170e RI (11e D.I.) – Souvenirs du Lieutenant POST

Souvenirs du Lieutenant POST

170e RI

170 def

 

 

23 mai 1940 

14H30  Béthisy-St-Pierre. Débarquement sur la voie de garage.

Les sections, échelonnées de cinquante en cinquante mètres gagnent la sortie du bourg en colonne par un. Nos pas se perdent dans l’herbe qui bordent la grand route. Seuls humains en civil dans le paysage, les évacués cheminent en sens inverse sur la chaussée noire. Les uns à pied, les autres à bicyclette, ils vont, silencieusement et las, nous indiquant parfois d’un geste qu’ils s’estiment malgré tout plus heureux que nous. Un homme, jeune encore, poursuit une voiture où la famille entière s’est entassée : les vieux, la femme et cinq enfants. Ils viennent du Nord. Le cheval est fourbu, les gosses ne comprennent pas le sens de cette grande promenade harassante et la femme remplit ses poches de mouchoirs trempés de larmes. Le grand-père nous dit : « là-haut, tout est détruit. Nous n’avons plus que le matelas et les couvertures que vous voyez sur le chariot. Allez chez vous… Tout est fini, ils sont trop forts… »

Enfin, après avoir côtoyé maints trous de bombes, nous atteignons Saintines : l’Oise, la lisière de la forêt de Compiègne, cultures riches, luxuriante verdure, pays charmant qui respire la douceur de vivre… Aujourd’hui, pays désert que les habitants ont abandonné à l’ennemi. Le 170 va tâcher de le leur conserver…

CUNY et HIGELIN désignent à chaque chef de section les cantonnements des unités. Je case les groupes dans trois pièces à la sortie nord du village et ils y trouvent un peu de paille pour s’étendre. Il y a une pompe dans la cour et à cinq heures les ablutions tirent à leur fin. On distribue le courrier.

5H30. Je fais une entrée discrète dans le logement des officiers. Nous occupons une grosse et riche ferme aux pièces luxueusement meublées, à la cuisine resplendissante de netteté et de confort moderne. J’envahis la salle de bain et MELOT part en campagne afin de trouver les calmants appropriés à notre fringale. Remis d’aplomb, je sors du cabinet de toilette me disant : « Voilà comment je comprends la culture !… » quand des hurlements m’arrachent à ces pensées réconfortantes. C’est le Capitaine, rouge de fureur, qui passe un savon de première grandeur au pauvre MELOT déconfit parce qu’il a dérobé des œufs dans le village abandonné pour colmater nos dents creuses…On pourrait appeler cette explosion le comble de la probité. Je me fais tout petit dans l’angle de la porte et, le calme revenu, j’accompagne mon camarade dans une minutieuse inspection des lieux. Partout traînent des affaires de femmes. Un sac à main, oublié sur une fenêtre contient des lettres que nous nous empressons de lire. Cette femme devait avoir un amant !… Pouah, laissons cela, le moment n’est pas venu d’égarer nos esprits vers ces histoires d’un autre monde.

Dans la salle à manger, nous dressons la table avec un splendide service de verres et l’argenterie du ménage. Repas à 7H30. La crème plus ou moins fraîche abonde et j’en ingurgite un plein bol avec du sucre. Tant pis pour le foie.

8H30 sont à peine sonnés que le chef de Bataillon, son capitaine et son lieutenant adjoint font leur entrée. En prenant le café ils nous expliquent que le départ est déjà fixé au lendemain à trois heures. Nous devons occuper des emplacements sur l’autre lisière de la forêt de Compiègne, en réserve générale d’Armée (VIIe Général Frère)

La nuit sera courte. Pour dix heures la répartition des chambres est faite. Le capitaine prend la plus belle, sans doute celle des époux. MORISSE à la chambre d’amis et MELOT (ça lui va bien) s’installe dans celle du gosse de la maison, toute laquée de rose. On y a étendu un matelas. Quant à moi, je dispose d’une chambre de jeune fille. Je découvre son portrait dans la table de toilette, quelques chemises dans l’armoire et un ravissant fume-cigarette en ivoire sur la table de nuit. Je laisse le fume-cigarette mais grille les cigarettes qui restent dans un coffret. Du lit n’existent plus que les panneaux et le sommier où je m’étends tout habillé. Avant de souffler la bougie, j’ouvre le tiroir de la table de nuit et j’en retire, un peu surpris, « Le guide de l’amour sans danger ». Ce bouquin n’est certainement pas ce qu’elle croyait !!

Sur ce, je m’endors songeant à la technique exposée dans « Le guide » en question…

24 mai

La compagnie grelottante est débout à deux heures du matin. Si la nuit a été courte, la journée sera longue. Il fait frais et l’on s’en va dans la nuit. Bientôt l’humidité de l’aube naissante nous tombe sur les épaules comme un manteau glacé. Saint-Sauveur est traversé à la pointe du jour. Encore quelques kilomètres et nous entrons dans la forêt de Compiègne.

Un vrai labyrinthe cette forêt ! Le capitaine, carte en main, se détache en avant pour reconnaître l’itinéraire. Tour à tour, MERLOT, MORISSE et moi le relaierons. Un miracle de conserver la bonne route dans cet inextricable lacis de chemins qui sillonnent la forêt en tous sens… une forêt d’où, quand on y est entré on n’est pas sûr de pouvoir sortir. De chaque carrefour partent une dizaine d’allées cavalières… et le Capitaine, pensif, tire au sort celle à enfiler. Ils portent de jolis noms d’ailleurs ces carrefours : l’Herbaudière, la Michelette… Ce sont de vastes ronds-points avec un poteau blanc surmonté de plaquettes indicatrices qui font comme des pales de moulin à eau.

Ces laies que nous empruntons sont rectilignes et larges comme des routes nationales… mais elles n’ont pas de goudron. Les plus fréquentées ont l’aspect de chemins de terre normaux. Sur d’autres, abandonnés, l’herbe a poussé comme dans un pré : longues clairières recouvertes d’un dôme de feuilles mouvantes.

Tout en cheminant, chacun s’exclame sur la magnificence de ces arbres immenses, de cette végétation dont la richesse étonne un peu. Le sous-bois est encore imprégné du parfum des dernières clochettes de muguet, ce muguet que tant de Parisiennes sont venues cueillir il n’y a pas bien longtemps encore.

Il fait beau, les oiseaux chantent  et nous avons le cœur léger malgré la chaleur et le sac qui scie les épaules. Chacun se sent captivé par le printemps en pleine maturité et oublie la fatigue, le sommeil, le lendemain…

Vers 9H nous croisons un bataillon de gros chars B ; les hommes se reposent, allongés sur leurs toiles de tente et les véhicules sont camouflés dans la verdure. Sur les carcasses, nous comptons une multitude de trous profonds de 4 à 5 centimètres. Le blindage n’a pas été traversé. Les servants nous expliquent qu’ils redescendent de Landrecies où les Allemands les ont reçus avec les canons de 25 subtilisés à nos troupes.

Un peu plus loin, traversée d’une route nationale où se meut péniblement l’artillerie de notre division, les trains de combat des bataillons et le matériel roulant des P.C. Embouteillage impossible à décrire. Cible exceptionnelle pour une aviation active…

La compagnie longe maintenant un enclos grillagé parsemé de maisonnettes en bois. C’est une chasse gardée, probablement quelques biches curieuses regardent passer cette bizarre cohorte… Enfin voici le dernier carrefour avant la sortie des bois. Il est près de midi et les groupes se dispersent dans les taillis. Mais la roulante n’arrive qu’à treize heures : repas frugal sur l’herbe où l’on a disposé des couvertures et des toiles en guise de nappes. Il n’y a plus grand chose à manger, les ustensiles titubent sur le sol inégal… mais nous sommes habitués à cette vie dure, inconfortable et saine des troupes en campagne. La fatigue alourdit les organismes, qui un par un, s’allongent sur la mousse, dans un rayon de soleil dont la douceur et la gaîté caresse les épidermes racornis.

Le capitaine s’en va, en avalant son dessert, pour chercher les positions respectives des sections. Nos agents de transmission l’accompagnent pour qu’il n’ait pas à revenir. J’attends le mien en m’amusant avec des jeunes pinsons d’Auvergne tombés du nid. LEPRETRE les cajole et leur parle. Ils commencent à voleter et nous les suivons dans la forêt.

 16H00. BERTOLO est de retour. Par un chemin légèrement en pente nous descendons jusqu’à la route nationale Compiègne – Soissons et j’installe mes groupes dans un bosquet de grands hêtres, près du fameux wagon de l’Armistice, à l’est de Rethondes. Pas de mission bien définie pour l’instant. Il est probable que nous quitterons bientôt ces lieux et que, d’ici là, l’ennemi, pour rapide qu’il soit, n’aura quand même pas le temps de nous surprendre. Aussi, la première préoccupation de la troupe est-elle de commencer la confection d’abris fragiles en dressant les toiles de tente.

Le Capitaine et le Sous-Lieutenant MILLET (chef de la section de mitrailleuses accompagnant la compagnie) se sont installés dans la maison forestière du Pont de berne, légèrement à l’écart de la grand route. J’y vais faire un tour, aux environs de 5H30. LEPRETRE et BERTOLO sont déjà en pleine activité et préparent la soupe du soir. Ils ont trouvé, Dieu sait où, une caisse de Picon. Des pigeonneaux bien gras s’ébattent dans les nids du pigeonnier et font parfaitement leur affaire.

A 18H00, le Capitaine est appelé d’urgence au P.C Bataillon et il s’en va dans la voiture du Capitaine THIVET. MELOT ET MORICE, dont les sections campent dans les environs, mangent avec nous. Ils ne tardent pas à se présenter et nous nous attablons devant quelques verres de Picon en attendant le retour du Capitaine. L’atmosphère quoique inquiétante, reste gaie. Le Picon nous aide à tromper l’angoisse devant l’inconnu…

7H30 du soir. Le Capitaine entre en coup de vent. Rien de grave ! Nous nous déplaçons à nouveau le lendemain dès deux heures du matin en direction de Genancourt, à gauche de la vallée de Pierrefonds. « On consultera les cartes plus tard, dit le Capitaine… A table maintenant .» Dîner copieux bien arrosé, où les convives manifestent leur verve dans un lazzi de plaisanteries plus ou moins spirituelles… Les ordonnances ont trouvé des lampes à pétrole qu’ils allument pour nous permettre de jouer à la belote jusqu’à onze heures… Sur les cartes on détermine ensuite  les emplacements nouveaux et l’itinéraire pour s’y rendre.

Minuit. Il est temps de songer au repos. Je puis disposer d’un lit à la maison forestière mais le capitaine exige que je couche sous la tente. Je n’en vois pas l’utilité, mes hommes sont à deux pas. Et pour deux heures de sommeil ! Je fais semblant de quitter la maison et rentre par une autre porte avec MILLET. Le Capitaine n’a cependant pas été dupe et me passera une eng…..de bien méritée. Je fais honnêtement amende honorable de cette désobéissance qui ne revêt pas malgré tout un caractère bien grave. Le principe de la discipline militaire doit être maintenu. Il n’y a pas à discuter. Amen !

25 mai

Il n’est pas 1H30 du matin quand la sonnerie lugubre d’un vieux réveil ferraillant trouvé au logis nous tire d’un pesant sommeil. C’est aujourd’hui samedi. MILLET ne trouve pas ses chaussettes et peste comme un damné. Avec des gestes malhabiles, lourds de fatigue, on enfile les croquenots, on endosse la capote…

Dehors, la nuit claire et froide nous administre une douche stimulante qui nous réveille complètement mais laisse du plomb dans nos jambes et des douleurs un peu partout. En zigzag, je parcours les quelques cent mètres qui me séparent des groupes. Il sera bientôt deux heures et tout le monde dort encore.

SCHNEIDER n’a-t-il donc pas reçu le papier où je lui indiquais l’heure du départ et les dispositions à prendre ? Pourtant j’ai bien envoyé BERTOLO ! Après tout, en suis-je tellement sûr ? Cette extrême fatigue commence à me faire douter de ma lucidité et de la plénitude de mes facultés intellectuelles et physiques.

Je prends donc l’initiative qui s’impose et bouscule les tentes sous un tonnerre de hurlements. Quelle dépense d’énergie pour tirer ces hommes abrutis de fatigue d’un sommeil qui frise plutôt l’engourdissement ! Il n’y a pas de meilleur somnifère que ces marches interminables et ces levers de grand matin. Hier vingt-cinq kilomètres. Aujourd’hui une petite quinzaine… C’était le bon temps !…

Dans le remue-ménage qui fait suite à ce réveil intempestif je découvre BERTOLO, affalé sur un tas de paille, totalement anéanti. Vaincu par la fatigue et les nombreux Picon ingurgités dans la soirée il n’a pas réussi à joindre mon sous-officier adjoint et s’est effondré là, perdant toute conscience.

Malgré ces incidents la compagnie est rassemblée à deux heures. Mes poilus ont battu des records de célérité pour plier les tentes et monter les sacs en cinq minutes. Manquent seuls à l’appel un de mes groupes et un de la section MORISSE à qui est survenue une mésaventure du même genre. Les groupes, distants d’une cinquantaine de mètres, marchent de chaque côté de la route, dans l’ombre lunaire de la forêt. Il fait tellement clair qu’on croirait aller en plein jour. Nous n’avons pas froid, car le mouvement réchauffe, mais la lumière bleue semble glacée. La troupe chemine en silence, écrasée, courbée sous les sacs, somnolente. On ne pense pas. On ne voit ni ne regarde rien, les pieds chauffés à blanc sur les graviers qui crissent… seul bruit monotone, chanson de la solitude que nos sens endormis ne perçoivent pas. Aux haltes horaires, chaque poilu se laisse tomber dans l’herbe humide, sans enlever le sac. Quelques-uns uns s’endorment aussitôt réveillés… les kilomètres s’accumulent dans les jambes au fil des heures devant les dos courbés… Pas une plainte dans la colonne.

