8e RAD (11e DI), rapports

8e RAD Rapports

 

Rapport du Capitaine BOCCON-GIBOD

Commandant la 3e Batterie du 8e R.A.D.
sur l’emploi de son unité pendant la campagne et propositions résultants de cet emploi (Extraits)

a) La 3e Batterie ne s’est jamais trouvée dans une situation exceptionnelle résultant de l’emploi par l’ennemi de chars ou d’aviation sous forme massive ; toute fois en exécution des ordres reçus, elle a été souvent amenée à remplir des missions autres que sa mission normale.

b) Le 11 juin, dès le décrochage de la 11e D.I. en forêt de Compiègne, j’eus l’ordre de laisser une pièce anti-chars à l’entrée d’un village pour couvrir le retrait de la division. Cette pièce devait se maintenir en contact avec des éléments d’infanterie se trouvant à proximité et se replier sur l’ordre d’un Capitaine d’infanterie. Le décrochage devait avoir lieu en principe au petit jour. Le lieutenant CONDET, Lieutenant de tir, pris le commandement de cette pièce. Cette mission amène les remarques suivantes :

1° Le Lieutenant CONDET eut de grosses difficultés pour trouver des fantassins susceptibles de le couvrir.

2° L’ordre de repli ne lui parvint que tardivement et dans des conditions extrêmement précaires. Ce n’est que grâce à son sang-froid et à l’intelligence qu’il avait de la situation que le Lieutenant CONDET ne fût pas fait prisonnier et qu’il ramena tout son matériel.

3° Une telle pièce isolée était une proie facile pour l’ennemi, le Lieutenant CONDET ne pouvait disposer d’un personnel suffisant pour s’éclairer et se défendre contre une attaque quelconque susceptible de déboucher de n’importe quelle direction.

4° En conclusion, il semble qu’une pareille mission aurait dû être confiée à un détachement plus important comprenant au besoin des troupes d’infanterie et d’artillerie placées sous le commandement d’un seul chef.

c) La batterie fut soumise à un bombardement en piqué pendant dix minutes environ. Ce bombardement, mal ajusté, fit deux tués et trois blessés qui se trouvaient dans des trous assez éloignés des pièces ; la batterie elle-même n’eut aucun dégât, une des pièces énergiquement commandée continua même à tirer.
Le tir des armes automatiques et individuelles fut exécuté par de nombreux gradés et hommes, mais le nombre des armes existantes était trop restreint pour que ce tir eut une efficacité quelconque ; une mitrailleuse sur deux s’est d’ailleurs enrayée rapidement.

d) Il ne s’est jamais présenté de défections à la 3e Batterie composée exclusivement de réservistes âgés de 25 à 30 ans.

Le Capitaine BOCCON-GIBOD

Ancien Commandant de la 3e Batterie du 8e R.A.D. et de la B.H.R. du 8e R.A.D.


Rapport du Capitaine JAPIOT

Commandant la 7e Batterie du 8e R.A.D.
au Chef d’Escadron HENRY Commandant le 3e Groupe

J’ai l’honneur de vous envoyer le récit que vous m’avez demandé sur les faits qui se sont déroulés au poste d’observation de Jaulzy (Aisne) pendant les journées des 7 et 8 juin 1940

Le 7 juin dans la matinée, j’ai pris le commandement du P.O. de Jaulzy situé dans une maison surplombant la vallée de l’Aisne et qui avait une mission de renseignement et de tir au profit des éléments suivants : Etats Majors du 8e R.A.D. et du 170e R.I. ; 7e et 9e Bries du 8e R.A.D. ; 15e Brie du 208e R.A. ; une batterie du 195e R.A.

De ce fait j’avais sous mes ordres l’Adjudant TOUSSAINT, Observateur du 170e R.I. et 35 sous- officiers et hommes appartenant à des équipes d’observation et de transmissions. Quatre lignes téléphoniques correspondant aux quatre régiments et un poste E.R.17 communiquant avec le P.C. du 8e R.A.D. nous reliaient à l’arrière.

Aux premières heures de l’après-midi, le Génie fait sauter successivement les ponts d’Attichy, Berneuil, Vic sur Aisne, après repli des unités engagées au nord de l’Aisne. Bientôt apparaissent sur les plateaux et les pentes qui bordent la rivière, les premiers éléments ennemis.

