25e BCA (2) Hattencourt

BCP 25

Ultimes combats

Le 4 juin au matin, il était environ 5 heures je me rendais comme à l’ordinaire, chaque matin, à la cuisine de campagne, boire le « jus », deviser de choses et autres avec les collègues « cuistots ». La veille, ils avaient abattu un superbe porc qui cuisait lentement pour le repas de la compagnie. Après avoir bu, je remplissais le quart du capitaine de qui j’étais l’ordonnance et me dirigeais vers sa chambre pour le lui servir.

Une légère brume couvrait les vastes plaines de la Somme, s’effilochant lentement avec le lever du jour, présage d’une chaude et belle journée de juin. Au détour du chemin, qui conduisait à la chambre où il reposait, l’horizon m’apparut chargé d’un épais nuage s’étalant sur plusieurs centaines de mètres. Inquiet, anxieux, je pressais le pas, frappais, pénétrais en effectuant le salut réglementaire suivi de « bonjour mon capitaine », auquel il répondit par un mouvement de tête. Il prit le quart que je lui tendais, but quelques gorgées de ce breuvage qui avait le seul avantage d’être chaud « Quel temps fait-il, rien à signaler ? », lança-t-il- « La journée s’annonce belle, lui dis-je, mais, à l’horizon se profile un long, large et épais nuage poussiéreux ! ».

Brusquement, il posa le quart, se leva prestement muni de jumelles, scrutant au loin. Je restais auprès de lui dans l’attente, nerveux, avide de savoir, inquiet de son silence persistant. Soudain se tournant vers moi, il me donna l’ordre impérativement : « Passe vite chez le lieutenant Sim…, qu’on sonne le réveil et le rassemblement d’urgence, tous en tenue de combat, armes et munitions, groupés en attente, aux ordres ». Je sortis précipitamment, courant jusqu’à la chambre du lieutenant, que je réveillais en lui transmettant le message du capitaine. Je rejoignais ensuite rapidement les collègues qui dormaient encore, leur annonçant la nouvelle, alors que le clairon sonnait : réveil et rassemblement.

Ce fut un moment de panique, chacun cherchait quelque chose dans l’affolement général, mais devant cet événement gravissime l’heure n’était pas aux commentaires, il devait être entre 6 et 7 heures.

Au rassemblement, nous avions tous la peur au ventre, lorsque le capitaine accompagné de subalternes, nous annonça l’arrivée imminente de chars allemands. Se heurter à l’infanterie allemande semblait préférable mais nous n’avions pas le choix. A chacun fut désigné l’emplacement de son poste de combat, tireurs et servants à l’unique mortier, au canon antichars, les autres aux mitrailleuses et mousquetons, prêts.
<P align=justify »A quelques centaines de mètres de la ferme, où nous étions cantonnés, une ribambelle de chars portant croix gammées, stationnaient à présent, attendant certainement ordres ou concours de l’aviation ou l’artillerie pour attaquer. Nous étions rassemblés dans cette imposante ferme dont la très grande cour était ceinturée de bâtiments d’habitation des fermiers évacués, étables, écuries, porcherie, poulailler, un haut pigeonnier et autres dépendances. A part les vaches, qui paissaient dans le vaste pâturage situé entre les chars allemands et nous, porcs, chèvres, volailles déambulaient librement dans la cour. Nous sommes restés sur nos positions respectives la nuit durant sous garde vigilante, chacun à son poste.

Au matin du 5 commencèrent les hostilités, précédées par un bombardement intensif de l’aviation allemande, opérant par vagues successives meurtrières. Nous étions 3, le sergent corse Sant… qui eut le bras transpercé, le caporal et moi-même postés au sommet du pigeonnier. Après de nombreuses rafales bien ajustées, repéré par l’aviation allemande une bombe réduisait le pigeonnier en ruines. Heureusement, je me retrouvais au bas, dans une mangeoire, mon mousqueton brisé, ayant perdu mon casque, le souffle m’avait arraché les trois quarts de ma capote et je me retrouvai torse nu, seulement en pantalon, commotionné, choqué, étourdi. Dans les décombres, à proximité, nous retrouvions le caporal Toi… , groggy, abasourdi mais vivant. A ses côtés la mitrailleuse démunie de son trépied, découverte d’ailleurs non loin de là, était en état de fonctionner parfaitement.