Quand l’aube se lève, nous entrons à Trosly-Breuil. Le soleil plastronne bientôt au-dessus des maisons vides. Les avions ennemis sont passés par là et presque toutes les bâtisses étalent des blessures dans la lumière crue du matin. Spectacle de ruines qui nous émeut… spectacle familier dans les jours à venir. Une odeur écœurante de matière organique en décomposition monte dans l’air vif : ce sont les cadavres d’animaux qui commencent à pourrir dans les fossés. Nous remontons un convoi militaire dont les épaves sont restées en place. Ici, un camion, au milieu de la route où une bombe a creusé un entonnoir qui contiendrait ma section. Là un char R35 incliné vers le fossé, criblé d’éclats. Partout des autos, des voitures, immobiles et mortes comme les chevaux morts qui pourrissent eu soleil…

A la sortie de Trosly-Breuil, nous quittons la nationale et prenons, à droite, un petit chemin qui nous conduit dans une riante vallée arrosée d’un petit ruisseau… pause à Cuise-la-Motte, près d’une grande usine d’optique.

La route pierreuse où nous marchons est bordée de jolies maisons gaiement fleuries : chèvrefeuilles, roses, pivoines, œillets lourds de rosée. Cuise-la-Motte et Genancourt se touchent formant une seule agglomération. Nous allons, un peu plus guillerets qu’au départ, entre ces haies de maisons et de fleurs, conquis par le charme de cette région si gaie… et morte cependant…

Il est à peine 6 heures du matin lorsque nous montons vers les lisières de la forêt de Compiègne, après avoir traversé Genancourt. La compagnie est camouflée sous les arbres et le Capitaine entraîne ses chefs de section dans une reconnaissance qui doit fixer le dispositif de défense. MELOT prendra place au carrefour, à la sortie est du village et EHLING au bord du ruisseau à sa droite. Les deux autres sections doivent s’installer à la lisière du bois, sur une position dominante qui découvre quelques champs nus, le chemin et la vallée. Pour dix heures, les emplacements sont occupés. Je suis à l’extrême droite de la compagnie à égale distance de Genancourt et du pays voisin, Roylaye. Le P.C du capitaine est en plein bois, à quelques cinq cents mètres.

Dès leur arrivée, les hommes s’étendent à même le sol, sur la mousse, en un repos bien gagné. La roulante n’a rien pu cuire mais la corvée de soupe nous rapporte des conserves… Jusqu’à 16H00, personne ne peut résister au sommeil. On n’entend même pas cette escadrille allemande qui, passant sur nos têtes, va bombarder une colonne quelconque à l’arrière. Les tentes sont enfin montées, les missions réparties et les travaux piquetés. La disposition des groupes, distants d’une cinquantaine de mètres, permet une surveillance facile de l’ensemble. Dix hommes vont chercher de la paille à Roylaye et je m’étends entre SCHNEIDER et BORTOLO. Demain, il faudra se lever tôt.

26 mai

Le Capitaine ne veut pas que nous risquions d’être surpris par l’aviation ennemie sous nos tentes. Il ordonne le réveil à 4H00 du matin. Jusqu’à l’heure du jus, les hommes vont et viennent dans la rosée, frigorifiés sous la fraîcheur du matin qui colle aux épaules comme un drap mouillé. En lisière du bois, les lapins de garenne folâtrent sur l’herbe des champs où commencent à lever les frêles tiges du blé. Trois hommes de corvée apportent le café chaud à 5H15.

Le travail commence vers six heures. L’effectif est scindé en deux équipes de travail. L’une monte dans le bois pour couper et appointer les piquets destinés aux barbelés. L’autre creuse les trous Gamelin et les abris semi-circulaires anti-bombardement.

Pour midi, BERTOLO a déjà trouvé tout ce qui convient à l’amélioration du menu roulante… Malheureusement il est interdit de faire du feu ! Prévoyant cette mesure de sécurité inévitable, j’ai abondamment garni ma cantine de plaquettes d’alcool solidifié trouvées à Saintines. Et mon ordonnance installe son plat de campement sur deux pierres entre lesquelles brûlent nos rectangles de « méta. » Il en résulte une délicieuse omelette et un lapin sauté.

Après le travail du soir, les hommes s’occupent au perfectionnement du confort. Ils construisent des tables et des bancs en rondins et branchages tressés, des claies pour surélever les tentes. Quelques-uns uns vont tendre des collets… D’autres descendent au village d’où ils rapportent ce qui nous manque. Une équipe se spécialise, dès ce premier soir, dans la traite des vaches qui, abandonnées dans les champs, le pis gonflé, accueillent avec joie le soulagement qu’on leur apporte. A la nuit tombante, j’aperçois BERTOLO montant précipitamment la pente, croulant sous une pile de matelas. Ce soir notre couche sera un peu moins dure.

27 mai

Journée sans relief. Les travaux se poursuivent ; nous serons bientôt organisés et confortablement installés. Je descends à Roilaye pour la première fois. Le village est occupé par une section du 237e RI, ce régiment dont notre sympathique Colonel VIGNERON a pris le commandement à la mobilisation. La section est commandée par un instituteur thaonnais, le Lieutenant VERNIER et, sous sa direction, j’effectue le tour du patelin où sont restés quelques indigènes. Il habite chez une jeune femme charmante qui nous offre d’excellent vin. Je retrouve ma cagna plein d’amertume.

28 mai

SCHNEIDER est particulièrement chargé de la surveillance des travaux sur la ligne de résistance. J’ai préféré m’occuper des coupes de bois afin de vagabonder dans les taillis. Je cherche des nids, des fleurs… Ce matin je monte jusqu’au plateau d’où la vue s’étend au loin jusqu’à la vallée de Pierrefonds et son château. Je suis là à rêver lorsque j’aperçois un grand cerf qui s’approche lentement d’un massif de verdure. Il vient boire au ruisselet coulant sous les branches. Je me lève et la bête affolée s’enfuit dans les broussailles, gênée par ses longs « bois ».

Ce soir, VERNIER m’emmène jusqu’au moulin et nous bavardons un moment avec le propriétaire. Puis nous retrouvons sa fille, gamine d’une quinzaine d’années, belle comme un ange. Nous l’écoutons babiller, naïve et fraîche dans sa robe blanche, fraîche et pure comme le ruisseau au bord duquel nous marchons. Elle s’assoit sur un bloc de pierre, les jambes pendant vers cette eau claire dont nous écoutons en silence le gargouillement agile. Instant délicieux, tout de charme et de couleur.

Dans la nuit, en rejoignant ma section, je songe à ce tableau émouvant, à cette jeune image du bonheur… et au dernier journal que j’ai lu ce matin où, sous des mots d’espoir se cache la terrible angoisse des lendemains.

29 mai

Aujourd’hui le Capitaine m’a invité à déjeuner. Je m’apprête à quitter la salle quand arrive une note du bataillon. Elle concerne la 5e colonne. Des parachutistes ennemis auraient été signalés dans la forêt de Compiègne et il est prescrit d’organiser immédiatement des patrouilles de recherches. Comme je suis là, le Capitaine me charge de la corvée.

A 14H00 nous nous mettons en route, déployés sur 200m afin de ratisser toute la partie est de la forêt. Des parachutistes, nous ne trouvons pas la moindre trace. En revanche nous tombons sur un petit pavillon de chasse, vrai bijou d’un luxe arrogant. Deux pièces et une cuisine seulement mais où je passerais volontiers de longues heures de méditation si la guerre m’en donnait le loisir… Je découvre quelques lettres signées Vincent SCOTTO et M. ZEVACO. Auquel des deux appartient cette retraite délicate ? Notre mission est terminée pour 17H00. Compte-rendu néant. J’omets de mentionner que nous avons perdu le sergent AGOUTIN dans les broussailles. Il sera là pour la nuit…

30 mai

Dans la soirée, convocation par le Capitaine à la baraque ou MELOT a installé son P.C. On l’attend jusqu’à 23H00. Son séjour au P.C n’en fini plus. Enfin il nous apporte des nouvelles fraîches : nouveau déplacement vers le plateau de Croutoy. Seule une section restera à Roilaye pour relever celle de VERNIER, le 237 faisant mouvement lui aussi. La mienne est désignée. Départ à trois heures du matin.

31 mai

Le jour n’est pas encore levé quand les hommes entreprennent le démontage des tentes et le ficelage des sacs. Un peu avant 3H00, je descends jusqu’à la petite route Genancourt-Roilaye où doit se rassembler la Cie. Les poilus, emmenés par SCHNEIDER, sont bientôt là et s’allongent dans la rosée. Un quart d’heure.. une demi-heure s’écoulent et nous ne voyons rien venir. Las ! Ils ne viendront pas ! BERTOLO parti aux renseignements, nous revient porteur d’une note différant le départ jusqu’à 6H00. On remonte alors dans la forêt et on s’endort sur la mousse humide. Mais il fait frais et ces allées et venues dans la rosée ont rempli d’eau mes souliers.

L’aube brumeuse s’étend maintenant sur la vallée. Un soleil incertain roule sur la cime des arbres. Nous redescendons jusqu’à la route. Cette fois, il n’y a pas de faux départ. L’entrée de Roilaye n’est d’ailleurs qu’à cinq cents mètres : le trajet ne sera ni trop long, ni trop pénible. Pourtant, nous marchons depuis deux minutes à peine quand une escadrille ennemie apparaît dans le ciel. Tout le monde à terre, ventres à la rosée… Les avions passent…

A Roilaye, je colle la section entière dans le moulin où la place ne manque pas. Le propriétaire et sa fille font bien quelques objections, alléguant que la troupe fera repérer la maison par les avions… mais je n’en ai cure et les rassure par ces mots : « l’ordre est de ne pas sortir… Par conséquent, si on ne voit personne dehors, vous ne risquez pas plus le bombardement que si le moulin était vide. L’ennemi a d’autres objectifs à battre que votre bicoque… »

Pendant toute la matinée les hommes s’installent au moulin et se nettoient dans le ruisseau qui passe sous la maison. Je prends la liaison avec VERNIER et nous sillonnons les rares artères du pays. Il m’indique les emplacements des groupes, les missions etc… Mais aucun travail n’a été entrepris. Tout est prévu, rien n’est réalisé ! Il faut dire qu’en revanche la troupe est royalement logée. L’un des groupes cantonne même à trois cents mètres de son emplacement de combat !… VERNIER a installé sa popote fort convenablement dans une charmante petite maison au centre du village. Je ne puis que la faire mienne…

Au moulin, nous attendons l’arrivée de la soupe. BERTOLO s’amuse dans le jardin sous les yeux de la fille du meunier, avec une jeune pie qu’il a trouvée dans les bois. Après le corbeau, la pie, nouveau fétiche de la section… Vers 13H00, CUNY, juché sur sa troïka brinquebalante, débouche dans Roylaye, au galop du puissant Bayard. Enfin la soupe ! Elle est distribuée sous le hangar et nous mangeons sur le pouce.

VERNIER s’en va… J’installe mes groupes sans plus attendre, et, en fin d’après-midi je prends possession de ma chambre. SCHNEIDER s’affaire à la popote en compagnie du sergent FEDERLE et de BERTOLO. Alors que je suis en grande conversation avec ma « propriétaire », femme d’un sous-officier mobilisé, le cycliste de la compagnie, VIGNAUD, m’apporte un papier urgent : c’est l’ordre de rejoindre Croutoy après le repas du soir, la section détachée à Roylaye étant supprimée. J’avais envisagé mieux pour cette nuit…

Nous réintégrons le sein de la compagnie pour 20H30. celle-ci est installée dans une grosse ferme. Seule la section d’EHLING y stationne pour fournir la garde aux issues. MELOT et MORISSE se sont évanouis dans la plaine…

J’entasse la section dans une grange, bois un petit coup avec le Capitaine et m’étends tout habillé sur un lit où il y a des draps. La pie a fait son nid dans un saladier que BERTOLO a posé près de ma couche…

1er juin

La section est d’alerte et doit rester au cantonnement pendant toute la journée. J’en profite pour faire la grasse matinée et à 8H30 je file dans la nature saluer mes deux collègues. Il fait très chaud. Je trouve MORISSE dans un petit bois, pas très loin au nord de la ferme, e MELOT à la bascule, carrefour de route situé dans la direction opposée. Peu avant midi, j’apprends qu’une section de la Cie doit installer un « bouchon » à Jaulzy, sur le nord de l’Aisne. Ma qualité de « Lieutenant ancien » me vaut encore l’honneur d’être désigné pour cette position indépendante.

Le médecin du bataillon, ARNOLD, nous apporte la moitié d’un jeune cochon que les cuistots du P.C ont tué au château. C’est la dernière fois que je verrai ce brave camarade. Après la sieste, je descends à Jaulzy avec le Capitaine et nous y esquissons le profil du dispositif de défense. Retour à 17H00, trempés de sueur…

Le dîner est très gai. On y déguste une partie du demi-porcelet… On fume une cigarette sur la terrasse, goûtant la paix d’un de nos derniers soirs de printemps. Je me couche assez tôt après avoir donné mes ordres à SCHNEIDER  pour le mouvement du lendemain. BERTOLO doit me réveiller à 3H30. La nuit est étouffante.

2 juin

Un grand calme règne encore sur le village quand ma section franchit la monumentale porte cochère de la ferme. Colonne par un, elle s’en va doucement dans l’air tiède pendant que, peu à peu, l’horizon s’empourpre au-dessus des bois. La journée s’annonce radieuse et chaude. A cinq heures du matin, les groupes sont en place. A six heures, la construction des barricades est commencée.

