9e Zouaves

9e Zouaves, 2e Cie

Z 9

Lieutenant Élie Chétrit

 

 

LA RETRAITE

Dix-sept jours après notre arrivée, le bataillon avait perdu un tiers de ses effectifs (morts et blessés). C’est alors, au cours de notre deuxième période de repos, que nous recevons l’ordre de repli. Nous ne savions pas ce qui s’était passé, notre horizon de guerre se limitant à quelques centaines de mètres sur le canal. Ce n’est que longtemps après que nous devions apprendre que les Allemands se méfiant du Pont Saint-Marc à cause de l’automitrailleuse incendiée, des coups de canon tirés, du pont détruit et de la résistance acharnée de nos hommes avaient décidé d’attaquer assez loin sur le canal pour nous contourner et filer vers Paris.

Au moment même où nous nous préparions au repli, nous apercevons 3 petites chenillettes françaises arrivant derrière nous et nous avons la surprise d’être mitraillés par les occupants qui sont des Allemands. Nores, fils du Président du Tribunal d’Alger est abattu en même temps que de nombreux soldats et les 3 Allemands des chenillettes. Le repli commence de nuit et en colonne par un pendant que les Allemands circulent parallèlement sur les routes et de jour. Dans la colonne par un, chaque soldat tenait le sac au dos du soldat qui était devant lui, seul moyen de ne pas s’égarer. Je marchais en serre-file pour recueillir les trainards. Le cocasse se mêlait au tragique : j’ai rencontré une nuit un commandant d’active qui a insisté pour que j’applique le règlement qui voulait qu’en temps de guerre, une troupe se déplace en formation classique, c’est-à-dire en triangle avec une aile droite et une aile gauche protégeant la colonne centrale. Bien entendu, j’ai fait semblant d’opiner dans son sens mais j’ai maintenu la colonne par un pour ne pas perdre d’hommes.

A un moment donné, la tête de la Division qui opérait son repli s’est heurtée au village de Crépy-en-Valois occupé par des forces allemandes. Le Général commandant la Division dont le souci était de faire échapper le plus possible d’hommes de ses 3 régiments prit contact avec le Colonel commandant le 9ème Zouaves pour qu’il désigne une section qui devrait avancer dans Crépy-en-Valois pour occuper les Allemands pendant que le reste de la Division contournerait le village par la droite. Ma section est choisie parce que le Colonel sait que je la tiens bien en main. Elle est maintenant grosse de 50 à 60 hommes. Nous entrons dans le village lentement sans que la résistance attendue ne se manifeste immédiatement. Au bout d’une centaine de mètres, j’estime que nous avons assez pris de risques et je fais rentrer les hommes dans des maisons en leur demandant de continuer leur progression de maison à maison en abattant éventuellement les murs mitoyens mais quelques imbéciles estiment plus simple d’aller plus facilement en courant dans la rue chaque fois jusqu’à la porte cochère suivante et se font bêtement abattre par les tirs des Allemands. Je décide d’expédier un homme à l’entrée du village pour voir les progrès du contournement du village par la Division. Il revient me dire qu’il n’y a plus personne même pas l’homme qui devait nous signaler que l’opération était terminée. Je décide immédiatement un repli aussi discret et aussi rapide que possible mais les Allemands ne sont pas dupes et nous poursuivent.

A la sortie du village, nous nous sauvons dans les blés qui sont hauts au milieu des rafales de balles traçantes. Voir les balles qu’on entend siffler autour de soi fait très peur mais les Allemands s’amusent et laissent tomber. Nous voilà donc isolés, donc libres, et le repli continue avec l’espoir de retrouver notre régiment. Nous traversons un bois qui va jusqu’à une route. Nous nous mettons en embuscade à l’orée du bois et tuons un Allemand qui passait sur la route en motocyclette. Nous récupérons son fusil-mitrailleur que nous abandonnerons, faute de savoir l’utiliser, l’Armée française n’enseignant que l’utilisation des armes françaises. Le 12 juin 1940, nous arrivons au village de Basoche et nous entrons dans une ferme avec l’espoir de nous ravitailler et d’y dormir. Dans la cour dont un portail ouvre sur la route, des poulets… quelques hommes leur courent après.

Comme des camions allemands passent sur la route, c’est dangereux. Je sors dans la cour pour engueuler ces hommes et aussitôt un soldat allemand braque son fusil sur moi et m’emmène. J’espère que mes hommes vont se sauver mais non, ils restent là à attendre que les Allemands viennent les faire prisonniers.

CAPTIVITÉ

Les Allemands nous emmènent dans un champ servant de camp mais ce camp est mal clôturé et mal gardé. Une évasion est très facile. Malheureusement, au cours de la retraite, nous avions traversé de nombreux ruisseaux et les chaussures sans chaussettes avaient fini par se coller aux pieds gonflés dont la chair était devenue blanchâtre. Les pieds sont douloureux et je ne marche qu’avec difficulté. Après avoir péniblement enlevé mes chaussures, je m’installe au soleil pour faire sécher mes pieds, ce qui se réalise au bout de 3 jours, mais à ce moment-là, les Allemands nous conduisent à la citadelle de Cambrai qui est un fort d’où personne ne réussit à s’évader. 5 ou 6 jours plus tard, nous sommes dirigés à pied vers la Belgique, le Luxembourg puis l’Allemagne.