Dans la cour un camion de munitions (obus de mortier, de canon de 25, balles de mitrailleuse) stationnait. Après avoir pris quelques caisses de munitions nous nous remettions en batterie. La nuit tombait, les combats et les bombardements cessèrent. Cette nuit de veille, vigilante, nous permit de prendre à tour de rôle un peu de repos. Nous n’avions rien bu, ni mangé depuis le 3 au soir et le besoin s’en faisait ressentir.

La nuit se termina assez tôt. Vers les 4 heures du matin, le 6 une discrète tentative de percée de chars fut repoussée. Dès le grand jour les bombardements et les tirs de canons allemands s’intensifièrent à tel point qu’une grande partie de la ferme était en flammes. Les vaches étaient toutes abattues, les animaux de la basse-cour gisaient blessés, morts ou brûlés. Une issue entre 2 bâtiments dont il ne restait que les murs, nous permit de sortir de cette fournaise, munis encore et uniquement de notre mitrailleuse et de nos 2 caisses de munitions.

Sortis du brasier, le capitaine, le caporal Toi… et moi-même, sous ses ordres mettons la pièce en batterie dans un bosquet de pins que longeait un chemin emprunté par les chars ennemis, tourelles ouvertes.

En embuscade, notre tir nourri et efficace, vidait une caisse de munitions. Repérés dès lors, l’aviation par une riposte soudaine mit en quelques minutes fin à notre résistance. Je dois rendre un vibrant hommage au capitaine Lacour qui tout au long de cette opération, ne cessait de donner ordres et directives avec maîtrise et détermination. Tête nue, sans casque, debout derrière nous entre deux rafales, je le voyais stoïque, n’esquivant qu’un léger déplacement de tête lorsque les balles sifflaient trop près de ses oreilles, maître de lui, la voix ferme et assurée dans ses ordres.

Les arbres brisés, jonchaient le sol en flammes, ce qui nous délogea de notre poste. Une petite gare de chemin de fer, était située à une vingtaine de mètres de là. Un par un, qui la pièce, qui le trépied et l’ultime caisse de munitions, nous traversions cette dangereuse distance découverte, sous un tir nourri. Arrivés, tous deux, le capitaine déjà là nous y attendait. A l’étage d’une lampisterie, étaient entassés quelques sacs de blé et autres céréales. Une fenêtre s’ouvrait sur la voie jouxtée d’un chemin parallèle. Cette ouverture fut obturée en partie avec les sacs, ne laissant qu’un créneau pour la visibilité et la manœuvre de la mitrailleuse. Quelques chars ne tardèrent pas à emprunter le chemin longeant les rails, suivis d’engins motorisés chargés de soldats armés et casqués. Notre tir reprit au commandement mais désormais sur des objectifs bien plus vulnérables. Las ! repérés à nouveau un obus réduit à néant notre dernier retranchement. Tous trois légèrement blessés mais saufs, quittions en hâte les décombres de la lampisterie, mitrailleuse hors d’état, dépourvus d’armes, les munitions épuisées.

Le capitaine nous dit « Je n’ai pas reçu d’ordre de repli, attendons ». A une trentaine de mètres stationnait miraculeusement un wagon de marchandise. En rampant un par un, nous allions nous réfugier au-dessous à l’abri des observateurs, attendant la nuit et peut-être l’ordre de repli qui ne vint jamais d’ailleurs.

BACCOU Marcel, À défaut de pardon, ne laisse pas venir l’oubli 39-40, Editions Martiennes, Sauve, 2006

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