Jaulzy est un gros village qui occupe la pente du plateau de Croutoy et s’abaisse en étages jusqu’au bord de l’Aisne. Pays charmant qu’une pittoresque petite route en lacets relie au plateau. En bas, la route nationale Compiègne-Soissons longe la rivière. Nous sommes entre Vic-sur-Aisne et Attichy. Les maisons bien entretenues respirent l’aisance, le confort bourgeois et poussent au milieu de jardinets enclos de pierres calcaires. La pente est si abrupte que, vues d’en bas, elles on l’air de se chevaucher et cachent les jardins : amas d’habitations et d’arbres ; pâté blanc et rouge couronné de vert. Entre Jaulzy-Haut, sur la pente et Jaulzy-Bas, au bord de la route, s’étendent quelques vergers et se dressent deux châteaux aux parcs entourés de grands murs. Deux des groupes occupent ces parcs, le troisième ayant une position dominante, sous bois, à l’est du village. Le versant nord du plateau qui nous surplombe est constellé de grottes naturelles, parfois très vastes, que les habitants ont transformé en champignonnières. Excellents abris de bombardement où le poste de secours du Bataillon aménagera son refuge…

Pendant que les hommes travaillent aux barricades je fouine dans le village à la recherche d’un P.C confortable. BERTELO suit comme un petit chien, traînant une motocyclette récupérée au château. Il y a chargé tous nos bagages. La pie couaque dans une cage accrochée au guidon… Le P.C doit être confortable… Il faut cependant considérer le point de vue militaire de la chose et le choisir dans une position assez centrale et rapprochée permettant d’exercer le commandement. Près d’une ferme, au pied de l’église nous avisons une maisonnette d’aspect engageant. Jardin planté de roses, plates-bandes merveilleusement garnies, gibier de maison lâché dans les allées… La porte est fermée à clé, les volets bouclés de l’intérieur ! En un tour de main BERTOLO a forcé l’entré du bastion et je n’ai pas eu le temps d’enjamber la croisée qu’il a déjà disparu dans les profondeurs de la cave. Il en remonte avec quelques bouteilles de cidre… Trop fade à mon goût ! Mais voici SCHNEIDER qui rentre d’une excursion dans les environs. Il porte une brassée de bouteilles et s’écrie en ouvrant la porte du jardin : « Mon Lieutenant, j’en ai du bon, vous allez voir ça ! » En effet, celui-là est bouché, il pétille comme un vin mousseux. Nous nous asseyons sur une marche d’escalier pour casser la croûte : pain, saucisson, fromage, fraises du jardin… Pour clore le bec de sa pie, BERTELO lui enfonce des croûtes de gruyère dans le gosier. Elle avale tout… même du pain trempé dans du cidre et gonfle ses ailes de satisfaction en nous scrutant avec impertinence.

SCHNEIDER et BERTOLO ont une folle envie de s’installer au château. J’y répugne car j’aurais la sensation d’usurper les prérogatives d’un Général. A la guerre c’est aux étoiles que l’on réserve les châteaux. Mais le nôtre présente l’avantage d’être au centre du dispositif et de comporter, sur ses arrières immédiats, une grotte taillée dans le roc qui fera un merveilleux abri en cas de bombardement. D’ailleurs SCHNEIDER sait se montrer persuasif et faire miroiter à mes yeux les avantages du lieu. Nous logerons donc au château, jusqu’à l’attaque ennemie. Ainsi, je ne serai pas obligé de distraire quelques travailleurs pour construire des abris de P.C et je serai à proximité immédiate du groupe central (caporal-chef PROUST).

Huit heures approchent. Assis dans l’herbe, au bord de la route, à mi-pente du plateau, j’attends l’arrivée du chef de bataillon. Visite rapide des postes de combat et des barricades, déjà avancées. Je reste auprès de mes hommes jusqu’à dix heures surveillant les travaux, puis j’enfile la grande allée du parc qui conduit au château. Ce n’est pas un très grand château : au centre, le corps de logis, rectangulaire, flanqué de deux tours cylindriques à droite et d’un bâtiment semi-hexagonal à gauche. Devant, une véranda de verre épais… de grandes fenêtres… un toit d’ardoise… un vaste escalier descendant vers de fraîches pelouses. Il appartient à une veuve VALBAUM, entrepreneur de camionnage. La cave, hélas ! est complètement vide. Au rez-de-chaussée, on trouve une cuisine confortable et propre, mais vieillotte et trop grande. Il est vrai que nous ne pouvons la voir avec des yeux de châtelain ! Un couloir la sépare d’une salle à manger quelconque où les plus belles pièces ont été certainement enlevées. Il y reste cependant un vieux bahut piqué des vers et bien sculpté, d’agréable aspect. Quelques peintures naïves et des assiettes exquisément peintes ornent les murs. Plus loin, dans la partie hexagonale, le salon offre à mes pas un somptueux tapis de laine. J’y remarque une sorte de baldaquin devant lequel les poilus ouvrent des yeux ronds, une grande glace fendue par le bombardement et un piano archi-faux. Dans un angle, au bout de la véranda, un bureau-fumoir a été installé et j’en fais ma retraite personnelle. On accède au premier étage par un escalier tordu recouvert d’un gros tapis. Cinq chambres confortablement meublées nous offrent asile. La mienne est flanquée d’une salle de bain. Dans les combles, chambres de domestiques avec quelques réduits et débarras.

BERTOLO a déjà pris possession de la cuisine où il règne en maître. Il prépare le repas pendant que j’écris dans le bureau. SCHNEIDER cuit sous la véranda. A midi, nous nous contentons du menu roulante auquel le cuistot ajoute salade, œufs, cerises et cidre bouché. Nous nous retirons au fumoir et, calés dans d’immenses fauteuils, dégustons un « trois-six » roulante et un démocratique « voltigeur ».

Surveillance des travaux jusqu’à seize heures puis visite du par et des jardins. La serre apparaît trop chaude pour que j’ose m’y aventurer ; la pelouse et ses parterres de fleurs me suffisent : des digitales mauves, jaunes, blanches, roses et rouges y poussent à profusion. Partout de grands arbres. Dans un coin du parc, sous la verdure, on a construit un petit pavillon joli à faire rêver… La soirée est lourde après une journée très chaude. BERTOLO nous prépare un excellent dîner où le poulet rôti figure le plat de résistance. Soirée calme, sous la véranda… Soirée de lecture, en famille, dans la fumée des cigarettes qui ne quittent pas les lèvres… Soirée pleine de douceur qui, en rien, ne nous oblige à penser que la guerre est là toute proche, et nous engloutira demain dans son infernal tourbillon…

3 juin

Le soleil, aujourd’hui sera encore de la partie. Il tape dur sur les nuques des poilus affairés autour des barricades et des trous de combat. Il faut faire vite, d’ailleurs, car l’heure H peut surgir d’un moment à l’autre. Les objets les plus hétéroclites et les plus inattendus s’entassent au milieu de la route : la voiture d’enfant côtoie modestement la grande charrette paysanne, toutes deux remplies de lourdes pierres ; une charrue braque vers l’ennemi son soc menaçant et de gros troncs d’arbres maintiennent crânement l’équilibre de l’édifice. Si nous ne les avions retenus, nos troupiers auraient transporté là tous les meubles et les batteries de cuisine des maisons avoisinantes. Avec une certaine fierté et pas mal de bonne humeur ils se lancent les parpaings que le dernier, juché au sommet de la barricade, attrape au vol et assemble avec soin pour boucher les moindres interstices.

Le dispositif du P.A que nous occupons ne manque pas d’originalité en ce sens qu’il n’offre ni vues, ni continuité, ni possibilité de commandement, ni moyens de feux adaptés à la mission. A quelques deux cents mètres devant nous, les bords de l’Aisne sont tenus par une section de voltigeurs (adjudant DUHANT) et un groupe de mitrailleuses (sergent-chef ARNOUT). Ces soixante soldats sont dispersés sur un front d’au moins un kilomètre entre Attichy et l’extrême droite de Jaulzy. La division s’est élastiquement étendue sur une trentaine de kilomètres…

Mon P.A occupe un front d’environ 1.200 mètres. A gauche FERDERLE et son groupe défendent deux barricades obstruant les deux routes donnant accès au plateau. Il n’a pas d’autres possibilités d’installation que le parc du deuxième château. Sa mission s’applique uniquement aux engins blindés. Il dispose de balles perforantes qui doivent pouvoir percer des boîtes de conserve à cinquante mètres ! Mais le commandement l’a doté d’une arme nouvelle contre les chars : les bouteilles d’essence. Enfin on a compris que le soldat français ne pouvait se battre sans le secours de la technique moderne ! A vrai dire, seul le liquide inflammable lui a été livré… BERTOLO en a soustrait un bidon pour sa moto qui, malgré ce doping, refuse obstinément tout service. La troupe a donc confectionné ses bombes elle-même : bouteilles récupérées pleines du précieux carburant et emmaillotées, à la base, d’un superbe pansement. Deux ou trois gamelles, à demi-remplies d’essence attendent aux emplacements de combat. Mode d’emploi : tremper la base de la bouteille, en la tenant par le goulot dans le récipient plein d’essence. Ne pas opérer en sens contraire : toute l’efficacité de l’arme résulte de l’imbibation du chiffon en liquide inflammable. Craquer une allumette (ou à défaut allumer son briquet après s’être assuré qu’il fonctionne). Il est recommandé d’avoir des allumettes de rechange. Enflammer le chiffon imbibé d’essence en prenant soin d’éviter les vues de l’ennemi… et de ne pas se brûler les doigts. Eu égard au danger d’incendie, éviter de tenir la bombe trop près des vêtements et des caisses de munitions. Quand le char adverse est à bonne portée, lancer vigoureusement la bouteille. Il importe qu’elle tombe sur le char où elle doit se briser et communiquer sa flamme à l’engin tout entier. Le plus grand sang-froid est de rigueur. La nouvelle bombe anti-char, on le voit ne peut être confiée qu’à une troupe d’élite. Elle nécessite des qualités de jugement extraordinaires (synchronisme parfait entre la vitesse du char et la vitesse des opérations d’allumage), une connaissance parfaite des possibilités inflammatoires de sa boîte d’allumettes ou de son briquet, une adresse à toute épreuve (il est peu probable qu’on puisse effectuer deux fois le lancement), une maîtrise de soi incomparable, un sens aigu du camouflage… et un esprit de sacrifice atteignant le sublime. Soyons fiers que cette arme redoutable ait été confiée à des soldats français… La dotation du groupe en carburant permet de remplir quinze bouteilles. Ne tenons pas rigueur à BERTOLO d’avoir soustrait un bidon… car ces bouteilles n’ont pas servi.

A toutes fins utiles, et bien qu’il n’en ait pas été initialement question, j’indique à FEDERLE une mission secondaire consistant à diriger ses feux sur toute la plaine qui s’étend à gauche du château : vaste espace non battu vers Attichy derrière la 3e Cie. La réalisation de cette mission implique le déplacement du F.M jusqu’au donjon, à l’autre bout du parc, d’où la route nationale apparaît à découvert sur une très grande longueur. Il est indispensable de préciser que ce parc est enclos de hauts murs et qu’il ne sera possible de lancer les bouteilles d’essence qu’en montant sur des échelles… A toutes les qualités requises pour servir cette arme s’ajoute donc, en ce qui nous concerne, des talents d’équilibriste…

Le deuxième groupe de combat (Caporal-Chef PROUST) au centre, occupe le fond du parc, devant mon P.C. Mission et moyens identiques à ceux de FEDERLE. Partout de hauts murs… Visibilité insignifiante : le F.M ne peut tirer qu’à 35 mètres, jusqu’au passage à niveau. Aucune possibilité de mission secondaire.

Quant au 3e groupe (Sergent AGOUTIN) il est à mi-pente, au débouché d’un ravin et ne doit agir que sur l’infanterie se présentant à droite de Jaulzy. Mission : interdire l’accès du plateau, par le ravin, où ne peuvent s’engager les chars. Il est appuyé dans son action par les mitrailleuses du Sergent PULKRABECK qui, en outre, prépare des tirs lointains, au-delà de l’Aisne. Un peu plus à droite, les mortiers du Sous-Lieutenant VALROFF et du sergent-chef BRETON battront les bords de la rivière. En réalité, VALROFF sera le chef de ce petit point d’appui secondaire dont je suis trop éloigné pour espérer être en mesure de commander. L’ensemble du P.A porte le nom de « Bouchon de Jaulzy ». Me voilà donc chef de bouchon… pittoresque fonction de cette drôle de guerre.

4 juin

Nouvelle journée de calme que nous octroie la miséricorde divine. La vie des troupes en installation de campagne se poursuit sans heurts et chacun profite, selon ses moyens, des ultimes instants de tranquillité avant le grand choc.

Les repas sont copieux. BERTOLO se tire à merveille de ses fonctions de cuisinier à l’aide des abondantes ressources du pays. Légumes, lapins, poulets passent à la casserole dans tous les groupes. Le cidre coule à flots… Un pâtissier du groupe FEDERLE cuit tartes et gâteaux pour tout le monde. On tue un mouton… on trait les vaches dans les prés… Les cerises ne manquent pas sur les arbres et les fraises dans les jardins…

J’occupe mes loisirs en explorations dans le village. Je découvre un stock de caleçons et puis enfin en changer car je porte le mien depuis trois semaines. Bain froid, tous les soirs, pour se rafraîchir un peu. Des jardins, nous rapportons d’énormes bouquets de fleurs qui ornent notre table et trônent dans toutes les pièces. Longues conversations, jusqu’à une heure avancée de la nuit, sous la véranda…

5 juin

Encore une journée, la dernière, placée sous le signe de la chaleur, de la paix et de la liberté… Nous consacrons quelques heures à la visite du château où FEDERLE a pris position. Il offre peu d’intérêt… Pourtant je m’attarde longuement devant une collection de papillons exotiques. Ils sont admirables et leurs couleurs riches et variées chatoient sous les ardeurs du soleil. Les plus beaux sont du Congo, de Madagascar et surtout du Brésil. Je découvre quelque part les contes de Boccace. Ils occupent les heures creuses en attendant la bataille.

6 juin

Le travail a commencé, comme d’habitude, à six heures du matin. Torses nus, les hommes piochent et creusent ou soufflent en fumant une cigarette… Un peu avant dix heures, j’inspecte les positions du caporal-chef PROUST quand une nuée d’avions pique, à notre droite, sur Vic-sur-Aisne. Les bombes éclatent et les mitrailleuses crépitent. Plusieurs vagues se suivent… Une longue colonne de fumée noire s’élève du sol. L’incursion n’a duré que cinq minutes et nous avons à peine le temps de prendre conscience de cette attaque. Mais ils reviennent et quittent définitivement la place au bout d’une demi-heure. Quels sont ces avions qui, au lieu de la croix noire allemande, portent sous les ailes un carré blanc, nous a-t-il semblé ?