Négligeant toutes précautions pour se dérober à nos vues, ils offrent jusqu’à la tombée de la nuit, des objectifs magnifiques pour notre artillerie.
Sans arrêt je plaque sur eux les tirs de la 7e puis de la 9e Batterie (qui est la plus facilement accessible par téléphone) : sections d’infanterie, colonnes de voitures, reconnaissances d’artillerie sont tour à tour prises à parti et laissent sur le terrain morts, blessés ou détruits, la plus grande partie de leur personnel, de leurs chevaux, de leur matériel.
En particulier vers 19 heures, une colonne composée d’éléments à pied, de motos, de voitures touristes, de cavaliers et de voitures hippomobiles qui s’est engagée sur une route bien en vue sur le plateau entre Attichy et Bitry est presque entièrement anéantie ; après le tir on ne voit s’en dégager que deux chevaux, courant affolés sans conducteur.

Le lendemain 8 juin vers 3 heures 15 commence la riposte de l’adversaire. L’observatoire de Jaulzy est pris à parti par du 150. Les premiers coups tombent derrière la maison à 100 ou 200 mètres environ.
Je fais aussitôt évacuer la maison par le personnel qui n’y est pas strictement indispensable que j’envoie à l’abri dans une sorte de carrière souterraine à 40 mètres de la maison. J’y fais transporter aussi le poste radio. Je ne conserve auprès de moi, au poste d’observation, que l’Adjudant, un sous-officier d’artillerie et deux hommes, l’un comme téléphoniste observateur et l’autre comme agent de liaison avec le poste radio. Spontanément, sous-officiers et hommes s’étant portés volontaires pour rester, j’établis un tour de présence.

Le bombardement, qui devient rapidement encadrant et serre de plus en plus près l’observatoire, se poursuit ainsi sans discontinuer sauf un léger arrêt d’une ½ heure aux alentours de 9 heures.
Pendant plus de 7 heures consécutives, à une cadence moyenne de 2 coups par minute et souvent supérieure, les coups tombent autour de la maison, abattant les arbres, démolissant la grange mitoyenne avec notre observatoire. Par une chance inouïe, la maison où nous sommes, qui a reçu un coup dans le toit entraînant la chute d’un plafond et un autre à la base, résiste jusqu’à 10 heures 15.

Sur les lignes téléphoniques, une seule, qui avait été soigneusement enterrée, subsiste jusqu’à cette heure-là ; aussi, toute la matinée, j’exécute encore de nombreux tirs à vue avec la 7e Brie, alternant avec le Lieutenant JAOUEN de la 15e Brie du 208 venu en renfort et qui emprunte la même ligne pour tirer avec sa batterie. Vers 10 heures, le tir ennemi redouble de violence, ce qui parait indiquer l’imminence d’une attaque. En même temps l’aviation ennemie multiplie ses bombardements en piqué. La maison reçoit quelques obus mais tient toujours ; des bombes éclatent aux environs sans la toucher.

Bientôt sur tout le front, en face de nous, les fantassins allemands dévalent les pentes et descendent vers l’Aisne ; certains d’entre eux traînent en courant des éléments de passerelle. Je veux utiliser le téléphone pour déclencher des tirs sur eux mais la dernière ligne vient d’être coupée. Il est 10 heures 15.

Ne pouvant plus communiquer par fil, je donne l’ordre au personnel qui est resté avec moi de quitter la maison et de m’accompagner à l’abri souterrain où se trouve le poste radio. L’Adjudant TOUSSAINT et un sous-officier observateur d’artillerie que j’avais seuls conservés auprès de moi, descendent alors avec moi. A ce moment précis, la maison touchée par les obus et les bombes (car un avion nous attaque à moins de 50 mètres) s’écroule de toutes parts ; nous sommes couverts de débris de vitres et de plâtres mais personne n’est blessé.

Nous gagnons rapidement l’abri où je répartis les différentes missions. Contre l’avion, l’Adjudant TOUSSAINT avec le F.M. et 5 servants avec leur mousqueton, tirent à chaque passage. D’autres regarnissent les chargeurs dès qu’ils sont vides. Bientôt, leurs efforts sont couronnés de succès : le F.M. touche à mort l’avion ennemi qui tombe verticalement dans la vallée laissant derrière lui une traînée de fumée noire.

Pendant ce temps, le Canonnier BLOCH, de l’équipe du régiment, s’est porté volontaire pour aller chercher dans la maison en partie détruite les fusées du tir d’arrêt qu’on lance trois fois de suite ; puis, au cours de plusieurs voyages semblables, on va rechercher tout ce qui peut être récupéré : avec quatre volontaires, sous-officiers et hommes, qui se chargent de tout le matériel de transmissions et d’observation encore intact, je ramène les documents les plus importants.

Quant à l’équipe radio, sous le commandement du Maréchal des Logis BLANDIN, elle s’empresse de remplacer son antenne détruite par l’avion en utilisant du fil téléphonique après l’avoir dénudé.
Mais la mise en place de cette antenne étant longue et difficile, j’envoie le cycliste KAUFMANN rétablir la liaison au P.C. du Colonel et demander du ravitaillement en fil téléphonique, munitions et vivres. Bientôt, la radio fonctionne à nouveau, transmettant les derniers renseignements de l’observatoire. Mais, entretemps, j’ai pris la décision de faire occuper l’observatoire de rechange situé à 200 mètres à l’arrière puisque le premier est devenu inutilisable.

