Le bombardement de l’usine Potez de Méaulte le 7 juillet 1941
Le mercredi 9 juillet 1941, la presse française de zone libre publie dans ses colonnes un communiqué du ministère de l’air britannique :
« La R.A.F. a poursuivi son action offensive sur le front occidental ennemi au cours de la journée. Des bombardiers lourds escortés de chasseurs ont bombardé et atteint par bombes explosives et incendiaires des usines d’aviation à Méaulte, près d’Albert, et ainsi qu’une centrale électrique et une usine de produits chimiques près de Béthune.
Les chasseurs d’escorte ont abattu 7 avions de chasse ennemis. Nous avons perdu trois appareils de chasse, mais deux des pilotes ont été repêchés en mer… » 1
Le bombardement par l’aviation anglaise des installations de la Société Nationale de Construction Aéronautique du Nord (S.N.C.A.N.), le 7 juillet 1941, surprend les habitants et les employés de l’usine Potez de Méaulte. Il va marquer les esprits. Le bilan tant matériel qu’humain est énorme. Les installations aéronautiques et les habitations périphériques ont sérieusement souffert.
Depuis sa nationalisation en 1936, l’usine de Méaulte a produit sur ses chaines de montage un millier d’avions Potez 63 et ce jusqu’à la guerre. Après l’armistice de juin 1940, la mainmise de l’Allemagne sur les infrastructures industrielles des territoires contrôlés par ses troupes est effective. Dorénavant, l’industrie aéronautique sur le site de Méaulte se tourne vers la fabrication d’éléments d’appareils allemands comme les Heinkel.
De l’autre côté de la Manche les autorités militaires britanniques n’entendent pas laisser l’envahisseur utiliser ces infrastructures de la zone occupée et veulent à tout prix amoindrir, l’industrie de guerre du troisième Reich. La Royal Air Force va donc s’employer sinon à stopper du moins à enrayer son bon fonctionnement.
Le 7 juillet 1941, huit Short Stirlings vont ainsi intervenir sur le nord de la France sans enregistrer de pertes. Deux opérations appelées « Circus », portant les numéros 36 et 37 2, sont programmées – soit des actions aériennes où les bombardiers sont escortés par des chasseurs de protection uniquement à leur service. Le « Circus 37 » implique quatre Short Stirlings I appartenant au Group 3 de la R.A.F. qui prennent l’air pour aller bombarder les installations de la S.N.C.A.N. à Méaulte près d’Albert 3. A l’époque, seuls deux squadrons du Groupe 3 de la R.A.F. sont alors équipés de ce bombardier quadrimoteur : le 7 Squadron (depuis août 1940) ; le 15 Squadron (depuis avril 1941) code utilisé : LS. De fait, ce sont quatre Short Stirlings I du 7 Squadron qui sont engagés dans cette opération, appareils immatriculés N.6006, N.6022 4, N.6034 5 et W.7433 6. Les avions s’envolent de la base d’Oakington (Cambridgeshire).
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Le Stirling I N.6022, codé MG-D, décolle à 8 h. 36 (heure anglaise).
À son bord, ont pris place : Squadron/Leader R.D. SPEARE, commandant de bord et pilote (Captain) 7
Sgt. G.C. BAYLEY, copilote (2nd. Pilot) 8
P/O. E.D. LEVIEN, navigateur (Navigator) 9
Sgt. E.C. GLENWRIGHT, opérateur radio (W/Operator) 10
Sgt. L.W. PETERS, mitrailleur avant (Front Gunner) ;
Sgt. J. GRAHAM, mitrailleur de queue (Rear Gunner) ;
Sgt. D. H. WILLIAMS, Mécanicien de bord (Engineer A/G).
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Le Stirling I N.6034, codé MG- ?, décolle à 8 h. 38 (heure anglaise).
À son bord :
P/O. K.O. BLUNDEN, commandant de bord et pilote (Captain) 11
Sgt. J.D. HART, copilote (2nd. Pilot)
Sgt. J.D. EDWORTHY, navigateur (Navigator) RCAF 12
Sgt. D.A. LLOYD, opérateur radio (W/Operator) 13
Sgt. P. COMROE, mitrailleur avant (Front Gunner) 14
Sgt. (B.A.) FOWLER, Mécanicien de bord (Engineer A/G)
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Le Stirling I W.7433, codé MG-U, décolle à 8 h. 40 (heure anglaise).