Nouveau raid sur Attichy, vers midi. Cette fois nous ne voyons rien. Nous nous mettons à table, l’estomac légèrement crispé. Les convives mangent en silence. Soudain de formidables explosions ébranlent le château et font tomber les vitres. Maintenant, c’est notre tour. Affolement général ! SCHNEIDER se précipite dans un coin et s’y pelotonne… BERTOLO et LICKEL foncent vers la cave, accrochés à mes basques. LICKEL est vert de peur et ses lèvres tremblent. La sérénade dure un quart d’heure… et nous nous remettons à table, pas très en appétit. Une place est restée vide, d’ailleurs, celle de MORACCHINI, médecin du bataillon, qui a installé son poste de secours dans les carrières du plateau. Où est-il passé ?…

En fin d’après-midi, nous recueillons une dizaine de tirailleurs des 17e et 18e algériens. Ils se sont égarés dans le désordre du repli. Je les restaure et les fais dormir dans la paille car ils sont morts de fatigue, couverts de sueur et de poussière.

Une nouvelle fois la liaison est prise avec les troupes stationnées au bord de l’Aisne. Le bombardement a fait peu de dégâts. Nous constatons que les projectiles sont tombés relativement loin du château, dans la nature : de grands trous, quelques moutons occis, des éclats dans les maisons et des pans de murs abattus. Les hommes de DUHANT et d’ARNOULD, bien abrités dans leurs trous, n’ont pas eu à souffrir. DUHANT, très en train nous offre l’apéritif.

MORACCHINI arrive à sept heures du soir, l’air triste et abattu. Ses fonctions l’ont appelé à Attichy où une grosse bombe est tombée sur la maison dont la cave abritait le lieutenant PICARD, quatre artilleurs et six pionniers. Une équipe de travailleurs a besogné pendant des heures pour dégager les corps. PICARD est mort, la tête et le bassin écrasés…

La nuit tombe et les rescapés de la débandade nous arrivent encore : zouaves du 9e, ce régiment qui s’est battu si magnifiquement, pourtant, sur l’Ailette. Je les dirige, avec les tirailleurs, sur le P.C de la Cie. « Prudence est mère de sûreté ». Aussi, je fais transporter sommiers, matelas et couvertures dans l’abri du P.C derrière le château. Nous ne risquerons pas ainsi d’être surpris au cours de la nuit. Cependant, nous dormons peu : un martèlement ininterrompu sur les routes, nous tient éveillés. La division qui nous précède se replie : demain le Boche sera là.

7 juin

Journée d’un calme obsédant… Pas un coup de fusil, pas un éclatement, pas un avion. Sur notre droite une division se replie et nous recueillons, vers treize heures, deux hommes du 93e RI. Les Allemands sont à Soissons, paraît-il.

En fin d’après-midi, SCHNEIDER m’accompagne à la conciergerie du château où le jardinier empile toutes ses affaires dans une voiture à bras. Il s’apprête à filer vers l’arrière en compagnie de deux époux, commerçants pleurnichards, qui viennent du nord et ont échoué là sans savoir comment. Nous buvons du cidre… Les pigeons blancs, les tourterelles, les canaris et les perruches du château nous sont confiés. Ils ne seront pas soignés pendant bien longtemps. A partir de 18H00, la troupe qui, jusque là est restée impassible, commence à s’agiter et à comprendre que la situation, dans le calme actuel, est proche du dénouement. L’observatoire du bataillon communique la présence de colonnes allemandes sur le plateau au nord de Bitry, juste en face de nous. Elles sont aussi à proximité de Vic-sur-Aisne depuis le début de l’après-midi. Pourquoi se gêneraient-elles? L’aviation française ne risque pas de les inquiéter et la nuit leur sera propice pour gagner, par les couverts, d’excellentes positions d’attaque le long de l’Aisne.

Nous mangeons rapidement et je donne l’ordre de fermer les barricades. Dans les chicanes destinées au passage des véhicules, quelques volontaires bourrent tout ce qu’ils trouvent : voitures, cailloux, ferrailles, troncs d’arbres, planches etc… que maintiennent des piquets enfoncés dans l’asphalte. SCHNEIDER, depuis des heures, attend des mines sur la route nationale, pour les placer dans les fossés creusés devant les barricades. Il les attendra jusqu’à deux heures du matin et ne les recevra jamais… Une corvée est envoyée dans un hangar voisin où elle récupère des bottes de paille pressée, rectangulaires et compactes. En les disposant autour et sur les trous de combat, elles assureront une bonne protection.

Il est minuit et je songe à m’étendre quand surgit un agent de transmission de la Cie, porteur d’un ordre : attendre au lendemain pour fermer les barricades! Trop tard, je n’ai pas l’intention de les démonter. J’apprends également que, demain, nous toucherons six jours de vivres. Il nous faut, pour l’instant, nous contenter des deux jours de vivres et munitions perçus au cours de la journée.

Enfin, il est bien une heure du matin quand nos matelas recueillent ces corps inquiets et fatigués qui, demain, s’offriront à l’ennemi. Apparemment, tout semble avoir été prévu… La bataille peut commencer. Inlassable, BERTOLO entasse encore dans la grotte, pendant quelques minutes, des vivres, de l’eau, des munitions, les armes, cinq lampes et un bidon de pétrole. Sa pie gîte dans une encoignure.

Samedi 8 juin 1940

« Clac ! Clac ! Clac !… » D’un seul élan les occupants de la caverne se dressent sur leurs matelas. Trois nouvelles détonations nous éveillent tout à fait : le jour de gloire est arrivé… BORTOLO se lève, allume une lampe et grommelle « La danse va commencer ! »… Puis il lance à la cantonade : « il est exactement 3H45 du matin ». « Où serons-nous demain à cette heure ! » murmure SCHNEIDER. « Nous allons, pour commencer, pousser une petite reconnaissance jusque chez PROUST , dis-je, car il est probable que cette salve était destinée au carrefour de la barricade. »

Sur ces mots, la porte s’ouvre avec fracas livrant passage à un être hirsute, semblable à un clochard, mal réveillé, mal peigné, à peine vêtu, qu’un gendarme aurait tiré de sous un pont avant l’aube. Le clochard, c’est PROUST. Il va de l’un à l’autre sans rien dire, haletant, muet d’émotion. Sans doute a-t-il battu un record de vitesse pour arriver jusqu’ici ! « Alors, qu’est-ce qui ne va pas mon vieux ? » dit SCHNEIDER. PROUST fonce vers lui et arrache les couvertures : « Allez, debout là-dedans… il y a cinq ou six blessés… ils hurlent… ils vont mourir… Grouillez-vous bon Dieu ! »

En un instant, nous sommes sur pieds. Nous avons dormi habillés et n’avons plus qu’à prendre nos casques et nos pistolets. SCHNEIDER m’emboîte le pas… « BERTOLO, dis-je, va chercher MORACCHINI et les brancardiers du poste de secours… »

dehors, le jour se lève, aube rose d’une nuit claire, annonce pure d’un beau jour d’été. Un silence cruel enveloppe toutes choses. Nous avançons à longues enjambées dans l’allée du parc, courbés en deux, prêts à nous plaquer au sol. A quelques mètres du groupe, un arbre, coupé net en son milieu, barre complètement le chemin. Des feuilles et des branches jonchent le sol. Les emplacements de combat ont l’aspect du désert : la troupe s’est camouflée. Seule, la tête d’un guetteur émerge d’une botte de paille et des plaintes s’élèvent du fusil-mitrailleur. DIOT, le tireur, est étendu sur le ventre, derrière les bottes de paille, et il gémit doucement. Je lui déboutonne son pantalon : un amas poisseux glisse entre mes doigts. Le sang s’échappe lentement d’un trou énorme, à la hauteur du rein gauche. Je voudrais bien savoir ce qu’il faut faire ! Désespéré et incompétent, je bouche le trou avec un paquet de pansement tout entier et reboutonne la culotte gluante. Emu jusqu’aux larmes, j’essaie de réconforter notre brave camarade de combat dont la pâleur s’accentue d’instant en instant… Pauvre DIOT… Un des plus forts, un des meilleurs, discipliné et travailleur, toujours content et pas froussard… Le deuxième blessé, YUNG, se tortille à quelque distance. Il souffre et hurle en se frappant le thorax. Nous ne découvrons que deux petits trous sur le flanc gauche et qui saignent à peine. Inutile de la panser… Quant au dernier blessé (ils ne sont que trois) c’est un des deux soldats du 93e RI que nous avons recueillis la veille : Jacques GEORGES. Il est assez légèrement touché et ne se plaint pas trop : éclat dans la cuisse, éclat sur l’annulaire de la main gauche qui a complètement cisaillé l’alliance.

J’informe PROUST que nous lui enverrons les brancardiers dès qu’ils seront là car nous n’osons pas toucher aux blessés. Toujours suivi du fidèle SCHNEIDER, je reprends l’allée du parc, au pas accéléré. Profitons du moment d’accalmie que nous accorde l’ennemi. Cinquante mètres environ encore et nous serons en sûreté… trente mètres… Un miaulement nous plaque  dans le sable du sol… Un miaulement qui meurt dans un fracas sur nos têtes. Deux, trois, dix autres sifflements pendant quelques minutes. Un temps infini. Nous pensons naïvement être visés mais le tonnerre s’abat sur l’église à cent mètres au-dessus. Le plus court tombe dans un arbre près de nous. Son bois cassé craque en un pétillement qui nous couvre de branches. Ah ! si la terre pouvait s’ouvrir et nous ensevelir pendant quelques instants ! Maintenant il n’y a plus de sifflements. Les obus ne passent plus au-dessus de nos têtes : ils tombent dans le parc, autour du château, nouvelle cible. Et le P.C est là, tout près, à moins d’une encablure… mais nous n’osons pas bouger. Le sable de l’allée a dû conserver l’empreinte de nos pauvres corps aplatis. Enfin, quelques secondes de trêve où l’on ne perçoit plus que les derniers craquements des arbres. Je me précipite, agile comme le lièvre, rapide comme l’élan. SCHNEIDER a bondi et termine sa course tête la première dans les escaliers de l’abri…

Assis devant ma petite table, je rédige mon compte-rendu, pendant que SCHNEIDER se tâte. LICKEL, très pâle, l’emporte à la Cie. D’un regard de bête traquée, il embrasse une dernière fois notre gourbi et nous dit « Adieu »… Il part, tout seul, malgré le bombardement qui a repris avec une violence accrue sur les lisières du plateau, malgré cette peur qui transpire de tout son être. Il n’a rien dit et va où le devoir l’appelle.

Mon adjoint, silencieux est assis sur un matelas. Il regarde sa montre : le compte-rendu est parti à 4H30. Les aiguilles tournent et SCHNEIDER les regarde avec anxiété. D’une voix lugubre il annonce 4H45… 5H15… Et les brancardiers ne sont pas encore là. La canonnade continue au-dessus de nous et je parcours, énervé, notre abri exigu, dans un silence angoissant. « Mais que font-ils, que font-ils donc ? … »

5H40 : le bombardement reprend sur le château avec violence. Notre cave tremble, les pierres de la voûte branlent dans leurs logements et on entend les pans de murs qui s’écroulent, les arbres qui se brisent, au-dehors. Eclatements et chutes de matériaux se répercutent sinistrement dans la grotte. Nous percevons enfin une galopade dans le fracas extérieur. La porte s’ouvre sous une poussée brutale et BERTOLO apparaît couvert de poussière blanche. MORACCHINI et les brancardiers sont avec lui. « Excusez-nous dit le docteur, nous n’avons pas osé nous risquer dans le tir d’artillerie qui s’abattait sur le poste de secours… » « T’en fait pas, lui dis-je, les blessés sont en sécurité sous leurs bottes de paille, mais il leur faut des soins. » Les brancardiers, qui sont deux seulement, risquent un œil par l’entrebâillement de la porte… puis une jambe… enfin ils s’éloignent sous le bombardement, moins nourri pour l’instant. BERTOLO se joint à eux pour les diriger et les aider.

Le premier blessé arrive enfin au PC : DIOT. « Oh ! docteur, j’ai si mal au ventre » dit-il  et il gémit faiblement. Les brancardiers le déposent sur un matelas et repartent aussitôt. Lavage, pansement de la plaie, piqûres de caféine et de morphine… mais il saigne toujours et le matelas est déjà traversé. D’une pâleur de cire DIOT nous fait signe qu’il veut uriner. Horreur c’est du sang. Le bombardement reprend avec intensité au moment où les brancardiers déposent YUNG dans l’abri, hurlant de douleur. MORACCHINI ne peut pas grand chose pour lui, mais il estime la blessure assez grave. Le dernier blessé est là maintenant. Les brancardiers sont pâles et couverts de sueur. BERTOLO qui s’est tant dépensé depuis ce matin, s’allonge avec un « ouf » de soulagement sur une couchette. Le médecin rédige ses feuilles d’évacuation. L’ambulance est prévenue, nous n’avons plus qu’à attendre…

Je profite d’un ralentissement du pilonnage pour faire un tour jusqu’au bout du parc. Des trous, des branches, obstruent les chemins bordés de troncs noircis ou jaunis par la poudre. Les hommes sont enterrés et semblent calmes, quoique légèrement pâles. Ils ont pu apprécier l’efficacité des bottes de paille contre les obus fusants… Ma présence leur met un peu de baume sur le cœur et je leur adresse quelques paroles de réconfort sur un ton léger qui les rassure et cache ma propre émotion. Au retour, je trouve dans la grotte le caporal DESPONNET et BALANDRAS, tous deux du groupe FEDERLE. Le premier est légèrement blessé aux reins et le docteur lui fait un pansement sommaire. Il refuse de se faire évacuer. Quant à BALANDRAS, il cherche un fusil car un éclat d’obus a détérioré la culasse du sien. Il pensait naïvement que le chef de section disposait de fusils de rechange. Je lui donne celui d’un blessé et il rejoint son groupe… Braves petits soldats…

L’atmosphère s’embrase de nouveau et nous nous terrons dans l’abri. MORACCHINI ne peut rejoindre pour l’instant son poste de secours, bien qu’il ait terminé son travail. Le concert des éclatements ébranle le sol qui saute sous nos pieds. Le temps passe, les blessés gémissent… et rien de nouveau encore sur le déclenchement de l’attaque ennemie.