Le déplacement s’effectue par petits groupes de 4 à 5 ; le premier sous le commandement du Lieutenant JAOUEN, les autres sous la conduite de sous-officiers et Brigadiers, chacun emportant une partie du matériel. Je pars le dernier avec l’équipe radio, répartissant entre nous tout le matériel restant. Bien que le trajet entre les deux observatoires soit en grande partie vu de l’ennemi, encombré par les débris des maisons qu’il faut escalader, nous échappons tous à la double action de l’artillerie qui bombarde et de l’aviation qui mitraille à terre.

A l’appel qui est fait dans les carrières souterraines du dessous du nouvel observatoire, personne ne manque : tout le personnel est sain et sauf ayant ramené la plus grande partie de son matériel.

Le Capitaine JAPIOT, Commandant la 7e Brie du 8e R.A.D.


Récit de l’activité de la pièce anti-chars de la 7e Brie du 8e RAD
en position sur les rives de l’Aisne les 7 et 8 juin 1940.

La 1ère pièce de la 7e Batterie a été détachée en mission anti-chars sous le commandement de l’Aspirant DESEILLIGNY à partir du 2 juin pour défendre les débouchés du pont d’Attichy.

Le 6 juin, elle perd, au cours d’un bombardement par avion, un de ses servants, le Canonnier BONHOMME, enseveli sous les décombres d’une maison.

Le 7 juin, le génie ayant fait sauter le pont, la pièce reçoit du Capitaine GUILLAUME, commandant la 3e Cie du 170e R.I. et commandant le point d’appui, l’ordre d’occuper une position à plus large champ, en lisière d’un petit bois, à gauche de la route venant du pont.

Le 8 juin, vers 3h45, l’ennemi déclenche un violent bombardement d’artillerie, martelant de façon continue toute la zone voisine de la pièce. Vers 9h45, l’aviation ennemie intervient attaquant en piqué, à la bombe et à la mitrailleuse. A 10h15, le Sergent-Chef du 170e R.I. qui commande une pièce de 25 non loin de là vient prévenir l’Aspirant DESEILLIGNY que l’ennemi franchit l’Aisne, en particulier sur la droite, et que ses hommes n’ont plus de munitions. L’Aspirant s’empare alors du fusil mitrailleur modèle 1915 dont il dispose et, accompagné du Sergent-Chef, se rend sur la route d’où il vide 10 chargeurs sur l’ennemi qui s’infiltre de plus en plus. Il parvient ainsi à protéger le repli des servants du canon de 25 dont ils peuvent emporter la culasse.

Mais les éléments ennemis devenus de plus en plus nombreux, tournent la résistance qu’ils viennent de rencontrer en se glissant dans le bois, derrière la pièce. L’Aspirant qui n’a plus de munitions d’arme automatique revient alors près de ses servants et donne l’ordre au Chef de pièce, le Maréchal-des-Logis ROESER, d’ouvrir le feu avec les obus à balles sur les fantassins ennemis qui s’avancent sur la route. Il y a là près d’une compagnie qui marche en colonne par trois, méprisant le danger, en chantant. Sur un tel objectif, les obus à balles débouchés à zéro font merveille : l’ennemi qui subit de très grosses pertes (une demi-compagnie, au dire de nos fantassins) se couche et se tait.

Après l’épuisement des obus à balles, l’Aspirant fait tirer les obus explosifs avec lesquels il réussit également à mettre entièrement hors d’usage le canon de 25 dont les servants avaient emporté la culasse. Enfin, toutes les munitions ayant été tirées, il ne reste plus d’autre ressource que de faire sauter la pièce. L’Aspirant donne donc l’ordre de déclaveter le tube et de le bourrer de terre après y avoir chargé un obus à balles conservé dans ce but. Le feu est mis alors par le Chef de pièce avec un long cordon : le tube est séparé de l’affût et la volée fendue en trois endroits rend la bouche à feu complètement inutilisable.
Il est 10h45.

Après avoir délégué deux servants pour prévenir du départ les conducteurs de la pièce qui, avec leur Brigadier, se trouvaient dans le bois à une centaine de mètres, l’Aspirant se replie avec le Peloton de pièce. Entre temps, le Canonnier RODRIGUEZ est tombé, mortellement blessé à la nuque par une balle de mitrailleuse après avoir chargé le dernier obus ; le Brigadier pointeur GIRARD et le tireur GORNINBAULT, légèrement blessés par des éclats d’obus, peuvent être ramenés par leurs camarades. Quant aux conducteurs, ils ne répondent pas à l’appel des servants envoyés vers eux : d’après ceux-ci, à l’emplacement de l’avant train, des chevaux gisent, tués par les bombardements, des hommes râlent.