À son bord :
F/O. R.D. MORLEY, commandant de bord et pilote (Captain) 15
Sgt. G.S. EDWARDS, copilote (2nd. Pilot) 16
P/O. J. BAILIE, navigateur (Navigator) 17
Sgt. S. SMITH, opérateur radio (W/Operator) 18
Sgt. L.N. CHAPPELL, mitrailleur avant (Front Gunner) 19
Sgt. (W. G.) WILLIAMS, mitrailleur de queue (Rear Gunner) 20
Sgt. W. ROSS, Mécanicien de bord (Engineer A/G) 21
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Le Stirling I N.6006, codé MG-G, décolle, quant à lui, à 8 h. 44 (heure anglaise).
À son bord :
F/Sgt. A. YARDLEY, commandant de bord et pilote (Captain) 22
P/O. R. ELLIS-BROWN, copilote (2nd. Pilot) 23
Sgt. J. H. BOLTON, navigateur (Navigator) 24
Sgt. COOKE, opérateur radio (W/Operator)
Sgt. (J.M.) SUTTON, mitrailleur avant (Front Gunner) 25
Sgt. A. SPEAKMAN, mitrailleur de queue (Rear Gunner) 26
Sgt. D. OWENS, Mécanicien de bord (Engineer A/G) 27
De nombreux chasseurs assurent l’escorte et la protection des bombardiers entre 9 h. 40 et 12 h. 10, dont : 7 Spitfires Vb du 74 Squadron et 12 Spitfires Vb du 609 Squadron.
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Les quatre quadrimoteurs sont maintenant en vue de l’objectif. L’attaque du site débute à 10 heures (heure anglaise).
Le Stirling I W.7433, codé MG-U, piloté par le Flying Officer R.D. MORLEY, largue 5 bombes de 1000 livres, 10 de 500 livres et 240 bombes de 4 livres incendiaires. Deux vont frapper l’objectif alors que plusieurs autres tombent légèrement à l’ouest de l’usine mais sur des immeubles 28
Quant au Stirling I N.6022, codé MG-D, piloté par le Squadron/Leader. R.D. SPEARE, il a été gêné sur l’ensemble de la zone de l’objectif qui était obscurcie par la fumée et la poussière.
Cependant, l’équipage a vu des incendies créés par les bombes larguées auparavant. L’appareil est rentré à la base avec une bombe de 500 livres et 20 de 4 livres. Une défaillance du système de largage des bombes semble en être la cause. 29
Les deux derniers bombardiers ont fait les mêmes constatations sur zone, à savoir l’absence de visibilité mais la présence d’incendies 30
Les appareils atterriront sur la base d’Oakington entre 11 h. 41 et 11 h. 51 respectivement le Stirling N.6034 (11.41), le N.6022 (11.45), le W.7435 (11.50) et enfin le N.6006 (11.51) 31
A la suite de cette opération, un message très apprécié au 7 Squadron, provenant du commandant du 11 Fighter Group, l’Air Vice Marshall T. Leigh-Mallory fut envoyé en ces termes : « Mes chaleureux compliments pour les magnifiques résultats obtenus lors de votre bombardement à Albert, aujourd’hui. » Ce à quoi le W/Cdr. H.R. Graham répondit : « Merci beaucoup. Le succès de cette opération n’a pu être obtenu que grâce à l’excellente escorte.» Cet excès d’optimisme est cependant à pondérer.
ATTAQUE DE JOUR EN FRANCE OCCUPÉE – MÉAULTE, FRANCE –
Photographie prise depuis un avion au cours d’une attaque de la Royal Air Force. La ville est localisée près d’Albert, … Les informations suivantes sont données avec la photo. Sont montrées : (1) explosions enveloppant l’extrême nord de la ville ; (2) les bombes éclatant sur des magasins de mitrailleuses et des dépôts de pièces détachées ; (3) bombes éclatant sur des magasins et sur l’extrême ouest des principaux hangars d’assemblage et bureaux ; (4) bombes éclatant sur les halls de fin de montage. Photo passée par la censure britannique.
Rs – 7/23/41 (s)
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Retour en France, à l’usine Potez et dans le village de Méaulte après le raid, ce 7 juillet. Le constat est accablant. Des bombes ont effectivement atteint leur cible ; vingt-quatre bombes sont tombées sur l’usine. Plusieurs ouvriers sont tués, Plus d’une vingtaine sont soit grièvement soit plus légèrement blessés. En cas de bombardement, des « abris Jacobson » sont censés les protéger, en fait de simples tranchées en chicane recouvertes de tôle et de terre. Richard Lenté 32se souvient qu’il fallait longtemps pour couvrir les quelques 100 mètres qui séparaient les tranchées de l’usine une fois que l’alerte était donnée. « Mais encore fallait-il qu’il y ait une alerte… »33Car ce jour-là, l’opération aérienne de la Royal Air Force a pris de court tant le personnel de l’usine que la population. Aucun moyen de prévention n’était prévu et l’alerte n’a pas fonctionné !