7H00 :  L’ambulance est arrivée. Le bombardement a cessé brusquement sur notre château et l’objectif est reporté sur FEDERLE. L’accalmie dure juste assez pour permettre le transport des blessés. Nettoyage rapide des matelas tâchés de sang et nous nous asseyons, immobiles et muets, écoutant le vacarme extérieur. L’ennemi s’acharne sur le château avec une frénésie incompréhensible. Les minutes s’écoulent… nous n’en saurions mesurer l’étendue.

8H00 : Enfin un silence total. Au loin, très loin, quelques coups retentissent encore, que nous prépare le Boche ? … LICKEL ouvre la porte, comme un spectre. Il rapporte du PC Compagnie un papier nous informant qu’une attaque ennemie se prépare entre Pommiers et Attichy ! On s’en doutait bien un peu… mais ça fait tout de même plaisir de l’apprendre officiellement… Le docteur me serre la main et s’apprête à sortir. Sur le seuil il se retourne indécis, l’oreille tendue… Les avions !! Il rebrousse chemin sans hésitation aucune.

Alors commence la véritable attaque… Deux heures d’un vacarme hallucinant, d’un enfer où se mêlent le ronflement des moteurs en piqué, l’explosion des bombes, l’éclatement des obus, le crépitement des balles, l’effondrement des murs et le craquement des branches. Mélange étourdissant ! cataclysme qui nous apprend la guerre moderne… Chacun se terre dans son trou sans oser lever la tête, sans oser remuer le petit doigt. A tout instant on a l’impression que la grotte va s’effondrer, que la terre va se retourner sur les hommes. Quelques éclats s’enfoncent avec un brui mou dans les bottes de paille qui fument. Le sable coule entre les pierres de la grotte et s’infiltre dans les cous. Nous en sommes bientôt couverts. Je songe avec terreur à la précarité de notre abri : il n’y a qu’une entrée, si elle se trouve obstruée nous serons enterrés vivants… Mieux vaut ne pas envisager l’hypothèse du coup au but car alors ce sera l’écrasement du P.C tout entier.

Les Stukas mitraillent la rive de l’Aisne que nous tenons pour permettre le déclenchement de l’attaque. Pas de chars sinon en appui de feu… Les Allemands, en tenue allégée, sans sacs, se pressent en rangs serrés autour de grandes barques qu’ils tirent dans les prés. Nos armes automatiques les fauchent sans pitié. TECHE et ARNOULD sont impitoyables. Ils aperçoivent, à la lisière d’un bosquet, les brancardiers ennemis agitant les bras et montrant leurs croix rouges ; le tir est suspendu afin que le boche puisse ramasser ses morts et ses blessés… Hélas ! notre rideau défensif comporte de larges solutions de continuité où l’ennemi s’engouffre, soit à la nage, soit sur des canots pneumatiques lancés par avion. Nous flanchons à gauche et une tête de pont s’établit près d’Attichy. L’Aisne est également franchie entre Jaulzy et Vic-sur-Aisne. L’adjudant DUHAN a été tué de grand matin, en effectuant une ronde, par un de ses guetteurs affolé. Mais, devant Jaulzy, sa troupe tient bon et l’ennemi renonce. Nous ne tarderons pas cependant à être encerclés…

Vers 10H30, l’activité se ralentit légèrement. L’adversaire semble vouloir souffler après l’opération de franchissement : il regroupe ses forces pour le deuxième bond. J’entends l’arme automatique de FEDERLE tirant vers Attichy. Puis les rafales meurent dans un silence déroutant. Quelques balles perdues viennent frapper les murs avec un bruit sec. Je sors pour aller voir PROUST et longe l’enceinte du parc. Une rafale siffle à mes oreilles et me colle par terre. En rampant, je regagne le P.C, une sueur froide entre les épaules. Les Allemands sont déjà dans Jaulzy-Haut qu’ils ont atteint par notre droite où s’allonge le coulée de Sailly. Il est inutile de se risquer dans le village. Les groupes sont éparpillés en îlots de résistance sur un front trop étendu. Les liaisons ne peuvent se faire normalement et l’ensemble est incommandable. Il faut qu’ils se débrouillent seuls. Le moment est venu, pour les chefs de groupe, de montrer ce qu’ils valent.

11H15 : BERTOLO s’en va, par les vergers et les taillis porter mon compte-rendu au Capitaine. En quelques mots brefs j’indique la situation : l’ennemi n’a pas franchi l’Aisne devant Jaulzy mais il encercle le village par les deux côtés. Nous ne pourrons pas tenir longtemps. BERTOLO a mission de passer chez VALROFF, au retour, pour obtenir les renseignements qui auraient dû m’être envoyés. J’expédie LICKEL chez FEDERLE pour qu’il me précise la situation : l’ennemi n’a pas franchi l’Aisne devant Jaulzy mais il encercle le village par les deux côtés. Nous ne pourrons pas tenir longtemps. BERTOLO a mission de passer chez VALROFF, au retour, pour obtenir les renseignements qui auraient dû m’être envoyés. J’expédie LICKEL chez FEDERLE pour qu’il me précise la situation. MORRACHINI tarde à repartir. Nous gardons le silence sachant que, maintenant tout est perdu : l’Aisne, dernier obstacle sérieux, n’a pas tenu longtemps et si nous ne sommes pas retirés de cette souricière l’ennemi nous cueillera sans douleur… à moins qu’en un sacrifice inutile nous nous fassions tuer sur place.

11H45 : Le docteur à rejoint son poste de secours. BERTOLO et LICKEL sont de retour. J’ai ordre de rester sur place, sans idée de repli. FEDERLE n’a pas bougé et n’a pas franchement été attaqué. L’ennemi avance, loin sur sa gauche. Quand à VALROFF et à sa garnison, ils ont disparu. BERTOLO n’a trouvé personne. Du groupe AGOUTIN, appartenant à ma section, il ne reste que le fusil-mitrailleur, coupé en deux par un éclat d’obus, quelques équipements accrochés dans les arbres et le cadavre du soldat ETIENNE, tué par un éclat dans le dos. VALROFF s’est-il replié sur un ordre du bataillon ? Je l’ignore. En tout cas, il est inutile de lui transmettre celui du Capitaine. Il me semble tout de même que les armes d’appui envoyées aux compagnies sont placées sous les ordres du chef de l’unité appuyée… et l’ordre du Capitaine n’est pas de se replier. Dans le feu de l’action BERTOLO a dépassé les positions occupées par VALROFF. Il est allé jusqu’aux carrières où il a trouvé MELOT qui s’apprête à contre-attaquer, paraît-il, pour dégager ma droite. Encore une chose que j’ignore : décidément ça manque de liaisons…

Un calme plat fait suite au vacarme de la matinée. Notre artillerie qui, il y a quelques heures, a fait du beau travail, s’est tue elle aussi. Ce silence après la bataille, nous semble effrayant. Nous croyons sentir l’ennemi s’infiltrer le long des haies, dans les chemins creux, occupant les maisons en catimini, muet et présent, tranquille et sûr de lui. Les soldats français sont là intacts, impuissants, inutiles, attendant un ennemi qui sait où est le vide et s’y précipite. Nos pensées détaillent cette lente infiltration du Boche dont les tentacules se déploient en minces colonnes vers ce point où nous sommes et où nous serons inexorablement étouffés.

Désespérés et las nous mangeons machinalement un croûton avec du gruyère. Les hommes commencent les vivres de réserve… Un coup d’œil dans le parc découvre un amas de décombres et des troncs d’arbres mutilés, branches éparses sur le sol. Mes pas s’égarent vers la route qui mène au groupe FEDERLE. Silence complet. Notre château n’est pas détruit mais ses lézardes attestent l’ampleur de ses souffrances. Solide bâtisse, vraiment ! Deux Allemands mitraillettes sous le bras, traversent la route, là-bas, à deux cents mètres. Je rentre au PC… Le village est complètement rempli de Boches camouflés.

15H00 : L’arme automatique de FEDERLE recommence à tousser et les mitraillettes ennemies répondent par de brèves rafales. Un compte-rendu me parvient quelques minutes plus tard : « Ennemi progresse lentement à ma gauche en direction P.C Compagnie. Mon F.M l’a provisoirement arrêté. » Je transmets au Capitaine.

16H00 : Visite de MELOT. La contre-attaque, sur ma droite est terminée mais elle n’a rencontré personne. FEDERLE arrive en même temps : « La 3e compagnie s’est repliée » dit-il. Il arrête l’ennemi jusqu’à cinq ou six cents mètres d’Attichy mais ses vues ne s’étendent pas au-delà. « Le Capitaine est mieux placé que nous pour juger de la situation dis-je. Il sait ce qu’il doit faire et pour l’heure nous avons l’ordre de ne pas bouger. Il est fort possible que notre position et celle de DUHANT, restées intactes, puissent constituer l’épaulement d’une contre-attaque et servir d’appui de feu… Retournez à vos hommes sans idée de recul. » J’expédie PONCIN à la compagnie avec un compte-rendu relatant la situation dans ses moindres détails.

17H00 : La fusillade et le bombardement reprennent à gauche : c’est la 3e compagnie qui attaque pour reprendre ses positions du bord de l’Aisne. Quelques 75 tombent dans Jaulzy et les artilleurs allemands pilonnent le plateau.

Puis l’ennemi attaque de nouveau jusqu’à 20H00. Devant le groupe du caporal-chef PROUST, rien n’apparaît et rien n’apparaîtra jamais. Il réussit le tour de force de subir toute l’attaque sans voir un sel Boche. La chose est d’ailleurs fort compréhensible : il se trouve à trente mètres des maisons du village que l’ennemi ne dépasse pas. Les chars, contre lesquels devait s’exercer essentiellement sa mission, ont pris d’autres chemins plus praticables. Mais le groupe du sergent FEDERLE est attaqué violemment. Soldat d’une trempe exceptionnelle, il entraîne ses hommes dans une résistance désespérée : l’ennemi ne peut franchir le chemin et doit rester cantonné dans les maisons. Une section tente l’escalade du mur du château ; il la repousse à la grenade. Ce mur n’est d’ailleurs plus que ruines ! Le grenadier MANGEAT, imperturbable, envoie ses V.B sur un boqueteau où il a repéré quelques ennemis fatigués… Un groupe d’élite, ce groupe FEDERLE ! Il est débordé de tous côtés mais ne cède pas un pouce de terrain dans son petit coin. Comme nous sommes loin du 9 septembre !

PONCIN rentre du P.C compagnie vers 18H00. l’ennemi est partout dans le village et l’a gratifié de quelques pruneaux mal dirigés. Nous avons l’ordre, immuable, de rester encore sur place. Eh bien ! restons, même en sachant que le sacrifice est inutile… cette nuit seulement nous aurons peut-être encore la possibilité de nous replier. Après, il sera trop tard. Nous devons obéir… et ne regrettons rien si d’autres peuvent en tirer profit. En tout cas notre sort est maintenant bien fixé : la mort ou la captivité.

22H00 : Pourtant nous avons encore l’espoir que l’ordre de recul nous parviendra dans la nuit. Il est possible de traverser les vergers et les prairies derrière le village car l’ennemi n’occupe pas le terrain. Il s’est cantonné dans les maisons. Nous mangeons à nouveau du gruyère. BERTOLO enfouit les croûtes dans le gosier de sa pie qui a assisté, indifférente, aux horreurs du bombardement. La nuit tombe lorsqu’arrive le sergent AGOUTIN. Je croyais bien l’avoir perdu celui-là ! Après son repli du matin avec VALROFF il a cherché refuge chez MELOT et vient se remettre à ma disposition. Cet esprit de discipline, cette simple manifestation d’obéissance me font éprouver un des plus intenses moments d’émotion de ma courte carrière. Je lui enjoins de regrouper son monde à la porte du P.C.

Peu après le sergent TECHE fait son apparition suivi du sergent AUBRY. L’un et l’autre ont quitté les bords de l’Aisne à la faveur de la nuit et se mettent, spontanément, à ma disposition. Ils ont pu se frayer un passage à travers l’ennemi mais ont dû détruire leurs mitrailleuses en les jetant à la rivière. Le sergent-chef WEISS (adjoint de DUHANT) m’informe qu’il a rejoint FEDERLE avec les deux autres groupes. Bel esprit de corps manifesté par ces sous-officiers qui, dans les fluctuations du combat, ont rallié le chef le plus proche. Après tout, qui les empêchait de filer plus loin, vers l’arrière ? leur position anéantie et complètement tournée n’avait plus devant elle que le vide. Combien d’exemples a-t-on vu au cours de cette guerre de troupes qui, pouvant se replier loin de l’ennemi, sont venues se mettre à la disposition de ceux qui pouvaient encore combattre ? leur sacrifice a été inutile mais il constitue un bel exemple dans une guerre qui en a si peu connu.

Malheureusement nous ne savons pas ce qu’est devenu le sergent-chef ARNOUD et ses mitrailleuses. Nous apprendrons plus tard qu’il a rejoint le bataillon. Peut-être avait-il une bonne raison de ne pas adopter la même conduite que ses camarades de combat.

J’organise rapidement tout ce petit monde en un point d’appui fermé avec mission d’accepter le combat rapproché. Le P.C de FEDERLE passe sous le commandement du sergent-chef WEISS. Devant nous Jaulzy s’est endormi dans le silence. Les Allemands se reposent tranquillement dans les maisons qu’ils ont occupées. Nos artilleurs tirent une salve sur le village… le ciel s’illumine des incendies allumés et les Boches poussent des hurlements. Les maisons brûlent lentement sous les nuages rouges et nous regardons sans joie le brasier qui s’étend. Je rédige un nouveau compte-rendu où je note le chiffre exact de mon nouvel effectif et les évènements récents. En attendant le retour de BERTOLO je m’allonge sur un matelas.

Dimanche 9 juin – minuit 

Ordre du Capitaine :  tenir, sans idée de repli. Une contre-attaque doit nous dégager au matin. Prévenir MELOT de rejoindre immédiatement le P.C afin de participer à cette contre-attaque. Mes agents de transmission n’en peuvent plus. Je fais venir BELLAN et il part, dans la nuit, à la recherche de MELOT. Il rentre à 2H00 du matin et n’a rien trouvé ? je m’arracherais les cheveux si mon casque ne m’en empêchait : MELOT doit être à la Cie pour 3H00. Je réveille BERTOLO et part avec BELLAN. L’ordre est de trouver MELOT coûte que coûte, mort ou vif.