Le bilan des pertes pour la pièce s’établit donc ainsi :

- Tués :

  • BONHOMME (le 6 juin)
  • RODRIGUEZ (le 8 juin)

- Disparus :

  • HAMON ff Brigadier de pièce (8 juin)
  • COMTET
  • BRELET
  • LOISELET

- Blessés :

  • GIRARD (8 juin)
  • GONINBAULT (8 juin)

A Couzeix le 20 juillet 1940,

Le Capitaine JAPIOT Commandant la 7e Batterie.


Rapport de l’Aspirant DESEILLIGNY, commandant une pièce anti-chars 7e Brie du 8e RAD

Le 1er juin 1940, la 7e batterie du 8e R.A.D. envoyait aux premières lignes d’infanterie une pièce dont je prenais le commandement.
C’était un 75 modèle 1897 et la mission était de stopper dans la mesure du possible une attaque par chars et auto blindées sur le front d’Attichy (sur l’Aisne).

Le 7 juin, veille de l’attaque allemande sur l’Aisne, l’ennemi prenait contact sur la rive droite. Tous les ponts sautaient entre 12 et 14 heures. Ma pièce n’avait donc plus à proprement parler une mission anti-chars. C’est alors que le Capitaine commandant la compagnie du 170e R.I. dans le réduit duquel j’étais, me donne l’ordre de déplacer ma pièce en vue de remplir une mission d’arrêt de l’infanterie ennemie qui franchissait le fleuve.

Le 8 juin, dès 3 heures du matin, l’artillerie ennemie de tous calibres nous bombarde très sérieusement. Le bombardement ne ralentit pas jusqu’à 9 heures 30. C’est alors que surviennent les avions de bombardement ennemis qui nous déversent leurs bombes et leur mitraille pendant 20 minutes.

A la faveur de ce bombardement aérien, l’ennemi jette une passerelle sur le fleuve et traverse environ deux compagnies d’infanterie, nullement inquiétées par nos fantassins qui sont occupés à tirer en D.C.A. Surpris, les nôtres doivent alors se replier derrière moi et je me trouve seul avec ma pièce, commençant à être encerclé par l’ennemi.
J’avais déjà perdu par le bombardement tous mes chevaux et mes 4 conducteurs.

Je donne l’ordre de faire pivoter la pièce de 3200 millimètres et je tire 50 obus à balles débouchés à zéro sur l’ennemi qui est à moins de 200 mètres derrière moi. L’effet est radical : au dire des fantassins qui reprirent le terrain peu après, plus d’une demi-compagnie ennemie fut couchée à terre. Il me restait 25 obus explosifs charge normale que j’employais de la même façon, tout en détruisant une pièce de 25 que les nôtres avaient dû abandonner devant moi en emmenant la culasse. Je laissais mes 45 obus de rupture. Puis je donnai l’ordre de faire sauter la pièce avec un obus à balles que j’avais conservé en bourrant le tube de terre et en déclavetant.

Au cours de cette manœuvre, j’ai perdu un homme tué d’une balle de mitrailleuse à la nuque et j’ai pu ramener deux blessés, deux hommes valides et le sous-officier. Les hommes se sont magnifiquement conduits, surtout quand ils ont eu à tirer. Il résulte de tout ceci que le 75 pour la défense rapprochée est une arme redoutable et qui surprend l’ennemi. Mais la pièce est toujours sacrifiée car ses chevaux ne peuvent éviter la préparation d’artillerie et d’avions qui précède l’attaque. De plus, il semblerait, dans ce cas particulier du pont d’Attichy que l’ennemi n’aurait pu passer le fleuve si nos fantassins avaient eu leurs armes plus rapprochées les unes des autres (le front de la compagnie était de 2 km) et surtout s’ils n’avaient pas eu à se défendre contre la avions. Combien à ce moment un avion français aurait remonté le moral de nos hommes et leur aurait fait gagner du temps. D’autre part la dotation de l’artillerie en armes automatiques était plutôt faible car les F.M. 15 sont des armes excellentes quand il y en a plusieurs ensemble et qu’elles ne s’enrayent pas. Quant à la conduite des hommes, je répète qu’elle fût parfaite.
L’impression produite par les avions en piqué est vite dissipée quand les hommes tirent et cherchent à se défendre au lieu de réfléchir dans leur trou.

Signé : DESEILLIGNY

Commandant la pièce anti-chars de la 7e Brie du 8e R.A.D.