cependant, ces bombardements massifs comportent bien souvent des nombreux et tragiques « dégâts collatéraux », selon une formulation contemporaine. Il n’est pas rare que le bilan humain soit très lourd à supporter pour la population locale. Méaulte [note] Méaulte compte dix victimes civiles entre 1939 et 1945 :
BERGER Claude
BERGER Jeanne
DALBOSCO Eléna
DALBOSCO Lidia
DANEZ André
LEFEBVRE Liliane
MANOLIS Demitrios
MARTIN Eugène
NICOLE Claudette
PENA Candida [/note]

 et la ville d’Albert en savent quelque chose. Là, les opérations aériennes se poursuivront durablement à commencer par celle planifiée par l’U.S.A.A.F. le 6 septembre 1942.

*****

J’exprime ma grande gratitude à M. Jocelyn Leclercq qui m’a très aimablement communiqué les documents provenant du Public Record Office de Kew (Grande-Bretagne) concernant le bombardement de l’usine Potez de Méaulte le 7 juillet 1941 par la R.A.F.

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© Éric ABADIE – Picardie 1939 – 1945 – octobre 2013

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