4H00 du matin ! Nos émissaires sont de retour. La mission est remplie mais il est peu probable que MELOT soit en mesure de contre-attaquer à l’heure prévue. Une aube nouvelle se lève dans un brouillard glacé. Les hommes sont transis. La fusillade troue la brume et l’ennemi reprend son mouvement. Il est déjà loin derrière nous mais tâte FEDERLE à gauche. Le Boche semble vouloir attaquer de face le plateau de Croutoy en évitant Jaulzy.

8H00 : FEDERLE repousse à la grenade une attaque du donjon. Les Allemands ne peuvent s’approcher sous les rafales des armes automatiques. Les murs s’effritent, les fenêtres volent en éclat mais le groupe tient bon. Hélas ! L’ennemi s’infiltre entre notre position et celle de FEDERLE. Pour midi, toutes les habitations sont occupées et les communications rendues impossibles. Jaulzy-Haut est infesté de Boches. Ils sont partout. Notre isolement devient à peu près total.

15H00 : J’expédie un ultime compte-rendu au Capitaine : « Suis totalement encerclé. Avant 12H00 nous serons finis. Puis-je tenter une sortie à la nuit ? » Je le confie à PONCIN : « Mon vieux, c’est presque l’impossible que je te demande mais il faut que tu reviennes. » De la contre-attaque promise à l’aube nous n’avons pas vu le moindre élément. Elle n’a pas dû parvenir jusqu’ici… A présent l’artillerie française tire sur Jaulzy, en plein sur nous. Bien sûr, il y a des Boches aussi… Je lance la fusée 2 feux jaunes « Allongez le tir » Peine perdue ! Le bombardement redouble de violence. Alors je lance toutes mes fusées : rouges, jaunes, blanches, vertes… Rien n’y fait ! J’adopte la seule solution qui reste : tout le monde dans les trous et les abris.

16H00 : Les artilleurs cessent leur petit jeu dangereux. Pour éviter d’inutiles accidents je fais entasser la troupe dans une caverne, au fond du parc, ne laissant que les armes automatiques et leurs servants aux emplacements de combat avec un agent de liaison pour donner l’alerte. Nous n’avons plus grand chose à espérer désormais et notre mission est terminée : l’ennemi a disparu loin derrière nous. Notre dernière chance de salut demeure l’ordre de repli que nous ne sommes pas sûrs d’ailleurs de pouvoir exécuter. FEDERLE tient toujours et lâche quelques rafales de temps en temps.

Enfin, voici PONCIN accompagné de ROUSSY du groupe FEDERLE. Ce dernier, coupé de mon P.C a envoyé son compte-rendu directement à la Cie en sollicitant l’ordre de repli. Mais ROUSSY n’a pu rejoindre son chef. Par les vergers ils ont pu revenir jusqu’à moi, non sans peine et sans beaucoup de chance.

L’ordre de tenir est formel. Tenir quoi ? Le Capitaine ne se fait pas d’illusions sur le sort qui nous attend car il a dit à PONCIN : « Dépêche-toi car je crains que tu ne puisses rejoindre ton Lieutenant… » Un bataillon du 26 contre-attaquera, paraît-il, demain matin. MELOT vient de contre-attaquer devant le P.C de la compagnie, donc derrière et à gauche de mon dispositif. L’ordre de repli est probablement imminent mais il ne semble pas possible qu’il puisse me parvenir. Nous n’avons donc plus qu’à attendre. Attendre d’être dégagés, de succomber ou d’être faits prisonniers. Cette dernière solution sera probablement celle qui deviendra réalité car nous n’avons plus les moyens de combattre… faute d’ennemi. Il nous entoure mais ne se montre pas.

Photo Melot

Je sors dans le parc où le calme est total et m’assieds sous des broussailles ; on entend quelques chants allemands au loin. Le cœur lourd je songe aux paroles du Capitaine GIBET, il y a quelques jours : « Si nous cédons, ils seront à Paris huit jours plus tard ! » Et nous avons cédé. La partie est bien jouée maintenant ! Peut-il en être autrement lorsqu’une division n’oppose à l’assaillant qu’un rideau discontinu étiré sur une trentaine de kilomètres ? On ne gagne pas une guerre avec le seul héroïsme…

Je songe…Je songe pendant des heures avec désespoir. Pour la première fois me viens à l’esprit la pensée des miens et cette angoisse de se dire : « Où sont-ils, que font-ils, qu’adviendra-t-il d’eux ?… »  La soirée est d’une pureté radieuse… une de ces fins de journée si belle qu’on a peine à la voir finir. Mon regard découvre les ruines qui s’étalent autour de moi… et je rêve à ceux qui ont habité là, qui ont erré sous ces arbres, qui ont aimé le calme de ce parc et respiré ses parfums…

Je rentre enfin pour manger du gruyère. Il est à croire que BERTOLO en a découvert une mine. La cave est faiblement éclairée par une lampe à pétrole qui achève de mourir. Tous dorment déjà. DESBONNETS veille, assis sur un matelas encore tâché de sang, mitraillette entre les jambes. « Que faites-vous de cet engin DESBONNETS ?  lui dis-je doucement. C’est inutile maintenant. » « Je ne me rendrais pas sans en avoir descendu un » répond-il.  Brave type mais à quoi bon… Depuis trois jours j’ai dû dormir trois ou quatre heures. Il est temps que je me repose un peu…

10 juin 1940 

J’ai dormi comme une brute. Les autres n’ont pas osé me réveiller pour le service de quart. Il est peut-être cinq heures du matin et la campagne alentour a retrouvé sa sérénité. La guerre est finie par ici, l’ennemi galope vers Paris.

SCHNEIDER, debout près de sa mitraillette demande : « Faut-il leur tirer dessus quand ils arriveront ? » Je réponds « non ». Quelle cause pourrait servir notre ensevelissement dans cette cave ? Ni ordre de repli, ni contre-attaque ne sont venus nous rendre l’espoir. Alors commencent de longues heures d’attente, dans une incertitude déprimante, avec ce sentiment d’impuissance face à l’adversité, avec cette pensée d’une mission ratée, cette affligeante perspective de la prison… peut-être de la mort. Qui sait ce que l’ennemi fera de nous ?

Les heures s’écoulent au long d’un silence qui cache des pensées tristes comme le néant, dans une atmosphère écœurante de fumée de pétrole. Les visages sont pâles (peut-être la peur ?), les yeux bouffis, les traits accusés sous la lumière dansante et faible des lampes.

10H00 : Le sergent TECHE nous donne quelques nouvelles des hommes qui sont avec lui. Ils ont faim. Nous aussi. Nous ne tiendrons pas longtemps dans ces conditions ! Si nous avions touché nos six jours de vivres il y aurait peut-être moyen de chercher une solution. Mais avec la faim, il nous faudra aller à l’ennemi s’il ne vient pas à nous. Les heures passent, monotones et cruelles. Au début de l’après-midi, TECHE grimpe dans la tour épargnée du château : la campagne, baignée de soleil, s’étend au loin, calme et reposante. Sur a route serpente une colonne ennemie.

Je rumine dans ma tête un plan d’évasion et cherche une solution au problème du repli ou à celui d’un changement de position qui nous permettrait de nous tirer d’affaire. Un conseil entre gradés décide qu’à la nuit nous nous éparpillerons par groupes de 4 ou 5 à la recherche de nourriture. Ensuite chaque groupe essaiera de rejoindre les arrières et de retrouver une troupe amie quelconque en combattant si besoin est mais sans rechercher l’ennemi. Nous ne pouvons espérer le salut qu’en nous camouflant et en rusant. Les équipes opéreront isolément. Nous prenons immédiatement les mesures qui s’imposent : destruction des papiers et des armes lourdes. Nous conservons pistolets, fusils et mitraillettes. Les groupes seront constitués plus tard. Attendons la nuit maintenant…

17H00 : Un bruit de pas lourds et des cris gutturaux parviennent, assourdis, jusqu’au fond de la grotte… Quelques secondes d’un silence figé et la porte en haut des escaliers s’ouvre brusquement : un Allemand, silhouette sombre dans l’encadrement, braque son pistolet vers les fantômes haves et apeurés qui le regardent sans bouger. Il ne dit rien, rendu aveugle par l’obscurité de notre abri puis, sans hargne, prononce ces mots : « Rendez-vous »… SCHNEIDER lève les bras et s’avance suivi des hommes du P.C. je sors le dernier, sans lever les bras et jette au passage « Offizier »… L’autre n’insiste pas. Nos têtes sont vides et nous avançons comme dans un rêve, sans même sentir notre honte… C’est presque du soulagement…

Dehors, les autres sont déjà rassemblés et nous nous joignons à eux. Toutes ces figures pâles, qui vont du jaune blafard au vert pointe d’asperge, me frappent d’inquiétude. Seul BELLAN conserve un calme olympien. Ils ont peur, nous avons peur de ces Boches aux intentions cachées. L’officier m’écarte de la colonne et me fait signe de rester derrière lui. Il aligne tous mes hommes contre le mur du château, bras levés. Deux soldats allemands se placent de chaque côté, en avant, mitraillettes sous le bras pointées vers ces poitrines offertes… Les visages vaincus pâlissent encore mais personne ne dit mot ! Vont-ils les fusiller là, sous mes yeux, et m’exécuter ensuite froidement ?… La tranquillité avec laquelle ils opèrent, leur silence, le sourire qu’ils ont au coin de la bouche me font craindre le pire…

Alors, quelques feldgrau camouflés dan les environs surgissent et s’approchent de mes hommes, sans armes : c’est la fouille !!! Je respire enfin ! Quelle mise en scène ! Et s’ils ont eu l’intention de nous foutre la frousse, ils ont bien réussi. Je suis dispensé de fouille et concentre toutes mes facultés sur mon attitude que j’essaie de rendre aussi digne que possible pour un vaincu.

Dans un charabia très imagé, un interprète nous fait savoir que le Grand Reich ne nous veut pas de mal mais que tout acte de rébellion sera puni de mort. Les visages se détendent et retrouvent quelques couleurs… Nos vainqueurs sont corrects, à l’exception d’un petit caporal hargneux, excité et gesticulant qui doit se prendre pour Hitler et que son chef remet en place vertement…

Il ne nous est pris qu’armes et munitions, laissant les objets personnels. Nous avons bien fait de détruire les F.M et nous aurions été mieux avisés en détruisant aussi le reste mais pour tenter de rejoindre les arrières nous devions être armés. L’officier qui s’est chargé de ma personne ne s’inquiète même pas de savoir si j’ai un pistolet ou les poches bourrées de grenades. Je conserve ma boussole mais il subtilise les jumelles pendant à mon épaule. Il m’accompagne au fond de la cave où je récupère ma capote, mon sac et une couverture… J’oublie la musette… les hommes vont ensuite chercher leurs affaires et, colonne par trois, sont rangés derrière le château.

On me conduit sur la route près d’une auto découverte où est assis un gros capitaine. Il me regarde sans méchanceté et me fait signe de monter à l’arrière. Le chauffeur, jeune garçon aux yeux bleus prend mon barda qu’il range dans le coffre arrière. Son patron entre dans le parc du château après m’avoir donné deux barres de chocolat… Quelques minutes plus tard la voiture démarre et, en tournant le coin de la rue, j’aperçois mes hommes qui débouchent de la petite porte du parc, SCHNEIDER en tête. Le Capitaine, l’air satisfait, s’est installé à mes côtés. Quelle outrecuidance ! Ne pouvait-il se mettre à l’avant ?

Nous longeons l’enceinte du château où s’est battu FEDERLE. Notre vaillant camarade a dû être kidnappé avant nous. Le quartier est en ruines… L’auto fait des embardées inquiétantes dans les trous d’obus jalonnant la rue et le carter racle le sol en crissant. Le Hauptmann, près de moi, secoue sa gélatine et je regarde anxieusement la tunique tendue… L’idée étrange de la voir craquer traverse mon esprit et je me rapetisse dans l’encoignure du siège… Toucher cette viande ennemie me fait horreur !

Encore deux virages à droite et nous trouvons la route nationale. La voiture file en direction de Vic-sur-Aisne. Mon cœur se serre à la vue des destructions de Jaulzy-Bas. Enfin ! nous en verrons bien d’autres ! Nous croisons ma pauvre section vaincue, conduite par SCHNEIDER ; les hommes marchent la tête basse et, l’air triste, m’envoient de la main un dernier et amical bonsoir. La route est bordée de ruines : maisons éventrées, trous béants, amas d’objets et d’armes fracassés, murs écroulés, fils électriques rayant le ciel en tous sens, cadavres d’animaux. Parfois, un soldat français mort attend sur le bord de la route, capote gonflée brune de sang séché d’où sortent une tête et des mains bleues. Pauvre petit gars qui ne reverra plus ceux qu’il aimait… sa petite maison, son petit coin de prairie, ses chères habitudes… Il ne connaîtra plus les misères et les joies de ce monde, il est mort pour la France !

L’auto entre dans Vic-sur-Aisne après avoir franchi la rivière sur un pont provisoire que les Allemands, déjà, ont trouvé moyen de construire. Elle se range pendant trois quarts d’heure dans une cour de ferme, attendant le dégagement de la route où circulent des colonnes interminables de « feldgrau » couverts de sueur et de poussière, fourbus et têtes basses. Ils s’accrochent aux véhicules pour soulager un peu la peine qui les courbe, s’appuient sur des cannes de fortune, cols ouverts et manches retroussées… silencieux et mornes. Les chars, les camions, des morceaux de matériel obstruent l’entrée du pont, seule voie de passage actuelle. Un brouillard de poussière enveloppe cette cohue d’un hâle grisâtre…

Nous démarrons enfin mais tournons en rond pendant une heure et demie dans le bourg grouillant d’uniformes et de véhicules. Innombrables arrêts où la consultation des cartes apporte peu de lumière aux difficultés d’itinéraire. Quelques Allemands s’approchent de la voiture et tentent d’engager avec moi une conversation qui ne m’intéresse pas. Tous me regardent sans acrimonie… Ils sont plus curieux que méchants. Aucun n’oublie de préciser que la France est bien battue et que la Reichswehr ne tardera pas à fouler les pavés des grands boulevards. Ils ne risquent pas de m’apprivoiser avec de tels propos !