La presse locale autorisée par les autorités allemandes, à commencer par le Progrès de la Somme, va se faire l’écho de ce drame. D’abord timidement dans son édition du mercredi 9 juillet puis de manière plus virulente et déployant des arguments anglophobes dans ses éditions ultérieures. On touche alors du doigt la mainmise de la Propaganda Staffel sur la presse sous l’occupation, quitte à forcer le trait même de façon grossière : « les aviateurs anglais se sont servis de leurs mitrailleuses pour faire pleuvoir une grêle de balles ».
L’édition du Progrès de la Somme du 12 juillet 1941 complètera la liste des auteurs d’actes de dévouement avec ceux des docteurs Hermant et Fernet et de mentionner celui de l’infirmier de l’usine M. Le Moal qui, sous les bombes, se lança à la recherche des blessés.
La région d’Albert bombardée par les Anglais ( 09 / 07 / 1941)
DES MORTS ET DES BLESSÉS DANS LA POPULATION La région d’Albert a subi hier une sérieuse attaque anglaise. Le Préfet de la Somme s’est rendu sur les lieux Dès les premières minutes de l’attaque anglaise sur Méaulte, M. Pelletier, Préfet de la Somme, se rendait sur les lieux qu’il parcourut longuement et où il rencontra M. le sous-préfet de Péronne. |
Après le bombardement de Méaulte (10 / 07 / 1941) Les aviateurs anglais ont tiré à la mitrailleuse sur la population Nous avons brièvement narré l’attaque menée contre les usines de Méaulte par l’aviation anglaise dans la matinée de lundi. On peut maintenant chiffrer à peu près certainement le nombre des victimes civiles du bombardement anglais.
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Après l’attaque de la R.A.F. ( 11 / 07 / 1941) L’inhumation à Albert et Méaulte des victimes françaises du bombardement anglais. Mercredi à 10 h. 30 ont eu lieu les obsèques collectives des victimes du bombardement aérien anglais du 7 juillet. Toute la population était présente et la vaste basilique s’avérait trop petite pour contenir cette foule émue.
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Le bilan exact de ce premier raid sur l’usine de Méaulte le 7 juillet 1941 reste à préciser. Mentionnons simplement deux victimes :
OUVRARD Jeanne, née en 1917 et tuée le 7 juillet 1941 lors du bombardement de Méaulte.
Inhumée à Senlis-le-Sec, canton d’Acheux-en-Amiénois, département de la Somme ;
DANEZ André, né vers 1929, blessé le 7 juillet 1941 lors du bombardement de Méaulte.
Décédé le 8 juillet 1941 à la clinique Perdu à Amiens et inhumé à Baizieux, canton de Corbie, département de la Somme.
Avis de décès le 11 juillet 1941 [Le Progrès de la Somme]
DANEZ André, victime du bombardement de Méaulte, décédé à Amiens à la clinique Perdu le 8 juillet 1941 dans sa 12e année. Les obsèques auront lieu en l’église de Baizieux le vendredi 11 juillet 1942, sa paroisse.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les raids aériens alliés ont conduit, petit à petit, et ce jusqu’à la libération, à véritablement scléroser l’économie comme l’industrie d’armement du troisième Reich. Cependant, ces bombardements massifs comportent bien souvent des nombreux et tragiques « dégâts collatéraux », selon une formulation contemporaine. Il n’est pas rare que le bilan humain soit très lourd à supporter pour la population locale. Méaulte 39
et la ville d’Albert en savent quelque chose. Là, les opérations aériennes se poursuivront durablement à commencer par celle planifiée par l’U.S.A.A.F. le 6 septembre 1942.
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J’exprime ma grande gratitude à M. Jocelyn Leclercq qui m’a très aimablement communiqué les documents provenant du Public Record Office de Kew (Grande-Bretagne) concernant le bombardement de l’usine Potez de Méaulte le 7 juillet 1941 par la R.A.F.
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© Éric ABADIE – Picardie 1939 – 1945 – octobre 2013
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