Vers 20H00 le chauffeur parvient tout de même à sortir de Vic. La route s’allonge devant nous, mine et noire sous les colonnes de chars que nous croisons. Des convois d’artillerie passent à grand fracas, soldats juchés un peu partout et criant avec des gestes de vainqueur : « Nach Paris ! » Plus paisible, une colonne à pied s’avance en chantant, malgré la fatigue qui creuse les visages, et brandit des bouteilles de vin et de cidre trouvées dans les caves françaises… Je regarde et ne dis rien. Mes compagnons ne sont pas plus bavards et semblent tout à fait blasés.

Nous quittons la grand-route et tournons à droite, vers un cimetière militaire américain que nous laissons derrière nous. Les premières maisons de Nampcel apparaissent et nous nous arrêtons devant une bicoque proche d’un château bien gardé. Quand le Capitaine ennemi a réussi à se glisser hors de la voiture, il me prie de bien vouloir lui remettre les papiers qui sont en ma possession. Je n’ai que des lettres d’un caractère strictement privé. Je reste seul dans l’auto sous la garde du chauffeur à qui, subitement, vient l’idée de me subtiliser ma fourragère et l’insigne de mon régiment. Il lui manquait probablement quelque trophée de victoire.

La nuit tombe : une bougie s’allume dans la pièce où l’on examine mes lettres d’amour avec, sans doute, l’espoir d’y trouver un secret militaire d’importance. Quelqu’un ferme les volets. Le gros Capitaine est maintenant près de sa voiture. Il me rend mon portefeuille et m’explique en petit nègre que les lettres sont conservées parce que l’interprète n’a pas eu le temps de les déchiffrer mais qu’elles me seront expédiées au camp. Le plus extraordinaire c’est que ces lettres si elles ne me sont jamais parvenues ont été renvoyées à ma famille ! Mon garde du corps m’entraîne dans la pièce éclairée où se tient, assis derrière une table, un jeune officier allemand. Il se lève à mon entrée et salue militairement, au garde-à-vous. Je réponds au salut. Quelques paroles en allemand sortent de sa bouche mais je l’arrête aussitôt : « Ne vous fatiguez pas, mes connaissances de votre langue sont trop réduites pour que je vous comprenne… » L’interrogatoire commence alors, dans un français d’une correction parfaite. Je lui donne mes nom et adresse, date et lieu de naissance, n° du régiment et de la Cie. Il insiste pour connaître le n° de la division, les noms des généraux de brigade et de division, du Colonel etc… « Nos règlements militaires ne m’autorisent pas à vous en raconter davantage » lui dis-je. Du tiroir de sa table il sort alors tranquillement une sorte d’annuaire et me donne la composition exacte de la 11e DI avec les noms des chefs d’unité jusqu’à l’échelon bataillon. J’ouvre une bouche comme un poisson frit et me tiens bêtement debout sans pouvoir dire un mot. Je constate tout de même qu’ils ne sont pas au courant des derniers changements concernant le commandement de mon régiment et de mon bataillon. C’est peut-être là-dessus qu’ils veulent être renseignés et je suis à deux doigts de lâcher le morceau dans mon ahurissement ! L’officier interprète me demande enfin si je suis marié, israélite et… sportif « car j’ai vu, dit-il, la photo d’une équipe de football dans votre portefeuille et, moi aussi je pratique ce sport. » Il termine par ma profession et me remercie en saluant.

Jusqu’à deux heures du matin nous roulons dans la nuit, cherchant Noyon. Je m’assoupis sur la banquette et perds la notion du temps comme celle de l’espace. Où sommes-nous passés ? Le froid et les douleurs dans les reins m’éveillent de temps en temps mais je n’ai qu’une conscience bien vague des évènements extérieurs. Je me souviens des nausées qui, en un endroit, crispèrent mes entrailles vides : nous devions être arrêtés à proximité d’un rassemblement de cadavres humains ou animaux en décomposition…

Le chauffeur met tout de même un terme à cette randonnée nocturne et stoppe devant l’entrée d’un grand château : Noyon s’est évanouie dans les ténèbres ! Nous entrons à la conciergerie et les bagages sont transportés dans la cuisine. Je m’assieds à une petite table en face du gros Capitaine ; le chauffeur nous apporte de la choucroute, de la saucisse froide, du pain, du beurre et de l’eau. J’ai faim et me restaure avec plaisir. Tout de même, on n’est pas habitué en France au château la Pompe et je regrette mon quart de pinard. Le pain, cet amas compact et gris un peu amer fait défiler devant mes yeux un régiment de petits pains blancs, vivants et croustillants, chauds et dorés, d’une délicate couleur d’ambre. Nous mangeons en silence… comme de vieux amis qui se connaissent si bien qu’ils n’ont plus rien à se dire…

Au lit maintenant. Sur le plancher de la chambre voisine on a étendu trois matelas avec draps et couvertures. Je devais être attendu ! D’un geste bref, le Capitaine indique qu’il faut se coucher et je m’exécute, tout habillé. Mais il me montre ses souliers Oh ! évidemment, je ne puis dormir chaussé. Suis-je bête ! Il enlève aussi les siens puis tombe la veste et la culotte et me fait comprendre que je dois l’imiter. Je commence à croire que l’envie lui prend de coucher avec moi. Nous sommes enfin dans les draps, tous trois côte à côte et j’entends pour la première fois depuis huit heures du soir un mot, une parole qui me rappelle que nous ne sommes pas des gens muets… Le Capitaine me dit « Ponsoir »… Quiconque aurait assisté à notre conversation précédente aurait cru voir dialoguer des sourds-muets ! Je ressens la bienfaisante impression de pouvoir dormir confortablement, sans pensées, sans responsabilité… Pouvoir enfin se donner tout entier au sommeil après tant de secousses, tant de crainte, tant d’inquiétudes ! Sentir qu’on est vivant parce qu’on peut dormir ! Immense jouissance qui me fait oublier la captivité, l’ennemi, la déroute, la famille… Il sera temps demain de songer à tout cela. Je m’abandonne au néant qui me reçoit comme un ami.

11 juin 1940

Un soleil clair me tire d’un profond sommeil. Le réveil marque 9H00 sur la table… Les gardiens sont déjà levés et j’entends le chauffeur qui s’asperge dans la cuisine. Je le rejoins pour en faire autant car il y a quatre jours que je ne me suis pas lavé ! Remarquant un short sur un fil au-dessus de l’évier, je m’en empare subrepticement pendant une absence de mon voisin et le glisse dans ma poche…

Le petit-déjeuner est servi : pain noir, saucisse arrosée de cette décoction d’orge grillé, sans sucre, que j’ingurgite avec la grimace. Pendant cinq années de captivité j’en boirais hélas des tonneaux, des citernes !

10H00 : Nous remontons en voiture. La nuit de repos m’a bien retapé et je songe que, si j’en avais la force et ne m’étais pas si profondément et si rapidement endormi, peut-être aurais-je pu fausser compagnie à la Wehrmacht… Le chauffeur pique franchement vers le sud et nous traversons les champs de bataille d’hier. La ballade serait agréable sans le paysage de désolation qui nous environne. Une étrange paix faite de silence règne sur les ruines et les épaves qui couvrent la campagne. C’est le désert… un désert riche de cultures saccagées par la guerre. La plaine est jalonnée de cadavres de chevaux, pattes tendues vers le ciel accrochant à leurs fers de brillantes clartés. Le feu a calciné quelques fermes dont les murs seuls restent debout. Des maisons, portes arrachées, fenêtres béantes et noires comme des yeux crevés se tiennent sans vie au bord de la route. Dans les jardins piétinés et labourés, les arbres sont coupés par le pied et sur les bas-côtés de la chaussée fourmillent les casques, les bidons aplatis, les sacs, les capotes que nos soldats ont abandonnés pour fuir plus vite…

Pendant quelques minutes nous roulons sur une nationale où circulent trois colonnes allemandes : deux colonnes blindées dans le même sens et une colonne de ravitaillement dans le sens inverse. Nous sommes obligés de passer dans les champs où s’est tracée une deuxième route ! Puis la voiture prend un petit chemin qui nous conduit à Attichy où elle tourne en rond pendant un moment. Elle remonte enfin le cours de l’Aisne dans un paysage charmant…

Vic-sur-Aisne ! Le périple nous ramène au point de départ ! L’auto s’arrête auprès d’un groupe de soldats français. Tiens ! des prisonniers, comme moi ! J’allais finir par croire que j’étais le seul P.G de l’Armée française… Mais les voilà qui se lèvent et agitent les bras. Le doute n’est plus possible, c’est ma section. Je me précipite vers mes chers poilus… Nous sommes tellement heureux de nous revoir ! Si le Boche pouvait ne plus nous séparer ! Je me sens vraiment moins seul. Eux semblent ragaillardis par la présence de leur chef et parlent tous ensemble. Je ne saisis pas un mot de leur verbiage. Nous sommes parqués dans un petit pré, au nord de Vic, sous bonne garde. Nous n’en bougeons pas jusqu’au soir, étendus sur l’herbe, fumant des cigarettes et admirant les colonnes interminables qui défilent sur la route le long du pré. La vue de camions français Unic et Lafly, montés sur pneus Dunlop nous consterne. On leur vendait donc tout ça pendant que nos unités devaient se contenter des vieux rafiots de réquisition ?

A 6H00, un posten dépose près de moi un seau plein d’une soupe épaisse à base de riz où nagent quelques fibres de viande. Les parts sont si maigres qu’elles tiennent dans les boîtes de sardines vides que les plus déshérités ont dû utiliser comme gamelles. Il nous reste encore un peu de pain fort heureusement ! On évoque la roulante de la compagnie avec attendrissement…

Encadrés par six fusils et colonne par trois, nous descendons maintenant au bord de l’Aisne dans une exploitation de matériaux de construction. Espérons qu’ils n’ont pas choisi la noyade pour nous exterminer ! Personne ne saura jamais pourquoi nous sommes venus en ces lieux car après une heure d’attente durant laquelle les « Schleuhs » se mêlent à notre groupe en essayant de fraterniser tous appareils photos dehors, on nous conduit à notre point de départ. Là, deux hommes sont désignés pour nettoyer une grange voisine et y étendre quelques bottes de paille. Les autres fument leurs dernières « Troupes » en regardant le soleil se coucher.

21H00 : Pendant toute la journée les Boches n’ont pas cessé de me dire qu’un lit m’était réservé dans une maison. Leur promesse se matérialise sur la paille de la grange où je partage la couche de mes hommes. Je ne leur en demande d’ailleurs pas davantage.

12 juin

Notre effectif est trop réduit pour former un convoi et nous attendons du renfort… Nous nous sommes levés tard aujourd’hui. Rien ne nous presse, même pas les Boches. Pendant que je me rase, trois pionniers viennent grossir nos rangs. L’un est blessé. Ils ont quelques boîtes de singe qu’ils partagent fraternellement avec nous.

A midi, changement de cantonnement ; nous allons dans une ferme dont la cour intérieure, assez vaste, nous permettra de circuler un peu et facilitera la surveillance des sentinelles. La buanderie recèle quelques instruments utiles à la confection d’une cuisine acceptable. L’ennemi nous a promis des victuailles mais pas avant ce soir. En attendant, il faut resserrer la ceinture d’un cran. Je fais nettoyer la grange et m’installe au grenier avec les gradés. Les poux qu’ont laissés les poules grouillent dans la paille sale. Au jardin les légumes ne manquent pas ; le gibier de ferme circule en liberté mais il est interdit de le toucher. Je trompe la faim en croquant deux ou trois carottes crues.

Les Allemands désignent quelques hommes de corvée pour le ravitaillement : ils rapportent des légumes, des nouilles, du café, des condiments etc… en quantité suffisante. Les ustensiles de cuisine sont immédiatement en batterie et nous nous apercevons que les casseroles sont inexistantes. On mélange tout dans la grande marmite à pâtée des cochons et les cuisiniers entrent en transe. ROUSSY, ex-cuistot de la Cie, a pris la direction de la popote et s’est adjoint deux débrouillards : BERTOLO et ROUCAUD. La soupe est prête vers 6H00. A présent ce sont les gamelles qui font défaut. Des boîtes de conserve un peu plus grandes que celles de la veille ont été récupérées. On distribue le bouillon auquel fait suite le plat de résistance, fade, gluant, mais excellent pour des estomacs creux. Comme nous n’avons pas de fourchette, les doigts en font office.

La nuit commence à tomber lorsque je vois apparaître une vache derrière la porte d’entrée à claire-voie : un Boche nous apporte le lait du petit déjeuner. Nous soignerons cette sœur de misère avec un tendre amour…

Colonne par trois maintenant. « A gauche, gauche ! » je continue à commander mes hommes. Hélas c’est pour les présenter à un sous-officier ennemi qui les compte trois fois et nous informe, pour tout bonsoir, que si l’un d’entre nous s’évade trois autres seront tirés au sort et fusillés.

13 juin

Colonne par trois. « A gauche, gauche ! » Appel du matin cette fois. Mais dans sa magnanime grandeur, l’ennemi nous a laissé dormir jusqu’à 8H00. Il n’oublie pas malgré tout de nous chercher quelques occupations. L’effectif est partagé en trois parties inégales : l’une se dirige vers les barricades qu’elle a mission de démolir, la deuxième part à la recherche des légumes et la dernière reste au camp pour en assurer l’aménagement. Personnellement, j’ai liberté de manœuvre  dans le cadre de ces trois occupations. N’ayant aucun désir de participer à des travaux qui peuvent, de près ou de loin, intéresser l’ennemi, je reste à la ferme avec SCHNEIDER. Nous bricolerons avec la troisième corvée à l’amélioration du pauvre confort de la collectivité.

On nous apporte un porc. ROUSSY l’exécute sans pitié et, avec ses acolytes, nous prépare un substantiel repas. J’accueille avant midi une vingtaine de pionniers qui augmentent notre effectif et diminuent d’autant nos rations que nous partageons avec joie. Parmi eux se sont glissés quelques tirailleurs marocains et un superbe nègre aux joues balafrées (33e Sénégalais) coiffé d’un képi de garde-forestier et affublé d’un gros baluchon dans lequel il serre jalousement une immense poêle à frire et des pommes de terre. Les sentinelles l’examinent avec curiosité en s’esclaffant et s’étonnent qu’il n’ait pas encore été fusillé ! Le malheureux, l’air très doux, roule de gros yeux ronds sans comprendre. Je réussis tout de même à le soustraire aux sarcasmes de nos geôliers. Nous cassons une croûte magistrale à midi ! Le porc entier y passe. Mais cela ne suffit pas au nègre qui se régale des tripes cuites sous la cendre. C’est à nous cette fois de nous extasier !

Au début de l’après-midi arrive un civil, jeune et maigre paysan des environs, réformé pour maladie de cœur (dit-il). Méfiance ! Nous évitons de nous épancher. Il semble assez instruit et voudrait un peu de lecture. Nous inventorions les greniers de la ferme et en sortons quelques romans sans intérêt qui nous tiennent compagnie un moment.

Une corvée a été désignée pour enterrer les soldats français tombés à Vic-sur-Aisne. Parmi eux mes poilus reconnaissent le sergent FARENC et le Lieutenant WEBER de la CA2 : corps gonflés, bleuis, méconnaissables… Je conserve par-devers moi les plaques d’identités et les livrets matricules.

Le nègre m’a pris en amitié et ne me quitte plus. Il sait lire et fourre son nez dans un vieux journal où il ânonne comme un enfant, sans intonation, sans souci de la ponctuation ni du sens des phrases. J’essaie de lui expliquer mais il ne cesse de me répéter : « Moi pas peu’ des A’mands – Toi pas peu’ non p’us, toi chef. » Puisqu’il est auprès d’un chef, rien ne peut lui arriver et il se sent rassuré.

Dans la matinée les Allemands ont amené ici un motocycliste de la 11e DI blessé au pied par des éclats de grenade et incapable de marcher. Il nous annonce l’arrivée d’une colonne importante de prisonniers parmi lesquels figurent quelques officiers du 170. cette nouvelle me rend presque heureux ! Sensation bienfaisante d’apprendre qu’on n’est pas seul… je pense à MELOT, à LAXAGUE, au Capitaine GIBET, à ceux du bataillon.

La fameuse colonne n’apparaît pas avant 15H00, long moutonnement verdâtre dans la poussière, au loin… Quand elle passe devant la ferme, je reconnais six officiers marchant en tête : le Commandant de PUINEUF du 3e Bataillon et son état-major (Capitaine FOURMIE, Lieutenant OUDOT et DURAND flanqués des deux médecins. Mon étonnement est grand car je ne m’attendais pas à voir des éléments étrangers à mon unité. J’apprendrai plus tard les noms des trois autres officiers : Lieutenant PASCAUD et PASSAT du 442e Pionniers et SCHIMPF du 235e RI. Tous présentent des mines défaites, consternées, jaunes de fatigue : ils ont à peine le temps de me dirent qu’ils terminent leur quatrième étape à pieds.

On les parqua dans un enclos voisin. Je débats comme un beau diable un bénitier de leur rendre visite. Elle m’est accordée et, flanquée d’une sentinelle je m’approche d’eux, tenant sur mon cœur une grande gamelle de soupe. Ils se jettent littéralement dessus, car depuis trois jours ils n’ont pratiquement rien mangé. La vue de ces officiers déchus, haves et affamés me donne l’envie de pleurer… Mais les soldats, les quatre cents soldats qui les accompagnent font cercle autour de nous et je dois subir leurs outrages. Ils m’insultent, me traînent dans la boue parce que disent-ils « tout est toujours pour les mêmes. » Premières réactions humaines devant l’adversité, premières manifestations de la lutte pour la vie, sans retenue, sans honte, sans beaucoup d’espoir. La loi de la jungle va régner… Pourtant, était-il  humainement possible de faire 400 parts de cette gamelle, la seule dont je disposais immédiatement ? Je l’ai donnée à des amis, à des gens que je connaissais et il s’est trouvé qu’ils étaient des officiers. Je n’ai pas choisi et je ne regrette pas mon geste. Fallait-il la jeter parce qu’il n’y en avait pas pour tout le monde ? Et puis, abstraction faite des gradés, ces hommes n’étaient-ils pas les plus âgés, les moins résistants ? Je vous demande pardon, camarades de notre armée en déroute, de n’avoir pas eu de quoi soulager votre misère… et je vous ai compris parce que vous aviez faim… mais vous avez jeté le doute en mon esprit et blessé un cœur qui souffrait assez de son impuissance. Sans cette sentinelle ennemie qui brandissait un fusil, à quelle extrémité en seriez-vous venus ?

Sous vos quolibets, j’ai regagné mon cantonnement et donné des ordres – oui j’ai donné des ordres à mes gardiens – pour une livraison rapide des vivres indispensables à la préparation du rata pour quatre cents hommes, avec l’envie folle de vous laisser crever. Pourrez-vous un jour vous rendre compte de ce que représente la confection d’un tel repas, sans marmites, sans personnel spécialisé, sans vivres, et en quelques heures ? Etions-nous les maîtres ?

Par bonheur nos posten sont assez compréhensifs et commencent par nous livrer un veau. Un arabe lui coupe le cou après avoir tourné la tête vers le soleil. La bête se débat et le sang gicle par saccades de l’aorte tranchée. ROUSSY et quelques autres le débitent, l’entassent dans la marmite aux cochons et allument un grand feu au milieu de la cour. Nous épluchons les légumes à toute vitesse… de l’eau, du sel et à 20H00 le rata est à peine cuit. Mais il faut le servir sans tarder pour éviter un massacre. Les portions peuvent être distribuées sans peine avec une petite cuiller… et les plus mal servis ne sont pas ceux qui ont un os à sucer… Je regrette de n’avoir pu faire davantage. A cette époque où chacun pensait d’abord à soi il est heureux que mes braves poilus aient, tout de même, un peu pensé à vous.

Une pluie fine se met à tomber… nous apprenons que l’ennemi était à Rouen le 8 et que le 10 la forêt de Compiègne lui appartenait. Alors que j’attendais le 10 une problématique contre-attaque, mes camarades d’infortune du 3e Bataillon tombaient, avec leur car de repli, dans les griffes du Boche vers Crépy-en-Valois ! Ils m’ont raconté leur erreur d’itinéraire, les rafales de mitrailleuses dans le véhicule… Les blessés… La honte de se rendre sans combats… Les marches forcées, le sommeil sur les pavés… et la faim, la faim atroce qui a fait de nos braves petits soldats des loups à l’affût.

Ulcéré et profondément triste j’essaie de trouver l’oubli dans un sommeil qui tarde à venir…

14 juin

Le ciel a retrouvé sa limpidité et mon cœur son équilibre. Je déjeune copieusement, car hier soir, j’avais laissé mon appétit dans le camp voisin. A 8H00, coup de théâtre ! Départ immédiat. Moins de dix minutes pour nous préparer ! Il est vrai que les bagages ne sont pas lourds. Les deux toubibs restent avec les blessés : je leur confie les papiers des morts que nous avons enterrés. La colonne ne prend cependant la route qu’à 9H00. ROUSSY a bourré ma gamelle individuelle de viande et j’ai du pain de seigle dans mon sac : de quoi tenir le coup pendant deux jours. Cette fois nous sommes assez nombreux et je marche en tête avec SCHNEIDER et un sous-officier allemand, chef du détachement. Le Commandant de PUINEUF et DURAND montent dans une camionnette avec les éclopés.

Nous allons à Noyon, soit une étape de 24 km. Le sac, bien que complet, me paraît tout d’abord assez léger. Des deux côtés de la route, s’étend toujours le même paysage de désolation jonché des débris de l’armée en déroute. Par-ci, par-là, un char défoncé ou brûlé, une auto incendiée, une tombe et sa petite croix surmontée d’un casque… Nous croisons des files de véhicules ennemis dont les conducteurs nous dévisagent sans haine apparente. Quelques-uns s’arrêtent et prennent des photos mais nous rabattons nos bonnets de police sur les yeux… Au dixième km les jambes s’alourdissent après une pause où j’ai mangé un peu de viande. Nous réglons l’allure, mais trouvant sans doute que nous nous endormons, le sous-officier boche passe devant et appuie sur l’accélérateur. Pendant neuf km nous marchons ainsi, à une allure endiablée, sans pose, trempés de sueur et crevant de soif. La chaleur moite, insupportable, provoque des brûlures entre les jambes… nous nous consolons en voyant nos sentinelles suffoquer sous leurs capotes, faces cramoisies et dégoulinantes de sueur…

Pause de 20 minutes à l’entrée de Noyon. Dix fois j’ai eu envie de jeter mon sac dans le fossé… Quelques-uns l’ont fait et doivent le regretter. Nous nous affalons en bordure de la route. Je donnerais une fortune pour un bidon d’eau… La remise en marche est pénible mais après quelques km les premières maisons de Noyon apparaissent. Les faubourgs sont détruits par les bombes : maisonnettes couchées par le souffle des projectiles, murs abattus ou constellés d’éclats, chaussée défoncée et labourée. L’aspect d’une maison nous saisit d’une émotion étrange, pénible et comique : un côté entier est ouvert comme si on avait enlevé le mur pour montrer l’intérieur qui apparaît en vitrine ; le lit, les tentures, les chaises, une table, sont restés en place au premier étage, semblable à du matériel d’exposition.

Les fils électriques pendent lamentablement et barrent la route. Avec les trous ils occupent toute notre attention car nous tenons, malgré notre misère, à demeurer intacts. Une bombe énorme est fichée dans le goudron de la route. Elle n’a pas éclaté et nous la contournons à bonne distance, pressés de la laisser derrière nous. Sait-on jamais ? Si elle était à retardement…

Le grand pont qui franchit la voie ferrée à l’entrée de la ville n’a presque pas été endommagé. La voie, jonchée de points d’impacts, n’est coupée qu’en un seul endroit et la gare n’a pas souffert… mais quantité d’arbres dans le voisinage tendent leurs racines vers les nuages.

Quoiqu’assez durement éprouvé, le centre de Noyon conserve un aspect accueillant. Le monument aux morts est encore debout près de la cathédrale mais présente une énorme brèche au faîte de sa pyramide. Quant au Saint lieu, s’il a été touché en maints endroits, les malheureux pruneaux égarés vers lui n’ont pas ébranlé sa majestueuse solidité. Ils n’ont même pas provoqué l’effondrement des échafaudages dressés pour sa réfection.

Nous sommes saisis d’étonnement en voyant l’ennemi diriger ses pas vers l’entrée principale de l’église. Nous franchissons le seuil et sommes plongés jusqu’à la moelle dans un bain de glace. La transition est  si brutale qu’après avoir fondu au soleil nous claquons des dents et sentons des frissons nous parcourir des pieds à la tête en quelques instants. Point de paille pour nous étendre si ce n’est celle des chaises de prières que nous sommes autorisés à utiliser. Les hommes sont entassés au milieu de la cathédrale sous la grande nef et dans le cœur. Les officiers peuvent se répartir sur les côtés, dans les niches des saints séparées de l’allée par une petite grille. Délicate attention mais le pavé y est aussi dur qu’ailleurs ! Enfin je choisis celle de Saint Antoine de Padoue. Mon sac contient encore une chemise et je n’hésite pas à changer celle qui me colle sur le dos puis je m’achemine vers mes collègues du 170. ils grelottent dans leur sueur congelée et n’ont pas le moindre linge en réserve : leurs sacs ont été égarés dans la capture. Hélas ! je n’ai pas d’autre chemise…

Il est interdit de sortir et nos estomacs crient famine. Un interprète français nous donne l’espoir d’une soupe. La soupe arrive à 7H00 mais nous n’avons pas droit aux quelques haricots nageant dans une appétissante eau grasse : c’est la soupe des hommes. Les officiers doivent attendre ; on leur a préparé un repas spécial et nous espérons, égoïstement, qu’il sera plus copieux. En attendant, je sors le reste du rôti que ROUSSY a mis dans ma gamelle et le découpe en une dizaine de parts égales. Ma provision de pain disparaît en quelques secondes… et les réserves sont ainsi épuisées !

Enfin, un posten nous rassemble : « Raus ! Schnell ! A la zoupe… » Réjouis, nous lui emboîtons le pas vers une maison d’apparence sympathique où le Boche nous a conviés au festin. Hélas ! Nous n’y entrons même pas. La soupe est servie dans la cour : une modeste, oh bien modeste louche de flotte où ont été dilués quelques bouillons Kub. Soyons honnête et reconnaissons qu’elle fut servie dans des assiettes et « mangée » avec des cuillers. Nous avions encore un faible espoir de voir surgir le plat de résistance mais l’ordre de retourner dans la glacière nous ravit à ce beau rêve. Néanmoins je n’ai pas tout perdu car, distinguant un pain blanc français tout entier sur le rebord d’une fenêtre, je le dissimule vivement sous ma capote. Je ne sais pas depuis quand il attend là qu’une main secourable vienne le délivrer mais je constate qu’il est dur comme pierre et que les moineaux y ont déposé deux crottes à présent séchées…

La Providence a pitié de nous vers 20H00 en la personne d’un cuisinier, frère du Capitaine FINAS, qui nous donne un pain et une boîte de singe par tête de pipe…

Nous sommes invités au repos… je songe à un bon lit et m’étends sur le pavé au pied du petit autel que St Antoine de Padoue honore de sa statue. Les murs de la chapelle sont tapissés de plaques de marbre, touchants remerciements à une multitude de vœux exaucés… Ah ! mon bon St Antoine, si vous pouviez me tirer de là, exterminer la race germanique et nous rendre à tous la liberté… mais vous êtes dur d’oreille et n’entendez pas ma prière… pourtant je n’hésiterais pas à ajouter une plaque à votre belle collection.

Il y a bien entendu une suite à ce témoignage mais dans l’impossibilité actuelle de retrouver la famille ou des extraits publiés dans le journal des anciens du 170e RI ce récit reste à compléter.

© Marc Pilot – Picardie 1939 – 1945 – octobre 2008